Le batteur montréalais Mark Nelson a voulu illustrer musicalement toutes « les choses bizarres » qui existent au-delà de l’atmosphère terrestre, bien au-delà, c’est-à-dire jusque dans d’autres systèmes solaires et mêmes d’autres galaxies. C’est donc cette idée qui sous-tend tout le contenu conceptuel de Postcards From the Cosmos, une collection jazz d’impressions venues de très loin et présentée hier soir au Dièse Onze, dans le cadre de l’OFF Jazz 2023. Un jazz interstellaire, philosophiquement parlant, mais très peu solaire dans son architecture harmonique. On se retrouve en effet dans un univers sonore sérieux et complexe, bien que supporté par une rythmique souvent insistante et bien propulsée par Nelson lui-même, bien sûr, et le discret mais élaboré Levi Dover à la contrebasse. C’est au piano, en vérité, que ça se passe. Andrew Boudreau, excellent, construit toute une constellation sophistiquée qui oscille entre l’atonal webernien et le chromatisme raisonnable.
Dans ce voyage, on se pose quelque part sur une planète ou il « neige » de la crème solaire (Kepler 13Ab – oui, oui, c’est vrai), on admire la galaxie dite du Sombrero (l’une des plus belles capturées par les téléscopes) en essayant de percevoir les échos ténus et très abstraits de la chanson Mexican Hat Dance dans la trame instrumentale, et on entend un « blues bizarre » définir l’astéroïde Oumouamoua (que certains ont pris pour un vaisseau alien) et un funk vaguement schoenbergien doublé d’accords pianistiques rappelant un peu Messiaen nous parle d’une planète à deux soleils, telle Tatooine dans Star Wars. Il y a même Pluton, saluée nostalgiquement comme ancienne planète (elle est désormais une « planète naine »). Nelson s’y connaît, de toute évidence.
On aurait cependant aimé un peu plus de « sense of wonder » dans cette musique de haut niveau, pour éviter parfois l’impression de cérébralité. La pièce titre, Postcards From the Cosmos, arrivée vers la toute fin, nous en a donné un brin. Il était un peu tard. Les étoiles, les galaxies, les nébuleuses colorées, les exoplanètes excentriques, tout cela est empreint d’une sorte de magie visuelle et spirituelle qu’on aurait souhaité plus fidèlement répliquée dans les constructions musicales. Néanmoins, le résultat final est férocement intelligent, savamment tissé en plusieurs couches de discours harmonique et rythmique, et réalisé avec des musiciens en très grande forme technique (encore une fois, Boudreau, impressionnant. Le collègue pianiste Félix Stüssi était présent, il a dit la même chose). On n’a peut-être pas été émerveillé, mais pour sûr, impressionné et jazzistiquement satisfait.