Une autre soirée symphonique qui remplit le cœur mélomane d’espoir et de fierté. La Maison symphonique était passablement comble ce vendredi soir. Une foule bigarrée, bien diversifiée et avec beaucoup de jeunes. L’Orchestre Métropolitain attire, et qui plus est avec un programme fait d’œuvres largement méconnues du grand public. Il y a quelque chose de très positif qui se passe à Montréal pour l’avenir de la musique classique. Bref, première impression de cette soirée : réussie.
Maintenant, le programme et le rendu. Disons-le d’emblée : ce fut très agréable. La cheffe JoAnn Falletta, pionnière de la direction d’orchestre au féminin aux États-Unis, s’adresse au public dans un français très correct, particulièrement respectueux. Elle plante le décor pour ce qui vient avec sobriété.
La soirée débute avec Winter Idyll de Gustav Holst. Un court poème symphonique d’allure pastorale, mais aux déploiement ample et parfois cinématographique. On y évoque un tableau d’Angleterre hivernale, enveloppé sous la neige. ‘’Un peu comme au Québec’’ a-t-on dit en intro. J’en doute. Holst n’aurait pas écrit de musique aussi relativement sereine s’il avait connu les froids canadiens. N’empêche, c’est fort joli et mené avec précision par Falletta, quoiqu’avec un peu trop de réserve, je trouve.
La première des deux ‘’vedettes’’ de la soirée est arrivée pour le deuxième plat : le flamboyant violoniste Nemanja Radulovic. Cheveux longs jusqu’au au milieu du dos, pantalons aux larges chevilles évoquant presque une robe, il représente ce qu’à une autre époque les puristes auraient aimé détester. Nous ne sommes heureusement plus là. Ce qui compte c’est la musique. Celle-ci, le Concerto pour violon d’Aram Khachaturian, demandait manifestement ce genre d’interprète. Les mouvements 1 et 3 sont furieusement exprimés, nous ramenant souvent à l’énergie de sa célèbre Danse du sabre. Puis, un mouvement central plein de tendresse mais aussi de tristesse, avec des triple pianissimos exquis du soliste, complète le concert. Je m’attendais, cela dit, à un son plus brillant, plus propulsif du violoniste. Au contraire, il paraissait comme voilé, particulièrement au début de la partition, résultant ainsi en quelques déséquilibres entre lui et l’orchestre, qui enterrait son discours à quelques occasions. Ça s’est replacé en cours de route, et les feux d’artifices techniques du musicien (quelle maîtrise diabolique de son instrument!) ont soulevé la foule, disons-le, en délire. J’aimerais noter le jeu exceptionnel de quelques premières chaises de l’Orchestre : le corniste Louis-Philippe Marsolais qui a accompli à la perfection un solo d’une monstrueuse difficulté dans le 1er mouvement, puis, dans le même mouvement, le clarinettiste Simon Aldrich, dans un échange intimiste avec Radulovic, très à l’écoute (le violoniste s’est carrément retourné pour ce passage, faisant dos au public pour mieux dialoguer avec Aldrich). Un très beau moment.
Après une ovation prolongée, Radulovic a finalement donné un rappel : Što Te Nema de Aleksandar Sedlar, un chant bosniaque de deuil dans lequel le violoniste serbe a démontré qu’il ne peut être réduit à un virtuose de cirque médiatique. Dans cette pièce suintant la mélancolie, il réussit à atteindre un degré presque inimaginable de douceur dynamique. Quoi, quatre ou cinq pianissimos? Une aiguille heurtant le tapis l’aurait surpassé. Impressionnant. Cette pièce peut être entendue sur l’album Roots de Radulovic.
L’autre star soliste de la soirée n’est pas musicienne mais artiste visuelle. L’Ukrainienne Kseniya Simonova est dessinatrice sur sable et parcours le monde depuis plusieurs années. Elle a participé et parfois remporté toutes sortes de concours populaires tels les Got Talent de plusieurs pays (Ukraine, Britain, America, etc.). Ce qu’elle fait est très beau, et ressemble en plus fluide et animé à la technique des théâtres d’ombre.
Hier soir, elle avait le défi d’animer la partition de La petite sirène (Die Seejungfrau) de Zemlinsky. Bien sûr, le sujet lui-même se portait déjà très bien vers ce genre d’animation : un conte de fée classique, un accompagnement visuel évocateur, tout était en place pour un mariage pertinent. J’avoue que je ne m’attendais pas à ce que ce soit à ce point réussi et enchanteur. Non seulement la musique ondoyante et post-romantique, teintée d’impressionnisme, de Zemlinsky a ce qu’il faut pour transporter l’esprit et le cœur, mais la technique artistique de la dessinatrice virtuose y est parfaitement adaptée. Au gré de la musique qui se métamorphose constamment, Kseniya Simonova transforme elle aussi son canevas avec une fluidité magique. La barbe de Neptune, dieu des mers, peut tour à tour devenir, avec remarquable facilité et célérité, un vaisseau emporté par les flots ou un ciel étoilé. Sous nos yeux, et d’un geste manuel fin et discret, la queue de la sirène devient une paire de jambes élégantes. Ainsi de suite, afin que le public comprennent parfaitement ce qui est raconté par la musique (bien que tout le monde présent devait déjà connaître par coeur cette histoire).
La beauté du décor est amplifiée par la couleur légèrement dorée du rétroéclairage tabulaire, sur lequel virevoltent les grains de sable manipulés par l’artiste, offrant un aspect ancien, voire intemporel, au panorama fantastique déployé sous nos yeux. Tout cela projeté sur écran géant dans une maison symphonique subjuguée.
Je l’ai dit, l’Orchestre Métropolitain s’est surpassé. Mais je souligne également la direction claire et solide de JoAnn Falletta. Sans être époustouflante, la cheffe impose un ordre et une confiance assurée, en laissant assez de place pour l’expressivité des musiciens. Une maestra sans esbroufe, dévouée à la musique et laissant le ‘’show’’ à ceux et celles qui sont payés pour ça.
J’ai très bien senti que le public passablement profane est sorti de cette aventure avec un sentiment de satisfaction et d’émerveillement partagé. Bravo à l’OM, c’est exactement pour ça qu’existe la musique.