indie rock / rock

Franz Ferdinand et Telescreens, question de se décoiffer

par Marilyn Bouchard

Un lundi soir d’avril, sont arrivés sur scène les membres de Franz Ferdinand. Ces géants tranquilles, « straight from Glasgow », ont enflammé le MTelus!

Ils nous ont salués avec une exécution sans faille de The Dark of the Matinée, qui a tôt fait de réveiller les fans de la première heure et de conquérir les nouveaux.
On a pu apprécier un duo basse-batterie inspiré durant Michael, et un solo de trois guitares électriques à l’avant-scène lors de Everydaydreamer par la suite.

Love illumination, remplie d’énergie positive et de joie, a élevé l’ambiance d’un cran et c’est tout de suite après qu’Alex Kapranos nous a avoué « adorer les Québécois », échangeant plusieurs fois avec nous dans un très bon français, sans surprises puisqu’il partage sa vie avec la chanteuse française Clara Luciani.

Ils ont ensuite continué avec la chaleureuse Audacious, chanson à teinte traditionnelle écossaise accompagnée au banjo.

Sans surprises, Do you want to a, par la suite, fait exploser l’ambiance avec son énergie enlevante, la foule dansant allègrement sur les refrains.

J’ai apprécié découvrir Build It Up en concert, puisque la chanson prend vraiment toute son ampleur sur scène. Un moment mémorable où le chanteur tapait des mains avec la foule en tendant de multiples fois le micro. Une lente amplification qui a fait sourire même les plus endurcis par la fierté et l’encouragement qu’il partageait. 

Avec Can’t Stop Feeling, ils ont gâté les musiciens avec des passages inspirés sur chaque instrument, notamment un solo de synthétiseur bien senti.

Ils nous ont ensuite livré la tant attendue Take Me Out, le tube qui les a révélés et qui a transporté la foule en délire avant de terminer avec Hooked et Outsiders, durant laquelle le chanteur s’est laissé aller à quelques improvisations de bassin.
Après plusieurs minutes pendant lesquelles la foule scandait, ils sont revenus pour un généreux rappel de 5 chansons, dont une interprétation énergique d’ Ulysses et une magnifique exécution de Come On Home, avec la foule chantant en chœur les refrains, qui m’a suivie jusqu’à la maison.

La soirée s’était réveillée avec Telescreens, un groupe d’indie-rock and roll alternatif qui honore l’héritage New Yorkais et qui sonne comme les dignes enfants de The Strokes et The Vines. T-shirts déchirés, gueules de rockeur bouclées et atmosphère enfumée : tout y était pour se croire au début des années 2000. On a même (presque) eu droit à une guitare brisée.

Ils ont ouvert avec Games, prenant d’assaut la scène instantanément avec le riff de guit hypnotique, la prestance de Jackson Hamm et le rythme entraînant. L’énergie a rempli tout de suite la salle et on a vu plusieurs personnes se mettre à danser durant le bridge. Le chanteur nous a ensuite adressé quelques mots, en s’essayant de manière charmante en français.

Ils ont enchaîné avec Phone Booth, avec un plaisir évident entre eux et en faisant chauffer les amplis des guitares électriques. 

On a eu droit à quelques nouvelles chansons et ils ont interprété Times Like These, une chanson un peu plus punk où on peut sentir les influences des légendes américaines telles que Bad Religion et NOFX et Melancholy Dreaming, une chanson plus tranquille aux arrangements un peu plus électro.

Ils nous ont quittés en nous offrant une performance déchaînée de leur hit Lost, pendant laquelle les voix se sont complètement emportées et où le chanteur est monté sur la grosse caisse de sa batterie et a créé un crescendo avec la foule, se lançant au sol lors de la résolution. Leur prestation était l’une des plus inspirées que j’ai vues depuis un bon bout de temps.

Une décharge d’énergie insouciante de 45 minutes pendant lesquelles tout le monde avait 16 ans et qui nous a permis d’oublier de se prendre au sérieux pour un moment.

Un duo parfaitement assorti pour une soirée qui décoiffe, parfaitement réussie.

blues / Océan Indien / sega

Un éventail d’émotions avec The TWO

par Sandra Gasana

En ce dimanche pascal, le Club Balattou a eu droit à un spectacle électrisant du groupe The TWO, un duo composé d’un Mauricien installé en Suisse, Yannick Nanette et d’un Suisse, Thierry Jaccard. Pour l’occasion, ils étaient en formule trio avec le batteur Loris Martenet, qui faisait également les chœurs avec Thierry. La plupart des chansons étaient tirées de leur plus récent album Sadela, qui signifie « ces deux-là », en créole mauricien, paru en 2023.

Durant le spectacle, Yannick et Thierry ont changé de guitares à maintes reprises, parfois au milieu d’une chanson, ajoutant l’harmonica de Yannick dans certains morceaux et un mini-triangle, rappelant les rythmes brésiliens. D’ailleurs, l’insertion de sega et maloya dans le concert n’a laissé personne indifférent.

Tout comme lors de notre entrevue quelques jours plus tôt, Yannick fait référence au créole qu’est le Québécois, « ce que vous appelez français mais qui est encore mieux que le français », ajoute-t-il.

Les pêcheurs, une nièce, les femmes, les personnes disparues, voici certains des thèmes abordés durant la soirée mais toujours en prenant leur temps. Les chansons s’étirent en longueur justement pour nous faire passer par toute sorte d’émotions, commençant par de la mélancolie, puis en crescendo vers la joie avant de redescendre en douceur. Le timbre de voix de Yannick contribue à cette atmosphère nostalgique que permet le blues, tandis que les chœurs de Thierry et Loris permettent une profondeur à leur univers.

Timide durant les premières chansons, le public a commencé à se dégourdir petit à petit avant de se laisser aller aux rythmes des instruments dont l’intensité augmentait. La salle prenait son rôle de chorale très au sérieux, suivant minutieusement les consignes de Yannick.

Ma chanson coup de cœur restera Lao, même si c’est Fam couma ou qui est restée dans ma tête depuis le spectacle.

« Est-ce qu’il y a des Mauriciens dans la salle ? Des Réunionnais ? Des Malgaches ? » demande Yannick entre deux chansons, à quoi quelques personnes ont répondu positivement mais ils n’étaient pas nombreux.

On a eu droit à un rappel même si l’audience en demandait plus. Le fait que le lendemain était un jour de congé, on ne voulait pas que la soirée s’arrête. Espérons que lors de leur prochain passage à Montréal, une plus grande communauté mauricienne, réunionnaise ou malgache sera présente pour découvrir ce duo original, qui apporte autant de douceur que de puissance, nous faisant passer de l’un à l’autre.

Crédit photo: André Rival


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classique moderne / jazz moderne / période romantique

Soir de jazz symphonique à Laval

par Alain Brunet

À travers leur vies professionnelles qu’on devine intenses, les saxophonistes Yannick Rieu et Lionel Belmondo ont mis deux ans à mettre ce programme au point : un jazz symphonique construit, aménagé et reformulé autour des compositeurs Johannes Brahms, Maurice Ravel et Lili Boulanger, soit la fin du 19e  siècle et le début du 20e au service du jazz moderne. Malgré la tenue du débat des chefs et le match décisif du CH pour accéder aux éliminatoires de la LNH, une salle André-Mathieu bien garnie a chaudement accueilli l’exécution de ce programme.

La première intervention au programme est baignée de ces harmonies romantiques exécutées sur un mouvement lent et des notes graves. Les trois souffleurs de jazz se fondent dans l’Orchestre symphonique de Laval sous la direction de Daniel Bartholomew-Poyser. Jazzmen et interprètes classiques se fondent dans la partition, aucune improvisation n’est ici prévue.  

La section rythmique sextette s’amène pour une relecture orchestrale du Nocturne de Lili Boulanger, sœur cadette de la grande pédagogue parisienne Nadia Boulanger, soeurette dont les musiques sont de plus en plus jouées, un siècle après sa disparition tragique et prématurée: Louis-Vincent Hamel, batterie, Rémi-Jean LeBlanc, contrebasse, Jonathan Cahier, piano. Le menuet en do mineur de Ravel est parfaitement propice à la jazzification. On observe déjà les croisements entre le Français  Maurice Ravel et l’Américain George Gershwin, dont se sont nourris les plus grands penseurs du jazz moderne,de Bill Evans à Duke Ellington. 

Cette fois, le sextette s’impose au sein de l’OSL et impose cet équilibre entre jazz moderne et musique classique moderne. Les French, très solide trompettiste australien transplanté à Montréal, prend le premier solo, suivi du pianiste Jonathan Cayer, devenu l’un des très bons jazzmen de la période actuelle sur le territoire québécois. Les deux saxophones et la trompette sont entrelardés dans certains thèmes, familiers et agréables à l’écoute.

Composé pour le piano seul, ce Menuet en ut dièse mineur de Maurice Ravel a été orchestré et arrangé par Lionel Belmondo  pour orchestre symphonique et sextette de jazz. Le thème principal met en relief le saxophone soprano de Belmondo complété par les bois de l’orchestre, suivi du saxo ténor de Rieu. 

Inspirée du premier mouvement de la Symphonie No 4 de Brahms, cette pièce de Yannick Rieu implique l’improvisation des vents dont les lignes mélodiques ajoutent un contrepoint supplémentaire à la progression harmonique prévue pour l’orchestre. Il est alors intéressant de noter l’unification heureuse des deux esthétiques, cette fois dominée par le romantisme brahmsien.

S’ensuit Nostalgie, une pièce de Yannick Rieu dont il est le soliste principal aux côtés de Rémi-Jean LeBlanc, mais la partie jazz de l’œuvre demeure très jazz, l’orchestre se transforme alors en faste accompagnateur et rappelle les arrangements et orchestrations typiques des grands orchestres américains au milieu du 20e siècle.

Un riff de contrebasse introduit l’orchestre, le piano et les autres solistes du sextette. Le piano mature et assuré de Jonathan Cayer et le sax soprano de Rieu sont ici mis de l’avant. Les somptueuses harmonies  sont tellement propices au jazz moderne qu’on en oublie les fondements originels. Il faut toujours rappeler que les jazzophiles ont intégré les musiques romantiques ou classiques modernes sans nécessairement en connaître précisément le répertoire, en voilà une autre éloquente démonstration intitulée Ritournelle.

La suivante,Ballade sur le nom de Maurice Ravel , a été composée par Yannick et arrangée par Lionel, cette œuvre relativement courte est introduite par les cordes ravéliennes de l’OSL qui précèdent le thème exposé par le sextette. La nappe est dressée pour un riche exercice harmonique à l’échelle symphonique, l’excellent trompettiste Lex French y est mis en valeur pour une improvisation fervente qui en coiffe la conclusion.

Un solo de batterie bien senti de Louis-Vincent Hamel, et puis c’est parti dans un swing soigneusement enrobé par l’orchestre symphonique. Pour Pharaon de Yannick Rieu, des accords de piano précèdent le thème exposé à troix voix, on se trouve dans un romantisme luxuriant, et le piano s’élance sur un groove lent et ternaire avant de donner la réplique à l’orchestre symphonique et ses collègues du sextette pour conclure aux côtés des saxes, cuivres et compléments orchestraux.

Inspirée des Jeux d’eau de Maurice Ravel, La Couleur de l’eau est l’occasion pour Lionel Belmondo de fusionner le discours ravélien avec un jazz moderne typique des années 50, époque hard bop et Third Stream, s’envole alors Lex French dans un chemin dont il connaît parfaitement les balises.

On conclura ce programme ambitieux avec Embrahms-moi de Yannick Rieu, une pièce qui ne fut pas sans difficultés côté arrangement, dixit Lionel Belmondo. Le piano s’exécute d’abord et puis le romantisme brahmsien, donc pré-moderne et tellement repris dans les trames cinématographiques hollywoodiennes, se fond dans le discours de Yannick Rieu  dont le thème au saxophone est purement romantique.Solidement ficelé tout ça, au plus grand plaisir des mélomanes.

jazz

Big Band de l’Université de Montréal et Marcus Printup : de la grande visite et du très bon jazz

par Michel Labrecque

De la grande visite hier à la Salle Claude Champagne de l’Université de Montréal: le trompettiste Marcus Printup, membre depuis trente ans du Jazz at Lincoln Center Jazz Orchestra, dirigé par Wynton Marsalis. Printup a accompagné Betty Carter, Madeline Peyroux et Dianne Reeves entre autres. Et il a réalisé une dizaine d’albums en solo durant sa longue carrière.

Inutile de le dire: c’était un privilège pour les étudiant-e-s du Big Band de jazz de l’université de recevoir ce trompettiste renommé pour une classe de maître et par la suite, pour un concert. C’était peut-être aussi un petit brin intimidant. 

Sauf que Marcus Printup semble éprouver un plaisir fou à transmettre ses connaissances et à partager la scène avec des apprentis. Le trompettiste est très gestuel sur scène, claque des mains, fait parfois des « high five »aux solistes du Big Band. 

Sous la direction d’un autre trompettiste, le Brésilien João Lenhari, l’ensemble universitaire a démarré sur Airagin, du saxophoniste Sonny Rollins, pour se dégeler les doigts, suivi d’une pièce de Marcus Printup, Jojo’s Mojo. J’ai déjà l’impression que le groupe a gagné en concision depuis son concert du 13 mars. 

C’est véritablement avec Tutu, écrite par le bassiste Marcus Miller pour un album fétiche de Miles Davis de 1986, que le concert a pris son envol. Avec des arrangements complexes, qui métamorphosent la pièce originale, Marcus Printup s’est livré à de longues envolées de trompette, avec ou sans sourdine, qui ont démontré sa technique fluide, mais aussi sa capacité d’émotion. 

Printup ne le cache pas: il est un émule de Miles Davis, de qui il a parfois un peu de mal à se distinguer. En plus de Tutu, nous avons eu droit à Eighty One, du Contrebassiste Ron Carter, et Armageddon, du saxophoniste Wayne Shorter, tous des grands qui ont côtoyé Miles. Sur des arrangements pour big band de Marcus Printup.

Nous avons eu également droit à un extrait d’une suite écrite par Marcus Printup, qui, incidemment, s’inspire de son parcours d’étudiant à l’Université de North Florida. Et, puisque le Big Band a un directeur musical brésilien, il fallait une pièce originaire de ce pays. João Lenhari nous a présenté un arrangement très innovateur de Look To The Sky (Ola pro céu) du grand Tom Jobim. 

Les étudiant.e.s du Big Band ont eu à travailler fort sur ces arrangements pas toujours simples. Mais on les sent de plus en plus confortables. Celles et ceux à qui Lenhari a confié des solos ont disposé de plus de temps pour improviser et s’en sont bien tirés. La trompettiste Alice Julliard a eu l’opportunité de dialoguer en solo avec le maître Marcus Printup, ce qui a dû provoquer quelques frissons. 

Je retiens aussi le visage souriant de la saxophoniste Maude Gauthier, qui, tout au long du concert, semblait sur un nuage, ce qui ne l’empêchait jamais d’être concentrée et prête à jouer au bon moment. 

La Salle Claude Champagne était presque pleine, en partie de donateurs du programme, qui ont été même de constater que leur argent était bien investi. Un concert très agréable et prometteur. 

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classique occidental

Université de Montréal : une relève placée sous de bonnes étoiles

par Frédéric Cardin

Samedi soir, le 12 avril, avait lieu le concert des Étoiles montantes de l’Université de Montréal. Des finissants en direction d’orchestre, en composition et interprétation (flûtes) ont présenté le résultat d’années d’apprentissage. Celui-ci est inspirant.

La cheffe Marie-France Mathieu a commencé par présenter les trois premières pièces au programme, des créations de trois étudiants en composition, Gabriel José Melim Schwarz, Amichai Ben Shalev et Charles-Vincent Lemelin. Schwarz a offert une pièce néo-romantique tonale et plutôt solaire, ironiquement intitulée Folle. Vibrante d’énergie inspirée du Brésil natal de Schwarz, il s’agit d’une œuvre agréable à écouter, peu exigeante pour l’auditeur. 

Suivait A Groyse Metzieh de Ben Shalev, musicien que l’on connaît également pour faire partie de l’ensemble Les Arrivants. Le titre signifie ‘’une belle trouvaille’’, qui est en vérité une formule sarcastique typique de l’humour juif et qui veut dire ‘’pas grand-chose’’. J’ai beaucoup aimé cette pièce post-moderne qui mélange tonalité et avant-gardisme bruitiste, grâce à une large palette de techniques instrumentales liées à l’expérimentation. Ça commence dans une atmosphère sombre avec un thème chaleureux aux cordes, vite parcouru de saillies colorées que n’aurait pas déplues à Messiaen. Le reste avance lentement mais sûrement vers une saturation ponctuée de stridences tonitruantes avant de se terminer dans un retour à la consonance, mais avec le chœur des cuivres. Superbe.

Finalement, la Passacaille de Lemelin m’a fait le plus grand effet. Dans cette pièce qui traite l’orchestre comme une masse vivante, sombre mais néanmoins parcourue de nombreuses stries lumineuses, et qui se gonfle graduellement jusqu’à sa densité sonore et harmonique maximales, j’ai perçu des échos de Saariaho, de Rautavaaraa, mais aussi d’un certain monumentalisme Straussien et de l’expressionnisme musclé de l’ex-Hollywoodien Goldenthal. Passacaille est une démonstration de puissance tranquille, parfaitement calibrée et construite. Votre humble chroniqueur a grandement apprécié.

Le reste du programme faisait place à du répertoire Romantique, à commencer par un charmant Concerto pour deux flûtes de Franz Doppler, le roi de la flûte (avec son frère) au 19e siècle. C’était l’occasion de voir et entendre à l’oeuvre deux jeunes interprètes lauréats du 3e prix au Concours de Concerto de l’OUM 2024, Gabriel Lapointe Guay et Sarah Billet. Les deux artistes ont insufflé toute la pétillance voulue dans cette musique souriante et bienfaisante. 

La deuxième partie était consacrée à l’Ouverture Manfred de Schumann et à la Suite (1919) de l’Oiseau de feu de Stravinsky. C’était surtout l’occasion de juger du travail de direction de Marie-France Mathieu et de Paul Karekezi. C’est ce dernier qui nous a donné une Manfred pleine de drame, habitée par une nécessaire décharge d’émotions conflictuelles. Peut-être un peu tempérée, mais bellement incarnée. 

L’Oiseau de feu a été animé de très belles couleurs et de détails cristallins soulignés avec force par la cheffe Mathieu. 

Puisque les deux jeunes artistes en direction ont également mené l’OUM (Orchestre de l’Université de Montréal) dans les créations citées précédemment, j’ai pu remarquer deux personnalités de battue et de contrôle différentes mais complémentaires. 

Paul Karekazi, qui dirigeait la Passacaille de Lemelin (et comme je viens de le dire, Manfred), a témoigné d’une direction claire, certes, mais surtout imprégnée d’intensité émotionnelle et de force intérieure. Celles-ci favorisent des nuances appuyées et un legato empreint de lyrisme senti.

Marie-France Mathieu quant à elle, plus sobre dans ses épanchements, sait toutefois faire habilement ressortir les coloris détaillés et les contrastes texturaux de manière limpide grâce à une battue chirurgicale qui ne laisse planer aucun doute. Elle a très bien mené les pièces de Schwarz et ben Shalev, le Doppler (et bien sûr le Stravinsky). 

Soulignons que Karekazi et Mathieu sont des étudiants de Paolo Bellomia, les deux flûtistes proviennent de la classe de Denis Bluteau, et les trois compositeurs profitent du savoir de Jimmie Leblanc, Ana Sokolovic, François-Hugues Leclair et Olivier Alary. 

Ce fut une très belle soirée pour l’avenir de la musique à Montréal, au Québec et au Canada.

crédit photo: Tiago Curado

Une nuit rouge et bleue avec Zaho de Sagazan

par Félicité Couëlle-Brunet

Je ne savais pas encore, en montant les marches du MTelus ce jeudi 10 avril, que j’allais danser à perdre haleine avec ma mère, main dans la main, dans une mer de silhouettes en transe. Nous avions décidé d’aller voir Zaho de Sagazan, sans vraiment connaître la chanteuse, mais avec l’intuition que quelque chose de puissant allait se produire. Nous avions vu juste.

Dès les premières minutes, une tension électrique s’installe entre la voix grave et vibrante de Zaho et les textures synthétiques de ses musiciens. Ils sont quatre sur scène, concentrés, solides, et surtout, en parfaite osmose. Le décor est simple mais fort : des écrans projetant des effets granuleux, une lumière tantôt rouge sang, tantôt bleutée, qui sculpte les corps et les visages comme des ombres dans un rêve éveillé.

Au début du spectacle, Zaho s’adresse généreusement au public, nous racontant ses inspirations, ses désirs, ses blessures. On découvre une artiste à fleur de peau, profondément habitée par l’amour, par le manque, par l’attente et par l’élan. C’est là, dans cette première moitié, que ses chansons prennent tout leur sens. Chaque mot, chaque silence, chaque souffle est habité. On comprend alors que derrière l’électronique, il y a une amoureuse de l’amour, une femme qui transforme le sentiment en matière vibrante.

Puis quelque chose bascule.

À la moitié du concert, la scène se métamorphose. Les beats deviennent plus lourds, les lignes de synthé plus fluides. Zaho nous invite à ne plus nous regarder, à lâcher prise. Elle répète, presque comme un mantra : “Ne te regarde pas, lâche-toi.” Au début, on hésite. Puis, peu à peu, on se laisse prendre par le rythme. Ce n’est plus un concert, c’est une rave douce et viscérale, une transe collective dans un cocon rouge et bleu.

Ce moment de bascule est ce qui rend son spectacle unique. Peu d’artistes osent une telle mutation d’ambiance, passant du confessionnel à l’euphorique avec autant de naturel. On comprend alors mieux encore ce qu’elle cherche : se fondre, s’élever, brûler d’amour sans s’y perdre. Elle le chante, elle le vit, et elle nous y emmène.

Et puis, il y a les lumières. Ce jeu de contrastes entre ombres et flashs, entre chaleur et froideur, crée une esthétique presque cinématographique. À plusieurs reprises, je me suis arrêtée de danser juste pour regarder les silhouettes noires bouger dans la lumière, comme dans un rêve dont je ne voulais pas me réveiller.

En sortant du MTelus, encore étourdie, je regarde ma mère : elle sourit, les yeux brillants. Ce concert, c’était plus qu’un spectacle. C’était un moment suspendu, un rite de passage, une fête intérieure. Merci, Zaho, pour cette nuit où l’on a dansé sans se regarder — juste ensemble.

jazz / pop de chambre / pop de création

Magnifiques Héritières

par Marilyn Bouchard

Ce mercredi 8 avril au Théâtre Outremont avait lieu le spectacle Héritières, imaginé par la compositrice et chanteuse Karine Pion, qu’on connaît depuis un bon moment comme la choriste principale de Belle et Bum  ainsi que comme membre du groupe Galaxie. À l’ouverture de celui-ci, elle nous explique que ce projet est né durant la pandémie et qu’elle caressait depuis longtemps l’idée d’un spectacle multi-interprètes exclusivement féminin. En effet, parmi les 20 interprètes sur scène (et les artistes de la régie), aucun homme.

Retour sur une soirée de célébration féminine.

Le spectacle s’ouvre sur les solistes : Erika Angell, Simone Bournival, Marie-Christine Depestre, Coral Egan, Soleil Launière, Kim Richardson, Mamselle Ruiz, Meryem Saci, Malika Tirolien et Karen Young. En chœur autour d’un éclairage rappelant un feu, elles suivent la mesure donnée par Karine de manière presque dansée.

Le plaisir et le lien entre les chanteuses est palpable, dès les premiers instants.

S’amorce ensuite un voyage intergénérationnel féminin où enregistrements, souvenirs et confidences des proches viendront ponctuer le récit, souvent avec humour et tendresse. Accompagnées par la contrebasse, le violoncelle, le violon alto, les violons, le saxophone, la batterie et parfois la guitare, on entend tour-à-tour la mère, la sœur ou la grand-mère des interprètes nous communiquer leur vision et leur mémoire de ce qu’incarne leur identité de femme. 

On passe par un duo jazzy, un solo de batterie créatif et sensible, des propos engagés, un surprenant canon de voyelles, de la slam-poésie et une magnifique chanson espagnole qui nous transporte un instant vers la chaleur du Sud. Sans oublier la puissance de Kim Richardson qui, même sans amplification par moments, nous traverse avec la même résonance que ses collègues équipés d’un micro. Tout ça mis en lumière habilement, notamment avec un éclairage latéral mémorable qui crée une ombre surdimensionnée de l’interprète sur le mur du public. Très théâtral. En somme, une très belle soirée « au rythme des légendes et des traumas » où le talent québécois féminin est à l’honneur et où le ton engagé n’est pas sans rappeler que les victoires et les droits des femmes ne sont jamais facilement acquis et que l’acharnement et la lutte pour les atteindre ne sont, elles, jamais finies.

drum & bass / Hip Hop / trap

La déesse tunisienne Emel nous présente MRA

par Sandra Gasana

S’il y a une chose qu’Emel Mathlouthi maîtrise, c’est bien l’art de la mise en scène digne d’une tragédie. Avec une entrée en scène spectaculaire, des effets de lumière de circonstance, et accompagnée de ses deux musiciens, à la batterie et aux claviers, celle que l’on surnomme « la voix de la révolution » est apparue telle une déesse du haut de son trône. Avec sa couronne sophistiquée, une robe blanche de style antique sortie du XVème siècle, l’artiste tunisienne nous présentait son plus récent album Mra, qui veut dire femme en arabe, paru en 2024 et entièrement réalisé par une équipe de femmes.
Toujours avec un écran en arrière, sa voix est rarement à l’état naturel, elle utilise beaucoup de réverbération et joue avec son micro, ajoutant un effet énigmatique à son univers dans lequel le trap, le hip hop et le drum n’bass cohabitent harmonieusement. Emel entre réellement dans son personnage et se laisse aller, insérant des mouvements de danse saccadés sur plusieurs morceaux. Elle tape sur son tambour par moment, venant complémenter le travail de son batteur, et ajouter l’effet dansant.

Au bout de la troisième chanson, le public se met tout doucement à danser, en contraste avec le style un peu solennel des deux premiers morceaux. Emel rajoute aussi des sons pré-enregistrés qui viennent fusionner avec les images qui défilent en boucle, un vrai cocktail sensoriel. La plupart de ses chansons sont en arabe mais elle chante également en anglais, une langue qu’elle maîtrise, tout comme le français. Elle passe d’ailleurs de l’un à l’autre lorsqu’elle s’adresse à l’audience.
Malheureusement, Naya Ali, qui devait être de la partie, n’a pas pu être présente finalement. Cela dit, un moment fort du concert est lorsque l’artiste Narcy est arrivé sur scène pour le morceau Yemenade. Et là, la soirée a pris un tournant tellement son énergie s’est fait ressentir dans toute la salle. Il a réussi à nous faire chanter, danser, en un seul morceau, pendant qu’Emel dansait derrière lui, tapant sur son tambour doré.

L’autre artiste que j’avais hâte de revoir était Ziya Tabassian. Également de la partie sur quatre morceaux, il a rajouté la touche Moyen-Orientale traditionnelle au spectacle. Il s’accordait parfaitement aux rythmes du batteur avec qui il échangeait des regards. 

« J’espère que vous aimez les percussions folles comme celles que nous faisons ! On ne sait pas comment ça sonne de votre côté mais nous, on aime ça » dit-elle entre deux chansons. « Je n’arrive pas à faire des chansons douces, je n’y peux rien », nous confie-t-elle. 

Pendant le morceau Souty, qui signifie Ma voix, elle fait défiler des feuilles sur lesquelles il est écrit « My voice is time less like the wind », comme s’il s’agissait des paroles de la chanson. Elle en profite pour mentionner le nom des détenus sur certaines de ces feuilles.

Emel a pris le temps de partager le message d’un militant palestinien qui lui a écrit pour lui donner l’état des lieux. En effet, la Palestine était en toile de fond tout au long du spectacle, incluant durant la première partie qui était assurée par Checkpoint 303, un duo de DJ qui ont mis la table pour le spectacle d’Emel.Ma chanson préférée est Mazel, qui veut dire Encore, et qui parle de l’espoir qu’elle porte encore en elle, et du nouveau lendemain qu’elle compte construire. En guise d’arrière-plan, plusieurs femmes militantes défilaient l’une après l’autre.
Elle a terminé avec Rise, faisant participer le public sur le refrain, avant de nous offrir un rappel qui a fait plaisir à l’audience. Je m’attendais à voir un National plein à craquer, mais ce n’était pas le cas. Mais une chose est sûre : les personnes qui y étaient sont rentrées satisfaites de leur soirée.

Crédit photo: Ola Choukair

baroque / chant lyrique / classique occidental

« I Feel Pretty, Oh So Pretty » avec Thomas Dunford et Arion Orchestre Baroque

par Judith Hamel

C’est un doux vent venu d’Angleterre qui soufflait sur la Salle Bourgie dimanche après-midi alors qu’Arion Orchestre Baroque accueillait le luthiste franco-américain Thomas Dunford pour une aventure musicale tissée sur le thème de l’amour. Le programme proposait un grand écart musical allant de Dowland aux Beatles.

En tournée nord-américaine depuis déjà plusieurs semaines, c’était un dernier arrêt pour lui avant un retour en France.

Le concert s’ouvrait sur John Dowland (1563-1626), un compositeur et luthiste anglais reconnu comme l’un des plus grands de son temps. Dowland savait capter les élans du cœur humain avec des chansons à succès. Exilé sur le continent pendant une partie de sa vie, il a notamment servi à la cour du roi Christian IV de Danemark pendant près de dix ans.

Parmi les œuvres interprétées figuraient Come Again, Now, O Now I Needs Must Part, ainsi que la célèbre Lachrimae qui explorent les douleurs de l’amour et les débordements de la passion. C’est portées par la justesse du jeu d’Arion et l’expressivité de Thomas Dunford que ces pièces ont pris vie.

Le voyage se poursuit un siècle plus tard avec Henry Purcell (1659-1695), figure emblématique de l’époque baroque anglaise, reconnue pour avoir développé et réinventé la musique de son pays en y intégrant des influences extérieures. Thomas Dunford nous propose ici un véritable petit opéra, à partir d’airs tirés de The Fairy Queen et Dido and Aeneas. Les musicien·nes d’Arion se joignent alors à la soliste, laissant échapper leurs voix du dimanche avec une complicité visible du balcon.

Changement d’époque avec des extraits, version instruments baroque, de West Side Story de Leonard Bernstein (1918-1990). On voit le plaisir que prennent les musicien·nes à jouer les mélodies de cette comédie musicale culte. Surgit ensuite la soprano Marianne Lambert, qui livre un I Feel Pretty exaltant. Un moment décalé, digne d’un bal chez les Bridgerton, perruques en moins.

Puis, retour à un pilier du répertoire baroque avec Georg Friedrich Haendel (1685-1759), compositeur d’origine allemande devenu sujet britannique. Au programme, quelques-uns de ses tubes, dont la « Sarabande » de la Suite no 4 en ré mineur.

Pour clore cette traversée, une réinterprétation du moins surprenante de Something des Beatles, ponctuée d’un solo de luth au style de rockeur. Les musicien·nes ont finalement été présenté·es chacun·es à leur tour, sur une loop instrumentale additive à la manière d’un concert rock, sous les applaudissements nourris du public.

Un concert certainement divertissant, porté par des interprètes d’une grande qualité et un programme à la fois léger et bien construit.

crédit photo : Cédrina Laberge

chant choral / classique occidental / trad québécois

Sacré Gilles Vigneault | Entre Natashquan et Buenos Aires

par Judith Hamel

La musique sacrée nous raconte parfois plus que le catéchisme. Elle rassemble, elle élève, elle nous rappelle que nous sommes ici, ensemble. Ce samedi soir, le Chœur Métropolitain nous convie à une double messe à la croisée des Amériques. À la rencontre des peuples argentins et québécois, ces messes font vibrer les rythmes du quotidien, mêlant toutes deux les traditions européennes et les folklores locaux. 

Mais la véritable star du soir, c’était Gilles Vigneault. Une charmante vieille dame, assise à mes côtés, me souffle à l’oreille : « Monsieur Vigneault est là ! ». Les gens devant, derrière, se retournent et sortent leur téléphone pour capturer la présence de cette légende. Avant même que la première note ne résonne dans la Maison symphonique, une ovation s’élève pour saluer ce grand homme qui a forgé la nation québécoise. 

La première partie du concert était consacrée à l’Argentine à travers la musique de quatre de ses compositeurs : Carlos Guastavino, Astor Piazzolla, Juan de Dios Filiberto et Ariel Ramírez.

Le concert s’ouvre sur une note de merveille, de contemplation, avec Indianasde Carlos Guastavino. Ses mélodies charmantes nous chantent la pomme par des textes d’amour aux métaphores sur la nature. Dans Oblivion d’Astor Piazzolla, une œuvre initialement écrite pour bandonéon, l’arrangement pour chœur et voix soliste avec la soprano Myriam Leblanc nous a ensorcelé dès sa première note avec un timbre pur et coloré. Cette version mélancolique fait résonner la thématique de l’oubli dans l’œuvre comme une douce nostalgie. Avec Caminito de Juan de Dios Filiberto, on change de dynamique. Cette chanson légère, ancrée dans la tradition du tango, apporte une touche entraînante et conviviale au concert. 

Enfin, avant la messe québécoise, c’est la Misa Criolla d’Ariel Ramírez qui vient conclure cette première partie. Comme Gilles Vigneault avec sa terre natale de Natashquan, Ramírez explore ici le métissage des cultures, entre racines autochtones et héritages européens. Cette œuvre surprend par ses sections dansantes rythmées qui alternent avec des passages lyriques. Les solistes Antonio Figueroa (ténor) et Emanuel Lebel (baryton) étaient d’une magnifique complémentarité timbrale. Cette messe vivante et ancrée dans les traditions locales mérite d’être entendue et réentendue.

Comme Ramirez, Vigneault tisse les fils d’un peuple métissé dans cette messe qui évoque nos vents du Nord et la prière des gens ordinaires. Présentée en première mondiale, ce nouvel arrangement de la Grand-Messe par Sebastian Verdugo prend une forme légère et colorée, où les textures du chœur se mêlent à celles des guitares, du charango, du piano, de la contrebasse, du violon et des percussions. Si la plupart de la messe conserve une structure et des textes traditionnels, certains airs sont transformés en rigodon accompagné de cuillères et de guitare folk, ce qui surprend agréablement les auditeur·rices. 

Enracinée dans la mémoire de Vigneault de Natashquan, la première et dernière partie comprend des paroles en innu : « Shash anameshikanù. Matshik ! Ituték! Minuatukushùl etaiék. » (Maintenant que la messe est dite, Allez vivre en paix sur la terre). 

Enfin, après avoir patiemment attendu leur moment, les choristes de Vincent-d’Indy se sont joints aux musiciens pour les dernières chansons du concert. Sous les arrangements sensibles de François O. Ouimet, plusieurs chansons emblématiques de Gilles Vigneault ont été interprétées, en terminant évidemment par Gens du pays. Les regards rivés vers Vigneault, c’est tout un public debout qui lui a chanté notre hymne qui célèbre d’ailleurs cette année ses 50 ans, tout comme l’Alliance chorale du Québec. Un moment touchant où on ressentait l’amour d’un peuple pour notre Québec, mais surtout pour celui qui a fait naître cet hymne que l’on connaît tous et toutes si bien.

baroque / classique moderne / classique occidental / période romantique

Les Violons du Roy et Antoine Tamestit | Une performance saisissante et profonde

par Alexandre Villemaire

Deux ans après une rencontre musicale qui a été qualifiée de magistrale, l’altiste français Antoine Tamestit, considéré comme un des meilleurs au monde, renouait avec la scène québécoise en compagnie des Violons du Roy. Présenté jeudi soir à Québec, ce même concert qui a eu lieu vendredi soir à la salle Bourgie mettait de l’avant des thèmes tels la mort, la perte et les départs : des thèmes qui, malgré leurs côtés sombres, sont toutefois nécessaires à aborder et dans lesquels on peut trouver tout de même de la lumière et une forme d’humanité.

Sans préambule, une fois que l’orchestre et Tamestit ont investi la scène, la salle a été plongée dans le noir, avec comme seule source de lumière les lampes des lutrins des musiciens. Cette mise en scène préparait parfaitement le terrain pour la première pièce du concert, le choral Für deinen Thron ich tret’ich hiermit [Seigneur, me voici devant ton trône] de Johann Sebastian Bach, arrangé pour cordes. De l’aveu d’Antoine Tamestit, dans son allocution suivant cette courte pièce de Bach, il voulait faire vivre une expérience sensorielle où le public et les musiciens étaient amenés à ressentir la musique par la respiration, par les énergies intrinsèques du mouvement des lignes musicales. Le moment a effectivement été d’un grand apaisement, avec un son d’une douceur implacable, mais riche avec notamment ses harmonies et ses sons graves. Le soliste, qui pour la première partie officiait également en tant que chef, a enchaîné avec la Trauermusik pour alto et cordes de Paul Hindemith, composée quelques heures après la mort du roi George V. On entre alors dans un autre univers et langage harmonique aux textures et matériaux musicaux variés qui finit par se conclure par la citation du même choral de Bach.

Tamestit invitait par la suite le public à un jeu de piste auditive avec le Lachrymae de Benjamin Britten où le compositeur cite sous forme de variations la chanson du compositeur élisabéthain John Dowland, If my complaints could passions move. Afin d’apporter du contexte, il a interprété l’original dans un arrangement de son cru précédé du très beau Flow my tears. Un moment particulièrement touchant où le jeu de Tamestit s’est exprimé dans un jeu sensible alors que les cordes l’accompagnaient en pizzicato. Dans la pièce de Britten, Tamestit a convié les auditeurs à essayer de repérer les extraits musicaux de ces chansons de la Renaissance disséminées dans l’œuvre de Britten. Il y avait un fort attrait à venir piquer l’attention des auditeurs et les invitait à ouvrir grandes leurs oreilles à cet univers sonore. Mettant de l’avant une interprétation des lignes musicales avec une épaisseur de son enveloppante et un grain pur et charnu, il a fait montre d’une musicalité investie et sensible. Il faut cependant l’avouer, c’est Britten qui a gagné la partie de cache-cache musicale, les extraits de Dowland demeurant peu identifiables, même pour des oreilles aguerries.

La pièce de résistance du concert consistait en l’arrangement pour orchestre à cordes, toujours de la main de Tamestit, du Quintette pour cordes en sol majeur de Johannes Brahms. Pour cette ultime pièce où Antoine Tamestit se joint à la section d’altos, nous avons eu droit à un feu roulant d’émotions et de vivacité lumineuse, notamment dans le premier et le dernier mouvement, alors que les mouvements centraux – Adagio et Un poco allegretto – flirtaient respectivement avec des accents folkloriques hongrois et des affects mélancoliques. Dans cette nouvelle texture à l’amplitude sonore augmentée, jouer à 21 instrumentistes ensemble sans chef est un défi que Les Violons du Roy ont relevé avec brio et aplomb, donnant un résultat particulièrement entraînant et saisissant, surtout dans le dernier mouvement, extrêmement dansant aux inflexions tziganes.

Au vu de la chaleureuse ovation que le public a offerte et à voir les sourires radieux des musiciens, cette deuxième collaboration entre Antoine Tamestit et les Violons du Roy mérite d’être renouvelée. Ayant commencé dans la pénombre et le recueillement, c’est dans une grande lumière et une énergie humaine que s’est donc conclu ce concert. Faire ressortir du beau d’un programme qui trace en filigrane les thématiques de la mort et de la perte n’est pas novateur en soi. Mais, dans ce programme empreint d’une savante organicité, où l’on est transporté naturellement d’un état d’esprit à un autre, on vient rappeler que même dans les moments les plus sombres, on peut trouver du beau. Pour citer Félix Leclerc : « C’est grand la mort, c’est plein de vie dedans. »

crédit photo : Pierre Langlois

baroque / chant choral / chant lyrique / classique occidental / musique sacrée

Ensemble Caprice | Une belle soirée sous le signe de la Passion

par Alexis Desrosiers-Michaud

À deux semaines près, l’Ensemble Caprice et Matthias Maute préludaient les célébrations pascales avec la présentation de la Passion selon saint Jean de Johann Sebastian Bach. Dans son discours d’ouverture, Maute raconte que cette œuvre a beaucoup de liens, surtout dans les airs, avec l’art opératique. Comme il nous l’a mentionné plutôt en entrevue, « La Passion selon saint Jean alterne récitatifs, airs et chœurs pour porter le récit avec intensité. Les récitatifs racontent l’histoire, les airs expriment les émotions des personnages, et les chœurs incarnent la foule, renforçant le drame. L’orchestre soutient l’ensemble avec une écriture expressive qui souligne les moments clés. » La preuve nous en fut faite vendredi.

En l’absence de mise en scène, caractéristique de l’oratorio, il faut un narrateur, dans ce cas-ci, l’Évangéliste, pour décrire les scènes. Soutenant toute l’œuvre sur ses épaules, le ténor Philippe Gagné réussit haut la main le défi d’interpréter ce rôle ingrat, mais ô combien important. On voit clairement son intention de raconter réellement une histoire, avec une diction allemande impeccable et laissant les phrases textuelles dicter son interprétation, au lieu de suivre la partition, prêtant une confiance absolue envers le continuo.

L’autre découverte de la soirée est le choriste-soliste William Kraushaar – dont la composition nous avait subjuguées au dernier concert de Caprice -, dans le rôle de Jésus.  Non seulement sa voix est claire, mais Dieu qu’elle porte ! Nous avons déjà hâte de l’entendre comme soliste lors de la prochaine saison. Bien qu’ils interviennent peu, le contre-ténor Nicholas Burns et la soprano Janelle Lucyk livrent leurs arias avec beaucoup d’émotion. Burns est très émouvant en duo avec la larmoyante viole de gambe dans Es ist vollbracht (« Tout est achevé »). Quant à Lucyk, sa voix est quelque peu retenue, mais se fond bien avec les flûtes dans l’ariaIch folge dir gleichfalls (« Je te suis »). Ces deux solistes livrent non seulement leurs arias avec musicalité, mais également avec une présence scénique envoûtante et émouvante.

Le chœur est très bien préparé, et les articulations sèches qui lui sont conférées cadrent bien avec le rôle qu’il occupe, soit la plèbe qui ordonne et acclame l’action du récit biblique. Le meilleur exemple est le morceau « Kreuzige » (Cruxifiez-le! ») où les articulations courtes et accentuées sont incisives.

À la toute fin de l’œuvre, il y avait quelque chose de solennel de voir les solistes (sauf Jean l’Évangéliste) rejoindre le chœur pour entonner un Rut Wohl dansant, et le choral final, en guise d’accompagnement, de remerciement et de célébration de la vie du Christ.

crédit photo : Tam Lan Truong

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