classique occidental / période classique

OSM | Une matinée en légèreté

par Alexis Desrosiers-Michaud

Moins de douze heures après avoir donné une version concert de l’opéra Cosi fan tutte de Mozart dans le cadre du festival du même nom, l’Orchestre Symphonique de Montréal (OSM) et Rafael Payare présentaient deux des dernières du compositeur, soient le Concerto pour piano no 27 avec Kevin Chen et la Symphonie no 41 dite « Jupiter ». 

Dès le premier mouvement du Concerto, on sent que tout sera en finesse, avant même l’entrée du soliste. À ce moment, notre impression se confirme; les doigts flottent presque sur le clavier. S’installe alors un réel dialogue entre Chen et l’orchestre, avec qui il établit constamment un contact visuel. Le second mouvement est un vrai délice de douceur qui nous emmène ailleurs, dans un monde plaintif et reposant, quasi méditatif. Cet extrait, rempli d’émotion où les notes tenues ne meurent jamais, aurait certainement fait l’objet d’une relecture sur une application numérique.

La symphonie « Jupiter » qui suit entre dans la même veine que le Concerto, c’est-à-dire que tout est vivant, chantant, rythmé, mais avec légèreté. D’autant plus qu’« un des thèmes du premier mouvement est un air de basse écrit pour un opéra d’Anfossi  ». Il y a quelque chose de lyrique dans ce premier mouvement. 

Le troisième mouvement aurait pu être plus dansant, comme le veut la tradition du menuet. Marqué Menuetto : Allegretto, il tendait plutôt vers la deuxième partie de son surtitre, avec un peu plus de galanterie qu’à l’accoutumée. 

Le point d’exclamation de cette symphonie est sans contredit le mouvement final. En effet, la dernière page symphonique de Mozart est un bijou d’écriture contrapuntique où pas moins de 5 (!) thèmes se poursuivent sans cesse. C’est un tour de force de composition, mais également un défi pour le chef, qui doit balancer le son pour que l’ensemble ne devienne pas un fouillis, ce que Payare réussit avec brio. Constamment aux aguets, il contrôle tout. Il fait même la longue reprise, à l’instar des versions précédentes de Labadie et Nagano, mais qui n’est pas la mode sur disque. On note la présence adéquate de la timbale, cachée sur la droite, qui ponctue les phrases et fin de section, en plus d’insuffler l’énergie aux différents climax. Un petit mot pour dire que le concert s’est ouvert sur la prestation en solo du pianiste Chen dans la Fantaisie en do mineur K. 475. Ce sombre, mais très beau morceau a plutôt eu l’air d’une pièce de salon. Non pas par l’interprétation, bien au contraire, mais par le léger chahut causé par l’admission en salle des dizaines de retardataires venus en autobus pour cette matinée scolaire. Nul doute que l’écoute de ce même concert en soirée aura été différente. Il y avait cependant quelque chose de beau de voir et entendre à plusieurs reprises les « habitués » de l’OSM questionner et s’intéresser à ses jeunes venus de partout, certains portant un morceau de vêtement à l’effigie de leur programme de musique.

crédit photo : Antoine Saito

ambient / électronique / expérimental / contemporain / musique acousmatique / noise

Série Ultrasons de l’UdeM | Des sons, de l’art et de la relève

par Alexandre Villemaire

Après une première soirée où l’alignement du programme donnait dans la variété des performances, cette seconde soirée des Ultrasons 2024-2025 du 25 avril, consacrée aux œuvres des étudiant.e.s des programmes de musique numérique de l’Université de Montréal proposait un programme essentiellement acousmatique avec des œuvres sur support. 

Pour l’occasion, l’intérieur de la Salle Claude-Champagne s’est métamorphosé en dôme de haut-parleurs et fut plongé dans le noir, pour permettre une posture et une atmosphère d’écoute optimale. D’emblée il nous faut le souligner, une soirée complète de pièce acousmatique, dont la durée oscille toujours généralement autour une dizaine de minutes, n’est pas nécessairement donnée aux oreilles les plus novices et même pour les plus habituées. On peut facilement se sentir submergé par ce flot continu de sons. Les œuvres qui ont cependant été présentées, bien que conçues sur le même support, avaient toute une personnalité sonore distincte, une griffe bien personnelle. 

C’est la pièce acousmatique de Mikael Meunier-Bisson TG-DM-VAE-01 qui a ouvert la soirée. La pièce prend son titre du processus créatif qui la jalonne, soit un dialogue entre tone generator, drum machine et variational auto-encoder. La matière y est granuleuse, semi-erratique et brute. D’une écologie sonore plus fraîche, Fun2 de Felipe-Emile Francoeur, est, comme son nom l’indique, une exploration stylistique dont les sujets principaux étaient le plaisir et le jeu. On y entendait des sons traités, rappelant la pièce précédente, mais également des éléments plus organiques.

Alexandre Hamel a offert une performance audiovisuelle avec Cagliari MK0, une suite spirituelle d’un projet de lutherie numérique élaboré dans une précédente session. Présent sur scène, le jeune compositeur manipule la matière sonore à l’aide d’un microcontrôleur Daisy Seed. Il n’est pas donné de toujours voir de près la manipulation qui est faite sur la machinerie utilisée. Hamel a démontré une bonne maîtrise de la matière sonore, sans tomber dans les excès ou la perte de contrôle du son, qui aurait saturé nos oreilles.

Lors de l’entracte, le foyer de la salle Claude-Champagne a été le théâtre d’une performance de Z Neto Vinheiras avec sa pièce “here now all over again”.  Le dispositif autour duquel s’était amassée une bonne partie du public comprenait 2 guitares électriques, 2 amplificateurs, une station de no-input et quelques pédales d’effet. Il en résultait une œuvre au rythme ondulatoire et à la pulsation constante dont l’intensité contrôlée par Z Neto Vinheiras variait en intensité, passant d’un grondement sourd à de légères distorsions. 

La deuxième partie nous a donné à voir deux œuvres de vidéomusique. Citons Pieces de Kassandra Picazo, œuvre où la voix humaine est mise à l’honneur dans une superposition d’échantillonnage et Moi. Je. Elle. Est, court métrage expérimental de Gabriela Hébert où la musique venait accompagner de manière plus figurative les différents gestes de la comédienne Amélie Clément dans un environnement sonore plein de tensions.

Vivian Li, que le collègue Alain Brunet a interviewée l’année passée dans le cadre du festival Akousma, a présenté une des pièces les plus complètes au niveau du matériel textural. Baignant dans un son éthéré et cristallin en trame de fond, Sonic Memories, est un baume sensoriel, tout à fait en phase avec l’approche thérapeutique à la musique de la compositrice. Entre Deux Tempêtes de Clément Castaing, « explore les strates mouvantes de la mémoire, de l’introspection et du rêve » en utilisant comme matériau de base des enregistrements de terrains hivernaux et des mémos vocaux de l’enfance du compositeur. Il en ressort une pièce à l’esthétique décalée où les voix sont transformées, échantillonnées pour se fondre dans la nouvelle masse sonore.

Finalement, Brouillard I, pièce acousmatique d’Antonin Gougeon-Moisan mélange savant interventions d’instruments acoustiques enregistrés (piano, saxophone et clarinette basse) avec une esthétique alliant ambiant, noise et électronique dans un flot musical continu. Le traitement est savamment dosé, laissant à chaque texture un temps de développement. Il en ressort une œuvre à la fois onirique, mais aussi, par moment, explosive. Cette pièce d’ailleurs se retrouvera sur un album éponyme à paraître.

Devant une assistance d’au moins une centaine de personnes, les étudiantes ont livré des performances franches et sensibles et ont surtout démontré la maîtrise de la matière sonore qu’il possède et la variété de techniques qu’ils peuvent compter dans leur arsenal pour exprimer leur art. À aucun moment nous ne nous sommes sentis en présence de travaux juvéniles. Au contraire, chacun présentait une histoire, un but, une démarche et une esthétique qu’il nous était possible de discerner. S’il y a bien une chose que les professeurs Myriam Boucher, Dominic Thibault et Nicolas Bernier peuvent se dire, c’est qu’il y a de la relève dans le milieu. Et elle est belle et bonne.

crédit photo : Nina Gibelin Souchon

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Série Ultrasons de l’UdeM | De Morphose aux Outils de toute création

par Alain Brunet

Depuis les années 40, c’est à dire plus ou moins 8 décennies, le langage acousmatique se développe dans les institutions d’enseignement de la musique. Les jeunes concepteurs du programme de composition numérique y apprennent ce langage qui remonte à ladite musique concrète, et nous voilà en 2025 à écouter des étudiants qui tentent de s’approprier le langage en y insufflant leur propre bagage.

Ainsi, la Faculté de musique de l’UdeM présentait jeudi et vendredi derniers à la salle Claude-Champagne une cohorte de créateurs.trices à l’aube de leur contribution artistique chez les pros.

De Guillaume Myre, Aurélie Tessier et Samuel Gendron, le premier élément au programme de l’événement Ultrasons s’intitule Morphose, une œuvre mixte avec projections en direct,  impliquant électronique, saxophone et guitare électrique, dont le jeu textural est la seule composante de l’expression dans le cas qui nous occupe. Construction intéressante qui s’amorce en douceur céleste et qui traverse quelques tempêtes avant de se calmer de nouveau.

Louis-Thomas Pineault, pour sa part, a choisi Entomorphérences, dont l’objet est d’explorer la zone tampon entre perception et imagination, et ce à partir d’enregistrements d’insectes autour desquels le compositeur a imaginé des sons complémentaires. Excursion entomologique au cœur de l’insectarium, en quelque sorte, avec des sons transformés (et méconnaissables) d’insectes et des emballages tout aussi transformés.

Matisse Charbonneau enchaîne avec une œuvre inspirée de la guerre en Ukraine. On en reconnaît les sons belliqueux, même si filtrés, traités, transformés. Les sirènes, les bruits de ferraille, salves d’on ne sait quoi qui tombent sur la tête des pauvres gens,  entrechoquements, cris et hurlements, communications radio, le tout modifié à travers le prisme électroacoustique. 

Antipodes, de Mateo Bellefleur Martinez, est un exercice esthétique dont l’objet est le lien qui se tisse entre les contraires, entre les postures les plus éloignées. Vrombissements, déflagrations, collisions.

Après l’entracte, Nicolas Bourgeois et Chloé Rivest présentent Lèvres, qui invite à« inspirer et expirer les signaux invisibles qui communiquent une intention ». L’esthétique très léchée impliquant danse et projections en temps réel, impliquent un travail sonore méticuleux, ambient énigmatique.

Le sol craque, le vent souffle au loin, Cendres Rivière a entrepris d’évoquer les sons de la nature nordique et les activités humaines qui s’y déroulent dans nos régions septentrionales. Voilà donc Eskers, une douzaine de minutes passées loin de la ville.

« Exploration d’un microcosme organique et foisonnant », Petrichor est un lent et sensuel pétrissage de sons linéaires, entrecoupés de sons percussifs ou même de gazouillis et autres grincements harmoniques. Cette belle courbe d’intensité est une gracieuseté de de Mahault Sampy.

Mikael Molliex conclut la soirée de jeudi avec Les outils de toute création, qui s’amorce par un drone caverneux assorti de crépitements et autres sons linéaire, marqués plus tard par des effets dramatiques et citations apparemment scientifiques, n’excluant pas des notes inscrites dans le système tonal. L’objet de cette œuvre, en fait, se veut la rencontre, ou l’évocation sonore de la rencontre avec les particules électriques, « outils d’une puissance créatrice et intelligente ». 

On aurait pu aller en fumer du bon pour faire durer le plaisir mais il fallait se préserver pour la suite des choses. Soit un programme aussi chargé le lendemain, même lieu même poste.

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électroacoustique / Électronique / expérimental / hip-hop instrumental / jazz contemporain

African American Sound Recordings à la SAT : merveilleux bruit de fond

par Loic Minty

Dans un monde de mouvements impossibles à retracer, cette forme de musique à l’état liquide est à peine contenue par le terme « expérimental ». Ce post-hip-hop n’existe alors qu’ici et maintenant, là où le hip-hop est devenu plus ce que l’on ressent que ce que l’on entend.

Et pourtant, c’est encore tout ce qui l’a constitué, plus bruyant et plus éloigné, comme un signal passant à travers de vieux fils. African American Sound Recordings semble regarder d’en haut ce réseau infini et trouver les voix subtiles, comme Morphée observant la matrice du cœur humain.

D’où vient ce bruit ? Au bout de 20 minutes, on commence à oublier, au bout de 30 minutes, on est aspiré, et au bout de 45 minutes, on en fait partie.

Démontant toutes les attentes, A.A.S.R. a sculpté une forme au-delà de la musique, une anthropologie de la culture noire : du punk à la soul des années 70, en passant par un saxophone hurlant comme s’il avait été maudit par Pharoah (Sanders) lui-même. Il y a une authenticité et une originalité dans son approche qui semble avoir été le fil conducteur de cette soirée.

L’approche platiniste de Slow Pitch Sound a plongé la foule dans une zone crépusculaire. Mixant comme s’il était en voyage cosmique avec Lee Scratch Perry au Studio One, son approche chopped and screwed rappelait les classiques du scratch tel DJ Screw, tout en les renouvelant complètement dans le choix de ses samples. Trouvant des boucles dans des sons accidentels, Slow Pitch Sound a créé ses rythmes sur place et a fait en sorte que la foule soit suspendue à chacun de ses mouvements. L’art (en voie d’être) oublié du platinisme a montré son potentiel inexploité en tant qu’instrument et, combiné à des outils numériques, a construit un son chaud et distinct, transformé en art par la maîtrise gracieuse de ses outils.

Mais la surprise la plus inattendue de la soirée a été la première prestation de Dumb Chamber, qui a montré à Montréal des contours de la musique électronique à venir. Toujours en quête de nouveauté, le dense patchwork de séquences taquine le rythme et se construit en houles d’orchestrations émotives. Quelque part entre Luc Ferrari, Dean Blunt ou Replica de Oneohtrix Point Never, ce son se distingue par un mélange apaisant de enregistrements sur le terrain et de mélodies sensibles empruntant à l’orchestration classique.

Dumb Chamber arborait un large sourire alors qu’il passait sans effort d’un genre à l’autre ; même sa version de la house classique avait un style distinctif, alors que des bruits prononçaient des contre-rythmes en arrière-plan. La foule, qui aurait pu être une fête du personnel de Ssense, n’était peut-être pas aussi chaude pour la danse, mais on sentait qu’elle écoutait profondément et appréciait les expériences sonores passionnément recherchées auxquelles elle assistait.

C’était l’une de ces expériences dont on sort en ne se sentant pas tout à fait le même qu’à l’entrée. Peut-être était-ce le mur de basses fréquences qui vous a pénétré les os, peut-être était-ce le fait d’être assis sur le béton froid, mais j’ai eu l’impression qu’un nouvel espace s’ouvrait pour imaginer la musique en tant que performance, et j’ai hâte de l’explorer.

Finale des Sylis d’or 2025 : la salsa devant les racines afro-colombiennes et le maloya réunionnais

par Frédéric Cardin

La soirée finale des Sylis d’or 2025, tenue hier soir au Théâtre Fairmount, a tenu ses promesses d’ambiance exaltée, de rythmes festifs et de musique ensoleillée. Les trois groupes en présence, Raiz Viva, Kozé et Marzos & Mateo ont offert de solides performances, mais avec des nuances de finition qui ont fait la différence. 

C’est Marzos & Mateo avec sa salsa de feu qui a remporté les honneurs du Syli d’or, alors que les racines exaltantes de Raiz Viva se plaçait au deuxième podium pour l’argent, avec le maloya réunionnais de Kozé pour le bronze. 

La performance inégale de Kozé explique cette troisième place, malgré une incarnation vibrante sur scène de la chanteuse et danseuse qui mène la charge d’un Maloya, style originaire de l’île de la Réunion, coloré par des chants traditionnels accompagnés de percussions. Si l’entrée en scène était belle et la finale excitante, un épisode central aux tonalités approximatives de la part des choristes a probablement nuit définitivement au groupe. Un fignolage qui reste à réaliser, mais le collectif a quand même de beaux moments à offrir aux prochains festivaliers qui les entendront un peu partout au Québec et au Canada.

Pour ma part, c’est Raiz Viva qui a offert la plus belle combinaison de surprise, d’énergie et d’originalité de la soirée. Une performance intense et soutenue de trente minutes, basée sur une cumbia rhizomique de Colombie qui ose toucher à quelque terreau voisin du Brésil, mais aussi du pays adopté par les membres du groupe, le Québec. Aucune électrification dans cette proposition hyper efficace, seulement des flûtes traditionnelles et un tas de percussions, mais un sens du rythme épatant et une occupation pleine et voluptueuse de l’espace sonore, adoubée par des mélodies accrocheuses. De la superbe musique de laquelle émane une authenticité convaincante. Je souhaite entendre le plus tôt possible ce groupe dans un concert complet. Et vous également.

Il fallait s’attendre à ce que le super groupe Marzos avec le soliste, guitariste et chanteur Mateo frappe fort. 14 personnes sur scène, si j’ai bien compté, avec double ration de trompettes et de trombones, un puissant sax baryton, un clavier, des choristes, un chanteur (excellent) en plus de la vedette Mateo et un paquet de percus, voilà qui a de quoi impressionner. De la salsa assez prévisible dans son déploiement, mais qui a assurément de l’impact. L’ambiance était explosive, comme toujours dans les finales (et demi-finales aussi) des Sylis annuels. 

avant-rock / expérimental / contemporain / jazz / jazz-fusion / rock expérimental

Dweezil Zappa : Rox(pologie) de Rox(Postroph)y

par Réjean Beaucage

Un concert de près de trois heures durant lequel l’énergie ne passe jamais sous la barre du 110%, c’est ce que la bande à Dweezil Zappa avait à offrir lundi dernier, 21 avril, au Théâtre  Maisonneuve, et qui remet ça à guichets fermés, ce vendredi 25 avril à la Salle Raoul-Jobin du Palais Montcalm.

La tournée Rox(Postroph)y qu’a lancé Dweezil Zappa l’année dernière, pour commémorer la sortie des albums Apostrophe (‘) et Roxy & Elswhere, fait la part belle au répertoire de ces classiques de 1974, mais « le fils de » commence maintenant à s’octroyer plus de liberté avec la musique du paternel, toujours en demeurant respectueux de la façon de faire de Frank.

Alors oui, bien sûr, on aura la Yellow Snow Suite, mais après une entrée avec  Filthy Habits  (de l’album Sleep Dirt), et on aura une magnifique version de  Cheepnis , mais après A Pound for a Brown on the Bus, de Uncle Meat (que Dweezil présente étonnamment comme « de l’album In New York »). On déborde donc du cadre strict des albums de 1974, et c’est sans compter les interprétations de Push Comes to Shove (de Van Halen),  Livin’ on a Prayer  (de Bon Jovi) ou même Hello (de Lionel Richie). Ces deux dernières mettent en vedette la claviériste et saxophoniste Scheila Gonzalez comme soliste au… gazou!

L’idée de glisser dans le programme quelques surprises comme celles-là rappelle bien sûr que Frank aussi aimait en saupoudrer dans ses concerts (de Baby Love des Supremes jusqu’au Boléro de Ravel, et on sait qu’il aimait bien placer un petit peu de gazou ici ou là, mais amplifié au max dans la caverne Maisonneuve, c’est quand même dur sur le tympan. Dweezil, dans une explication musicologique que Frank n’aurait certes pas reniée, comparera la douce sonorité de l’accessoire à celle du célèbre pétomane ! On ne croyait pas que la réputation de l’artiste français du début du 20e siècle s’était rendue jusque sur la côte ouest américaine… C’est peut-être grâce à Salvador Dali qui, selon ses dires, ne voyageait jamais sans son disque du pétomane.

Gonzalez aura l’occasion de briller dans d’autres pièces, principalement au sax, et si Dweezil ne se prive pas de démontrer son savoir faire dans de nombreux solos de guitare (sur les Gibson SG et Les Paul originales de Frank), le programme fait une large place au talent de ses musiciens. Soulignons surtout la dynamo Zach Tabori, excellent percussionniste et guitariste qui peut aussi chanter les parties très pausées de Frank ou hurler comme le faisait Ricky Lancelotti sur Zomby Woof –  durant laquelle Dweezil a offert un solo rien de moins qu’épique. La claviériste Bobby Victor mérite aussi une mention, tant pour son efficacité que pour son cabotinage constant – un autre rappel des concerts de Frank, où chacun des musiciens offrait un spectacle en soi. 

Au fil du concert, on retrouve aussi le running gag du secret word (« poutine »!) et l’invité surprise, le guitariste canadien Ariel Posen, venu faire un duo avec Dweezil dans Cosmik Debris. Les novices dans l’univers de Frank ont l’occasion de comprendre le sens de sa devise « Anything Anytime Anyplace For No Reason At All » (ou AAAFNRAA) et les afficionados retrouvent le plaisir d’entendre en concert ce répertoire inclassable qui mêle, avec humour et virtuosité, le funk, le jazz, le rock et quoi encore.

Crédit photo: Patrick_Beaudry

indie rock / rock

Franz Ferdinand et Telescreens, question de se décoiffer

par Marilyn Bouchard

Un lundi soir d’avril, sont arrivés sur scène les membres de Franz Ferdinand. Ces géants tranquilles, « straight from Glasgow », ont enflammé le MTelus!

Ils nous ont salués avec une exécution sans faille de The Dark of the Matinée, qui a tôt fait de réveiller les fans de la première heure et de conquérir les nouveaux.
On a pu apprécier un duo basse-batterie inspiré durant Michael, et un solo de trois guitares électriques à l’avant-scène lors de Everydaydreamer par la suite.

Love illumination, remplie d’énergie positive et de joie, a élevé l’ambiance d’un cran et c’est tout de suite après qu’Alex Kapranos nous a avoué « adorer les Québécois », échangeant plusieurs fois avec nous dans un très bon français, sans surprises puisqu’il partage sa vie avec la chanteuse française Clara Luciani.

Ils ont ensuite continué avec la chaleureuse Audacious, chanson à teinte traditionnelle écossaise accompagnée au banjo.

Sans surprises, Do you want to a, par la suite, fait exploser l’ambiance avec son énergie enlevante, la foule dansant allègrement sur les refrains.

J’ai apprécié découvrir Build It Up en concert, puisque la chanson prend vraiment toute son ampleur sur scène. Un moment mémorable où le chanteur tapait des mains avec la foule en tendant de multiples fois le micro. Une lente amplification qui a fait sourire même les plus endurcis par la fierté et l’encouragement qu’il partageait. 

Avec Can’t Stop Feeling, ils ont gâté les musiciens avec des passages inspirés sur chaque instrument, notamment un solo de synthétiseur bien senti.

Ils nous ont ensuite livré la tant attendue Take Me Out, le tube qui les a révélés et qui a transporté la foule en délire avant de terminer avec Hooked et Outsiders, durant laquelle le chanteur s’est laissé aller à quelques improvisations de bassin.
Après plusieurs minutes pendant lesquelles la foule scandait, ils sont revenus pour un généreux rappel de 5 chansons, dont une interprétation énergique d’ Ulysses et une magnifique exécution de Come On Home, avec la foule chantant en chœur les refrains, qui m’a suivie jusqu’à la maison.

La soirée s’était réveillée avec Telescreens, un groupe d’indie-rock and roll alternatif qui honore l’héritage New Yorkais et qui sonne comme les dignes enfants de The Strokes et The Vines. T-shirts déchirés, gueules de rockeur bouclées et atmosphère enfumée : tout y était pour se croire au début des années 2000. On a même (presque) eu droit à une guitare brisée.

Ils ont ouvert avec Games, prenant d’assaut la scène instantanément avec le riff de guit hypnotique, la prestance de Jackson Hamm et le rythme entraînant. L’énergie a rempli tout de suite la salle et on a vu plusieurs personnes se mettre à danser durant le bridge. Le chanteur nous a ensuite adressé quelques mots, en s’essayant de manière charmante en français.

Ils ont enchaîné avec Phone Booth, avec un plaisir évident entre eux et en faisant chauffer les amplis des guitares électriques. 

On a eu droit à quelques nouvelles chansons et ils ont interprété Times Like These, une chanson un peu plus punk où on peut sentir les influences des légendes américaines telles que Bad Religion et NOFX et Melancholy Dreaming, une chanson plus tranquille aux arrangements un peu plus électro.

Ils nous ont quittés en nous offrant une performance déchaînée de leur hit Lost, pendant laquelle les voix se sont complètement emportées et où le chanteur est monté sur la grosse caisse de sa batterie et a créé un crescendo avec la foule, se lançant au sol lors de la résolution. Leur prestation était l’une des plus inspirées que j’ai vues depuis un bon bout de temps.

Une décharge d’énergie insouciante de 45 minutes pendant lesquelles tout le monde avait 16 ans et qui nous a permis d’oublier de se prendre au sérieux pour un moment.

Un duo parfaitement assorti pour une soirée qui décoiffe, parfaitement réussie.

blues / Océan Indien / sega

Un éventail d’émotions avec The TWO

par Sandra Gasana

En ce dimanche pascal, le Club Balattou a eu droit à un spectacle électrisant du groupe The TWO, un duo composé d’un Mauricien installé en Suisse, Yannick Nanette et d’un Suisse, Thierry Jaccard. Pour l’occasion, ils étaient en formule trio avec le batteur Loris Martenet, qui faisait également les chœurs avec Thierry. La plupart des chansons étaient tirées de leur plus récent album Sadela, qui signifie « ces deux-là », en créole mauricien, paru en 2023.

Durant le spectacle, Yannick et Thierry ont changé de guitares à maintes reprises, parfois au milieu d’une chanson, ajoutant l’harmonica de Yannick dans certains morceaux et un mini-triangle, rappelant les rythmes brésiliens. D’ailleurs, l’insertion de sega et maloya dans le concert n’a laissé personne indifférent.

Tout comme lors de notre entrevue quelques jours plus tôt, Yannick fait référence au créole qu’est le Québécois, « ce que vous appelez français mais qui est encore mieux que le français », ajoute-t-il.

Les pêcheurs, une nièce, les femmes, les personnes disparues, voici certains des thèmes abordés durant la soirée mais toujours en prenant leur temps. Les chansons s’étirent en longueur justement pour nous faire passer par toute sorte d’émotions, commençant par de la mélancolie, puis en crescendo vers la joie avant de redescendre en douceur. Le timbre de voix de Yannick contribue à cette atmosphère nostalgique que permet le blues, tandis que les chœurs de Thierry et Loris permettent une profondeur à leur univers.

Timide durant les premières chansons, le public a commencé à se dégourdir petit à petit avant de se laisser aller aux rythmes des instruments dont l’intensité augmentait. La salle prenait son rôle de chorale très au sérieux, suivant minutieusement les consignes de Yannick.

Ma chanson coup de cœur restera Lao, même si c’est Fam couma ou qui est restée dans ma tête depuis le spectacle.

« Est-ce qu’il y a des Mauriciens dans la salle ? Des Réunionnais ? Des Malgaches ? » demande Yannick entre deux chansons, à quoi quelques personnes ont répondu positivement mais ils n’étaient pas nombreux.

On a eu droit à un rappel même si l’audience en demandait plus. Le fait que le lendemain était un jour de congé, on ne voulait pas que la soirée s’arrête. Espérons que lors de leur prochain passage à Montréal, une plus grande communauté mauricienne, réunionnaise ou malgache sera présente pour découvrir ce duo original, qui apporte autant de douceur que de puissance, nous faisant passer de l’un à l’autre.

Crédit photo: André Rival


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classique moderne / jazz moderne / période romantique

Soir de jazz symphonique à Laval

par Alain Brunet

À travers leur vies professionnelles qu’on devine intenses, les saxophonistes Yannick Rieu et Lionel Belmondo ont mis deux ans à mettre ce programme au point : un jazz symphonique construit, aménagé et reformulé autour des compositeurs Johannes Brahms, Maurice Ravel et Lili Boulanger, soit la fin du 19e  siècle et le début du 20e au service du jazz moderne. Malgré la tenue du débat des chefs et le match décisif du CH pour accéder aux éliminatoires de la LNH, une salle André-Mathieu bien garnie a chaudement accueilli l’exécution de ce programme.

La première intervention au programme est baignée de ces harmonies romantiques exécutées sur un mouvement lent et des notes graves. Les trois souffleurs de jazz se fondent dans l’Orchestre symphonique de Laval sous la direction de Daniel Bartholomew-Poyser. Jazzmen et interprètes classiques se fondent dans la partition, aucune improvisation n’est ici prévue.  

La section rythmique sextette s’amène pour une relecture orchestrale du Nocturne de Lili Boulanger, sœur cadette de la grande pédagogue parisienne Nadia Boulanger, soeurette dont les musiques sont de plus en plus jouées, un siècle après sa disparition tragique et prématurée: Louis-Vincent Hamel, batterie, Rémi-Jean LeBlanc, contrebasse, Jonathan Cahier, piano. Le menuet en do mineur de Ravel est parfaitement propice à la jazzification. On observe déjà les croisements entre le Français  Maurice Ravel et l’Américain George Gershwin, dont se sont nourris les plus grands penseurs du jazz moderne,de Bill Evans à Duke Ellington. 

Cette fois, le sextette s’impose au sein de l’OSL et impose cet équilibre entre jazz moderne et musique classique moderne. Les French, très solide trompettiste australien transplanté à Montréal, prend le premier solo, suivi du pianiste Jonathan Cayer, devenu l’un des très bons jazzmen de la période actuelle sur le territoire québécois. Les deux saxophones et la trompette sont entrelardés dans certains thèmes, familiers et agréables à l’écoute.

Composé pour le piano seul, ce Menuet en ut dièse mineur de Maurice Ravel a été orchestré et arrangé par Lionel Belmondo  pour orchestre symphonique et sextette de jazz. Le thème principal met en relief le saxophone soprano de Belmondo complété par les bois de l’orchestre, suivi du saxo ténor de Rieu. 

Inspirée du premier mouvement de la Symphonie No 4 de Brahms, cette pièce de Yannick Rieu implique l’improvisation des vents dont les lignes mélodiques ajoutent un contrepoint supplémentaire à la progression harmonique prévue pour l’orchestre. Il est alors intéressant de noter l’unification heureuse des deux esthétiques, cette fois dominée par le romantisme brahmsien.

S’ensuit Nostalgie, une pièce de Yannick Rieu dont il est le soliste principal aux côtés de Rémi-Jean LeBlanc, mais la partie jazz de l’œuvre demeure très jazz, l’orchestre se transforme alors en faste accompagnateur et rappelle les arrangements et orchestrations typiques des grands orchestres américains au milieu du 20e siècle.

Un riff de contrebasse introduit l’orchestre, le piano et les autres solistes du sextette. Le piano mature et assuré de Jonathan Cayer et le sax soprano de Rieu sont ici mis de l’avant. Les somptueuses harmonies  sont tellement propices au jazz moderne qu’on en oublie les fondements originels. Il faut toujours rappeler que les jazzophiles ont intégré les musiques romantiques ou classiques modernes sans nécessairement en connaître précisément le répertoire, en voilà une autre éloquente démonstration intitulée Ritournelle.

La suivante,Ballade sur le nom de Maurice Ravel , a été composée par Yannick et arrangée par Lionel, cette œuvre relativement courte est introduite par les cordes ravéliennes de l’OSL qui précèdent le thème exposé par le sextette. La nappe est dressée pour un riche exercice harmonique à l’échelle symphonique, l’excellent trompettiste Lex French y est mis en valeur pour une improvisation fervente qui en coiffe la conclusion.

Un solo de batterie bien senti de Louis-Vincent Hamel, et puis c’est parti dans un swing soigneusement enrobé par l’orchestre symphonique. Pour Pharaon de Yannick Rieu, des accords de piano précèdent le thème exposé à troix voix, on se trouve dans un romantisme luxuriant, et le piano s’élance sur un groove lent et ternaire avant de donner la réplique à l’orchestre symphonique et ses collègues du sextette pour conclure aux côtés des saxes, cuivres et compléments orchestraux.

Inspirée des Jeux d’eau de Maurice Ravel, La Couleur de l’eau est l’occasion pour Lionel Belmondo de fusionner le discours ravélien avec un jazz moderne typique des années 50, époque hard bop et Third Stream, s’envole alors Lex French dans un chemin dont il connaît parfaitement les balises.

On conclura ce programme ambitieux avec Embrahms-moi de Yannick Rieu, une pièce qui ne fut pas sans difficultés côté arrangement, dixit Lionel Belmondo. Le piano s’exécute d’abord et puis le romantisme brahmsien, donc pré-moderne et tellement repris dans les trames cinématographiques hollywoodiennes, se fond dans le discours de Yannick Rieu  dont le thème au saxophone est purement romantique.Solidement ficelé tout ça, au plus grand plaisir des mélomanes.

jazz

Big Band de l’Université de Montréal et Marcus Printup : de la grande visite et du très bon jazz

par Michel Labrecque

De la grande visite hier à la Salle Claude Champagne de l’Université de Montréal: le trompettiste Marcus Printup, membre depuis trente ans du Jazz at Lincoln Center Jazz Orchestra, dirigé par Wynton Marsalis. Printup a accompagné Betty Carter, Madeline Peyroux et Dianne Reeves entre autres. Et il a réalisé une dizaine d’albums en solo durant sa longue carrière.

Inutile de le dire: c’était un privilège pour les étudiant-e-s du Big Band de jazz de l’université de recevoir ce trompettiste renommé pour une classe de maître et par la suite, pour un concert. C’était peut-être aussi un petit brin intimidant. 

Sauf que Marcus Printup semble éprouver un plaisir fou à transmettre ses connaissances et à partager la scène avec des apprentis. Le trompettiste est très gestuel sur scène, claque des mains, fait parfois des « high five »aux solistes du Big Band. 

Sous la direction d’un autre trompettiste, le Brésilien João Lenhari, l’ensemble universitaire a démarré sur Airagin, du saxophoniste Sonny Rollins, pour se dégeler les doigts, suivi d’une pièce de Marcus Printup, Jojo’s Mojo. J’ai déjà l’impression que le groupe a gagné en concision depuis son concert du 13 mars. 

C’est véritablement avec Tutu, écrite par le bassiste Marcus Miller pour un album fétiche de Miles Davis de 1986, que le concert a pris son envol. Avec des arrangements complexes, qui métamorphosent la pièce originale, Marcus Printup s’est livré à de longues envolées de trompette, avec ou sans sourdine, qui ont démontré sa technique fluide, mais aussi sa capacité d’émotion. 

Printup ne le cache pas: il est un émule de Miles Davis, de qui il a parfois un peu de mal à se distinguer. En plus de Tutu, nous avons eu droit à Eighty One, du Contrebassiste Ron Carter, et Armageddon, du saxophoniste Wayne Shorter, tous des grands qui ont côtoyé Miles. Sur des arrangements pour big band de Marcus Printup.

Nous avons eu également droit à un extrait d’une suite écrite par Marcus Printup, qui, incidemment, s’inspire de son parcours d’étudiant à l’Université de North Florida. Et, puisque le Big Band a un directeur musical brésilien, il fallait une pièce originaire de ce pays. João Lenhari nous a présenté un arrangement très innovateur de Look To The Sky (Ola pro céu) du grand Tom Jobim. 

Les étudiant.e.s du Big Band ont eu à travailler fort sur ces arrangements pas toujours simples. Mais on les sent de plus en plus confortables. Celles et ceux à qui Lenhari a confié des solos ont disposé de plus de temps pour improviser et s’en sont bien tirés. La trompettiste Alice Julliard a eu l’opportunité de dialoguer en solo avec le maître Marcus Printup, ce qui a dû provoquer quelques frissons. 

Je retiens aussi le visage souriant de la saxophoniste Maude Gauthier, qui, tout au long du concert, semblait sur un nuage, ce qui ne l’empêchait jamais d’être concentrée et prête à jouer au bon moment. 

La Salle Claude Champagne était presque pleine, en partie de donateurs du programme, qui ont été même de constater que leur argent était bien investi. Un concert très agréable et prometteur. 

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classique occidental

Université de Montréal : une relève placée sous de bonnes étoiles

par Frédéric Cardin

Samedi soir, le 12 avril, avait lieu le concert des Étoiles montantes de l’Université de Montréal. Des finissants en direction d’orchestre, en composition et interprétation (flûtes) ont présenté le résultat d’années d’apprentissage. Celui-ci est inspirant.

La cheffe Marie-France Mathieu a commencé par présenter les trois premières pièces au programme, des créations de trois étudiants en composition, Gabriel José Melim Schwarz, Amichai Ben Shalev et Charles-Vincent Lemelin. Schwarz a offert une pièce néo-romantique tonale et plutôt solaire, ironiquement intitulée Folle. Vibrante d’énergie inspirée du Brésil natal de Schwarz, il s’agit d’une œuvre agréable à écouter, peu exigeante pour l’auditeur. 

Suivait A Groyse Metzieh de Ben Shalev, musicien que l’on connaît également pour faire partie de l’ensemble Les Arrivants. Le titre signifie ‘’une belle trouvaille’’, qui est en vérité une formule sarcastique typique de l’humour juif et qui veut dire ‘’pas grand-chose’’. J’ai beaucoup aimé cette pièce post-moderne qui mélange tonalité et avant-gardisme bruitiste, grâce à une large palette de techniques instrumentales liées à l’expérimentation. Ça commence dans une atmosphère sombre avec un thème chaleureux aux cordes, vite parcouru de saillies colorées que n’aurait pas déplues à Messiaen. Le reste avance lentement mais sûrement vers une saturation ponctuée de stridences tonitruantes avant de se terminer dans un retour à la consonance, mais avec le chœur des cuivres. Superbe.

Finalement, la Passacaille de Lemelin m’a fait le plus grand effet. Dans cette pièce qui traite l’orchestre comme une masse vivante, sombre mais néanmoins parcourue de nombreuses stries lumineuses, et qui se gonfle graduellement jusqu’à sa densité sonore et harmonique maximales, j’ai perçu des échos de Saariaho, de Rautavaaraa, mais aussi d’un certain monumentalisme Straussien et de l’expressionnisme musclé de l’ex-Hollywoodien Goldenthal. Passacaille est une démonstration de puissance tranquille, parfaitement calibrée et construite. Votre humble chroniqueur a grandement apprécié.

Le reste du programme faisait place à du répertoire Romantique, à commencer par un charmant Concerto pour deux flûtes de Franz Doppler, le roi de la flûte (avec son frère) au 19e siècle. C’était l’occasion de voir et entendre à l’oeuvre deux jeunes interprètes lauréats du 3e prix au Concours de Concerto de l’OUM 2024, Gabriel Lapointe Guay et Sarah Billet. Les deux artistes ont insufflé toute la pétillance voulue dans cette musique souriante et bienfaisante. 

La deuxième partie était consacrée à l’Ouverture Manfred de Schumann et à la Suite (1919) de l’Oiseau de feu de Stravinsky. C’était surtout l’occasion de juger du travail de direction de Marie-France Mathieu et de Paul Karekezi. C’est ce dernier qui nous a donné une Manfred pleine de drame, habitée par une nécessaire décharge d’émotions conflictuelles. Peut-être un peu tempérée, mais bellement incarnée. 

L’Oiseau de feu a été animé de très belles couleurs et de détails cristallins soulignés avec force par la cheffe Mathieu. 

Puisque les deux jeunes artistes en direction ont également mené l’OUM (Orchestre de l’Université de Montréal) dans les créations citées précédemment, j’ai pu remarquer deux personnalités de battue et de contrôle différentes mais complémentaires. 

Paul Karekazi, qui dirigeait la Passacaille de Lemelin (et comme je viens de le dire, Manfred), a témoigné d’une direction claire, certes, mais surtout imprégnée d’intensité émotionnelle et de force intérieure. Celles-ci favorisent des nuances appuyées et un legato empreint de lyrisme senti.

Marie-France Mathieu quant à elle, plus sobre dans ses épanchements, sait toutefois faire habilement ressortir les coloris détaillés et les contrastes texturaux de manière limpide grâce à une battue chirurgicale qui ne laisse planer aucun doute. Elle a très bien mené les pièces de Schwarz et ben Shalev, le Doppler (et bien sûr le Stravinsky). 

Soulignons que Karekazi et Mathieu sont des étudiants de Paolo Bellomia, les deux flûtistes proviennent de la classe de Denis Bluteau, et les trois compositeurs profitent du savoir de Jimmie Leblanc, Ana Sokolovic, François-Hugues Leclair et Olivier Alary. 

Ce fut une très belle soirée pour l’avenir de la musique à Montréal, au Québec et au Canada.

crédit photo: Tiago Curado

Une nuit rouge et bleue avec Zaho de Sagazan

par Félicité Couëlle-Brunet

Je ne savais pas encore, en montant les marches du MTelus ce jeudi 10 avril, que j’allais danser à perdre haleine avec ma mère, main dans la main, dans une mer de silhouettes en transe. Nous avions décidé d’aller voir Zaho de Sagazan, sans vraiment connaître la chanteuse, mais avec l’intuition que quelque chose de puissant allait se produire. Nous avions vu juste.

Dès les premières minutes, une tension électrique s’installe entre la voix grave et vibrante de Zaho et les textures synthétiques de ses musiciens. Ils sont quatre sur scène, concentrés, solides, et surtout, en parfaite osmose. Le décor est simple mais fort : des écrans projetant des effets granuleux, une lumière tantôt rouge sang, tantôt bleutée, qui sculpte les corps et les visages comme des ombres dans un rêve éveillé.

Au début du spectacle, Zaho s’adresse généreusement au public, nous racontant ses inspirations, ses désirs, ses blessures. On découvre une artiste à fleur de peau, profondément habitée par l’amour, par le manque, par l’attente et par l’élan. C’est là, dans cette première moitié, que ses chansons prennent tout leur sens. Chaque mot, chaque silence, chaque souffle est habité. On comprend alors que derrière l’électronique, il y a une amoureuse de l’amour, une femme qui transforme le sentiment en matière vibrante.

Puis quelque chose bascule.

À la moitié du concert, la scène se métamorphose. Les beats deviennent plus lourds, les lignes de synthé plus fluides. Zaho nous invite à ne plus nous regarder, à lâcher prise. Elle répète, presque comme un mantra : “Ne te regarde pas, lâche-toi.” Au début, on hésite. Puis, peu à peu, on se laisse prendre par le rythme. Ce n’est plus un concert, c’est une rave douce et viscérale, une transe collective dans un cocon rouge et bleu.

Ce moment de bascule est ce qui rend son spectacle unique. Peu d’artistes osent une telle mutation d’ambiance, passant du confessionnel à l’euphorique avec autant de naturel. On comprend alors mieux encore ce qu’elle cherche : se fondre, s’élever, brûler d’amour sans s’y perdre. Elle le chante, elle le vit, et elle nous y emmène.

Et puis, il y a les lumières. Ce jeu de contrastes entre ombres et flashs, entre chaleur et froideur, crée une esthétique presque cinématographique. À plusieurs reprises, je me suis arrêtée de danser juste pour regarder les silhouettes noires bouger dans la lumière, comme dans un rêve dont je ne voulais pas me réveiller.

En sortant du MTelus, encore étourdie, je regarde ma mère : elle sourit, les yeux brillants. Ce concert, c’était plus qu’un spectacle. C’était un moment suspendu, un rite de passage, une fête intérieure. Merci, Zaho, pour cette nuit où l’on a dansé sans se regarder — juste ensemble.

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