Un week-end d’octobre, quelque chose d’inusité se tramait au Nombre 110, salle de spectacle située en plein cœur des locaux de pratiques Les Studios de Rouen du quartier Hochelaga : un double lancement d’album pour les groupes montréalais TurboQuest et Chronochromie. Sur deux soirs, cet événement juxtaposait deux facettes très différentes du rock progressif d’aujourd’hui.
D’un côté, des arrangements flamboyants des meilleurs tubes de jeux vidéos et de l’autre, une musique aussi pesante que cérébrale, intransigeante dans sa complexité. Tout cela se liait néanmoins dans l’approche intello qui nourrissait les deux démarches. Qu’on ne s’y méprenne, le rendu en salle était spectaculairement ludique.
Chronochromie
Si l’art d’être « extrêmement progressif » existe en musique, c’est notamment à Chronochromie qu’on doit en attribuer le crédit. Le groupe, qui jouait à peine trente minutes, nous a laissé bouche bée, voire stupéfaits par une inéluctable virtuosité technique.
Bien que la musique progressive se soit développée à travers d’innombrables prolongements depuis les années 1970, il y a peu de choses que l’on puisse vraiment comparer au trio montréalais. Effectivement, le rock et le métal progressif se développent souvent par l’enchaînement élaboré d’idées musicales somme toute digestes.
Même si les formes sont longues et audacieuses, l’un des dénominateurs communs du genre reste tout de même l’utilisation de cellules répétitives. Ce n’est pas le cas de Chronochromie, qui varie et développe son matériau plutôt que ne le réitère. Sur les cinq titres du EP Epoch, aucune place n’est laissée à l’installation d’un groove de plus d’une mesure tant la musique est densément organisée.
Cette approche résolument contemporaine n’est pas sans rappeler la nouvelle musique héritière de la musique classique occidentale. Car Chronochromie, qui tire son nom d’une œuvre symphonique d’Olivier Messiaen, est à l’origine un projet du compositeur Alexandre David, connu pour ses œuvres instrumentales. Le travail rythmique et harmonique y est donc très poussé, chaque morceau du casse-tête agissant comme étape logique d’une forme toujours en mouvement.
Dans un autre contexte, l’absence de répétition pourrait être un choix casse-gueule. Par contre, David et ses comparses maintiennent toujours une certaine cohérence dans leur musique. Certains éléments mélodiques et harmoniques persistent effectivement au fil des morceaux, créant des échos familiers qui sont essentiels à la stimulation d’une écoute engageante.
Alors que la simple exécution de cette musique relève de l’exploit et pourrait suffire à gagner la sympathie du public, Chronochromie surprend également par la musicalité de sa proposition et sait tenir en haleine quiconque lui tend l’oreille. Une force locale en plein essor et qui ne demande qu’à être découverte.
TurboQuest
L’auditoire s’attendant à identifier des thèmes de Zelda et Mario Bros dans un concert de TurboQuest risque d’être un tantinet déçu. Si le groupe n’omet pas d’inclure ces classiques dans son répertoire, il fait principalement dans l’arrangement de pièces tirées de jeux beaucoup plus obscurs. C’est cette exploration férue de l’underground du jeu vidéo qui se poursuit dans un deuxième album intitulé Enter the Turboverse.
Décidément, le quintette instrumental a un public qui connaît bien le matériel original référencé. C’est d’ailleurs ce public, celui des gamers, chez qui TurboQuest a principalement bâti sa réputation. L’ensemble est effectivement un habitué des conventions telle l’Otakuthon de Montréal et il entretient des liens étroits avec l’Orchestre de Jeux Vidéos.
Cependant, même pour le néophyte, les morceaux de TurboQuest fonctionnent très bien comme pièces de power metal autonomes, avec leurs escapades progressives et leurs refrains accrocheurs. C’est là une excellente mesure de la valeur artistique de ce qui nous était présenté. Il faut également saluer la virtuosité des artistes, qui ont pour la plupart des formations académiques en musique. Leurs arrangements laissent fréquemment place à des soli où chaque musicien.ne a sa chance de resplendir. Chapeau au claviériste pour son utilisation d’une keytar lumineuse.
Chose certaine, c’est qu’on ne s’ennuie pas à écouter ces morceaux exécutés avec habileté technique et forte présence scénique. Au-delà de la nostalgie, le quintette assume pleinement son côté rock ‘n’ roll et tout le plaisir qu’il a à raviver l’univers ludique qui l’anime. Car au fond, c’est bien ça la vocation des jeux vidéos, divertir!