Chaque année, sinon chaque semestre de cette ère, nous apprécions un supravirtuose émergent, force est d’observer que les meilleurs sur Terre sont plus nombreux, que le nec plus ultra est plus considérable que jamais. Il y a quelques semaines, par exemple, une adolescente montréalaise électrisait la petite salle Claude-Léveillée, les capacités hallucinantes de Sophia Shuya Liu étaient dévoilées à son public précoce, ceci incluant des agents internationaux ayant eu vent de sa technique et de son jeu d’exception,
Dimanche après-midi, l’organisme Pro Musica nous ramenait Jaeden Izik-Dzurko, un jeune homme bardé de prix importants dont le Leeds, le Maria Canals et le Concours de musique international de Montréal (CMIM), frise la perfection.
Nous avons pris la pleine mesure de ce prodigieux musicien canadien de 26 ans, établi en Allemagne.
Côté JS Bach, l’exécution de la Partita no.4 en ré majeur BWV 828, est tout simplement idéale. Izik-Dzurko respecte impeccablement la partition, aucun affect inutile, aucune exagération repérable. Justesse et limpidité exemplaires, point barre. L’interprète est ici soucieux de respecter les intentions exactes du compositeur, sans pour autant faire dans l’austérité technique, dans l’obsession clinique – ce qui est souvent le cas des excellents… techniciens. Cette fine ligne entre virtuosité et musicalité sera honorée de la première à la dernière mesure de cet excellent concert.
De JSB, on passe aux Préludes op.23 de Rachmaninov, imaginés par le pianiste virtuose et compositeur au tournant du 20e siècle (1901-1903), dont le no. 5 en sol mineur est passé à l’histoire. Là encore, l’interprète est éblouissant de raffinement, de tonus et d’exactitude. Les enjeux de virtuosité sont exceptionnels ici, tout pianiste de concert se doit de maîtriser ce répertoire, alors que Izik-Dzurko arrive à le transcender sans débordement aucun.
Après l’entracte, la Fantaisie en en si mineur de Scriabine, composée également à l’aube du siècle précédent (1900), génère aussi cette impression de perfection, de compréhension absolue de la partition et d’un rendu à la fois sobre et profondément musical, même dans ses moments les plus enchevêtrés.
Pour un musicien qui se dit moins naturellement enclin à maîtriser Chopin dont il a joué la Sonate no.3 en si mineur op.58, on ne peut en relever des irritants, crispations et autres excès de zèle, même durant la phase la plus vertigineuse de la sonate à sa conclusion. Encore là, c’est du pur bonheur mélomane.
À 26 ans, donc, Izik-Dzurco atteint cette très grande maîtrise et il a un long chemin tracé devant lui. Bien sûr, la vie devrait engendrer chez lui les aspérités lui permettant de préciser davantage sa personnalité artistique et le rendre encore plus pertinent. De surcroît, plus touchant.