pop orchestrale

OSM | Le retour magistral de Half Moon Run à la Maison… symphonique

par Marilyn Bouchard

Les 15 mai à la Maison symphonique avait lieu la dernière de 3 représentations de ce retour de Half Moon Run auprès de l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction d’Adam Johnson.

La soirée a commencé sur Everyone’s Moving Out East, richement accompagnée par la totalité de l’orchestre. La planante 9beat  a suivi au rythme des percussions brillamment enrichies, auxquelles se sont ajoutées délicatement les chœurs féminin et les violons, amplifiant la lumière de l’épopée musicale, qui s’est terminée nettement au moment du climax, sous les acclamations de la foule. 

On est redescendus pour Goodbye Cali, avec les gars qui se promenaient sur la scène avec de grandes enjambées au rythme de la promenade et qui s’est terminée sur les partitions de piano qui s’entrelaçaient, versant dans le jazz.  Crawl Back In a ensuite ouvert, tout en douceur, seulement à la guitare sèche et à la voix appuyés par les violons, évoluant rapidement vers plus de complexité. On s’est retrouvé suspendus pour un moment dans le temps avec eux.

Tout de suite après, moment fort de la soirée, How Come My Body, une de mes préférées, est devenue complètement déchaînée avec les percussions et les contrebasses qui alourdissaient l’atmosphère et les chanteuses venant densifier les refrains. 

Razorblade et Loose Ends ont été présentées de manière entraînante et rythmée où les cuivres et plus particulièrement le trompettiste solo Paul Merkelo, pouvaient investir tout leur espace.  You won’t (look me in the eyes)  était vraiment bien accompagnée par les violons, nous surprenant avec un magnifique solo de Marianne Dugal notamment, et enveloppée par les harmonies vocales féminines alors que l’atmosphérique Another Woman s’est presque rapprochée du rock progressif/alternatif de Muse avec l’orchestre et une abondance de staccatos. On a une droit à une version riche et profonde d’ It’s true, sur laquelle les contrebasses ont décuplé le potentiel dramatique de la chanson, ainsi qu’à celles de Grow Into Love et Then Again ornées de violons qui se superposaient, entre pizzicatos et legatos qui remplissaient les airs.

L’attendue Full Circle s’est amorcée au rythme des percussions savamment exécutées par Serge Desgagnés, il faut dire que c’était la chanson parfaite pour mettre en lumière cet angle de l’arrangement orchestral et a vite progressé vers une des orchestrations les plus magistrales de la soirée.Call me in the afternoon, accueillie chaleureusement par le public, s’est quant à elle distinguée par son duo de guitares électrisant au devant de la scène. Se sont ensuite enchaînées  I can’t figure out what’s going on  et She wants to know you can let go, débutant sur une introduction de flûtes et de hautbois, rapidement accompagnés par les autres vents, qui n’était pas sans rappeler Tchaïkovsky. Le rappel,  Sun leads me on ,  a terminé magnifiquement la soirée en commençant avec Devon, Conner et Dylan qui sont montés trouver le chef sur la plateforme centrale afin de livrer en choeur, autour du même micro, la dernière chanson. Ils ont progressivement été joints par les chanteuses, les flûtes, haut-bois et clarinettes pour un crescendo final qui nous a laissé avec la tête remplie de musique.
Tout au long du spectacle, les arrangements sensibles et remarquables de Blair Thompson ont délicatement fait briller les points forts des compositions d’Half Moon Run. Un spectacle senti, bien calculé et extraordinairement bien exécuté, conduit de main de maître par Adam Johnson. Si vous n’y étiez pas, vous avez manqué un MOMENT

Crédit photo : Antoine Saito

Balkans / chant choral

Envoûtante Croatie chorale au Centre des musiciens du monde

par Frédéric Cardin

Je fréquente assidûment les Concerts intimes du Centre des musiciens du monde (CMM), depuis le tout premier en janvier dernier. Ils sont tous excellents, présentant chaque fois des artistes de grande qualité, installés à Montréal pour sa vitalité culturelle et, ce faisant, enrichissant cette dernière de manière exceptionnelle, grâce aux sonorités traditionnelles et raffinées venues du Rwanda, de la Syrie, de la Mongolie, de l’Iran, du Pérou, etc. Si je connais assez bien tous les artistes jusqu’ici présentés (et à venir) dans la série, une exception était sur scène hier soir : l’ensemble vocal Sava, dont je ne supposais pas l’existence jusqu’à tout récemment. J’ai été tellement séduit que je devais vous en parler.

Sava est un quatuor vocal entièrement féminin consacré aux chants polyphoniques traditionnels des Balkans. Pour ce concert, Sava a traversé une partie du répertoire issu spécifiquement de la Croatie, avec des chants profanes et religieux. Cette performance, derrière l’autel de l’église Saint-Enfant Jésus (dans une jauge hyper intime, donc) m’a totalement bouleversé. La faute à l’effet de surprise, de un, mais aussi à l’exceptionnelle qualité vocale des quatre interprètes, Antonia Branković, Dina Cindrić, Sara Rousseau et Sarah Albu (cette dernière également l’une des plus excitantes voix récentes en musique contemporaine et avant-gardiste de la métropole). Dans l’acoustique parfaite de l’endroit, les séduisants frottements de tierces, de quartes et de quintes des quatre voix ont produit un effet vibratoire bienfaisant sur le public réuni, et sur votre humble chroniqueur, comme transporté dans le temps et l’espace, dans une Dalmatie ancienne et parfaitement authentique. 

Je ne sais pas si les dames se produisent souvent en concert, mais elles ont intérêt à le faire! Et si jamais la chose vous intéresse, sachez que l’ensemble est issu des cours de musique de toutes sortes disponibles au CMM! 

ÉCOLE DE MUSIQUE DU CENTRE DES MUSICIENS DU MONDE

classique occidental / musique contemporaine

Nouvel Ensemble Moderne : un vif éloge aux textures réussi

par Alexandre Villemaire

Pour conclure sa première saison comme directeur artistique du Nouvel Ensemble Moderne, Jean-Michaël Lavoie a présenté un programme axé sur deux figures incontournables de la scène internationale en musique contemporaine, Kaija Saariaho (1952-2023) et Pierre Boulez (1925-2016), complété par une création du compositeur québécois Nicolas Gilbert.

Contextualiser des œuvres de musique contemporaine peut parfois s’avérer périlleux hormis pour les aficionados et les habitués de ces ensembles et de ces concerts. Pour rendre plus accessible et préparer l’auditeur à ce qui allait être présenté dans la salle Pierre-Mercure, une activité de médiation était offerte avant le concert, pendant l’entracte et à la fin. Le public était invité respectivement à écouter des extraits des trois œuvres aux programmes tout en touchant à l’aveugle différents objets aux textures diverses et à l’associer à l’œuvre de leur choix, s’interroger sur ce qu’est l’appel intérieur et à la fin de la soirée, comparé leur première impression et revenir sur celles-ci s’il en sentait le besoin.

L’appréciation des œuvres ne passe donc plus uniquement par une écoute stricte, mais par une mise en relation, une question ou une interrogation sur la perception. Un moyen ludique et sans prétention qui ne demande pas une compréhension approfondie des formes, du langage ou des techniques, mais qui fait appel au ressenti et au sens des personnes. À voir le certain engouement et la participation honorable du public, ce type d’activité, qui marque depuis déjà quelques années les débuts de concert, est à conserver.

Le concert démarre donc dans l’intime avec Cendres de la compositrice finnoise Kaija Saariaho. On y retrouve Francis Perron au piano, Julie Trudeau au violoncelle et Jeffrey Stonehouse à la flûte. La pièce tresse un dialogue entre les trois instruments, chacun essayant à différents moments de coexister. Saariaho travaille avec les textures des différents instruments, notamment par l’emploi de techniques de jeu étendues (sul tasto, flatterzunge, etc.) L’œuvre s’ouvre sur un grondement sourd de violoncelle qui se fond dans le timbre des cordes du piano qui ont été grattées. Les trois instruments se rejoignent par moment dans des points d’ancrage texturaux, pour ensuite reprendre leur dialogue exprimé sous différentes formes idiomatiques.

Commande initiée par la prédécesseur de Jean-Michaël Lavoie et fondatrice du NEM Lorraine Vaillancourt, L’appel intérieur de Nicolas Gilbert se présente comme un concerto pour cor solo et ensemble. Ici encore, on assiste à un jeu de texture et de timbre avec des échanges entre le cor et l’orchestre et un développement musical dynamique et engageant où le soliste Jocelyn Veilleux rivalise de virtuosité technique avec son instrument. 

Comme œuvre maîtresse occupant toute la deuxième partie du concert Dérive 2 de Boulez est une des œuvres les plus connues du compositeur, dont l’année 2025 marque son centenaire. C’est aussi une des plus exigeantes, tant pour le chef que pour les musicien·ne·s. S’en est une aussi qui est symbolique pour Jean-Michaël Lavoie, lui qui a été chef assistant de l’Ensemble intercontemporain de 2008 à 2010, et qu’il souhaitait faire avec l’ensemble montréalais. Programmé du Boulez dans un concert relève toujours d’un pari relativement audacieux, tant le langage structurel de Boulez est dense et les formes complexes. Mais, c’est un pari qui a été relevé avec brio, dynamisme et élégance. Jean-Michaël Lavoie a la très grande qualité de rendre par sa gestique le matériel musical signifiant et digeste pour le public et clair pour les instrumentistes. 

Le cadre dans lequel il bat ses mesures demeure rigide et calculé; les multiples rythmes irréguliers et les dynamiques changeantes l’exigent. Mais, alors qu’il pourrait se contenter d’une battue pratique et ergonomique – qu’on associe à d’emblée à Boulez -, celle de Lavoie est musicale, pleine d’élan, de portée et d’énergie. L’œuvre est clairement découpée en différents blocs texturaux, où dès qu’une séquence mélodico-rythmique est entamée, celle-ci devient cyclique et se répète. Cette régularité identifiable crée un point d’ancrage auditif et un repère familier auquel on s’accroche naturellement pendant le déroulement de la pièce. Combiné au spectacle visuel qu’est la performance des musiciens et de la direction signifiante de Jean-Michaël Lavoie, un œuvre que l’on pourrait qualifier d’aride, devient soudainement accessible.

En concluant la première saison de sa nouvelle direction artistique d’une telle manière, on peut sans aucun doute dire que le NEM est entre de bonnes mains.

crédit photo : Dominic Blewett pour Tam Photography

groove / indie pop / rap keb / soul/R&B

Finale des 29e Francouvertes: Muhoza et sa troupe ont conquis le public et le jury

par Alain Brunet

Les finales de concours se suivent et se ressemblent: l’enthousiasme et la bonne humeur contagieuse du public face à un groupe survolté, néanmoins compétent, pèsent plus lourd dans la balance, et c’est ce qu’on a constaté lundi 12 mai au Club Soda, où se déroulait la finale des 29e Francouvertes. Fils d’immigrants Camerounais et Rwandais, extirpé d’un HLM du nord de la ville pour être ainsi propulsé à l’avant-scène de la relève keb, voilà certes un heureux exemple de mobilité sociale: Muhosa et sa troupe ont remporté le grand prix des Francouvertes, ceci incluant une bourse SiriusXM de 15 000 $.  

Excellente entrée en matière, au croisement du free-jazz et de la soul, puis la première vraie chanson se met en branle sur une progression d’accords non sans rappeler le hit cinquantenaire Saturday in the Park (Chicago) et qui nous annonce que “tout va bien aller ce soir”. Au programme, jazz rap, boom bap des années 90, groove, saxophone alto, guitare, basse, claviers,  batterie, le tout chapeauté par un rap keb de bonne tenue. Muhoza est secondé par un chanteur de puissance qui lui donne la réplique mélodique, ce septuor compte 4 Afro-descendants et 3 visages pâles. Beau à voir!

On devine que ces mecs ont pour la plupart bénéficié d’une vraie formation académique, car ils savent jouer. Le groove est bon, les impros sont survoltées, bien que les structures compositionnelles demeurent très simples. La facture générale me semble même échevelée par moments mais sert bien  le flow de ce très sympathique MC. Ça se conclut en franglais et sur des  “I am on Fire” et des “One love” bien sentis.  Clairement le choix du public.

Si j’avais voté, cependant, je ne me serais pas fié à l’applaudissomètre et choisi Kat Pereira en première position. Musicalement supérieure à ses concurrents, meilleure instrumentiste, meilleure compositrice, meilleur groupe. On devine que la soliste et ses collègues sont capables de créer des univers plus complexes et assez fédérateurs pour ainsi s’imposer dans un avenir proche.

Nusoul, jazz, groove, une bonne touche de pop et juste assez de rugosité m’ont personnellement convaincu basse  percussions,  basse,  guitare drum claviers, meilleurs musiciens. On leur devine une formation collégiale et/ou universitaire.

Kat Pereira a une voix juste et adolescente, un peu mince on en convient, mais ce petit bout de femme compense par son énergie extraordinaire. D’autant plus que ses chansons sont très solidement ficelées, dans l’esprit soul keb des Louanges et Rau-Ze…. On lui devine aussi l’influence directe jazzy-punk de Nai Palm (Hiatus Kaiyote) avec un petit côté Diane Tell décennie 80 because le français. Elle a vraiment du talent, cette Kat qui ne croit plus au karma, comme elle le chante dans un texte engagé en guise de conclusion. Elle finira dernière, ce qui n’a rien de particulièrement étonnant dans un tel contexte.

En première partie, c’était mon troisième choix et qui finit deuxième: Leone Volta. Venu de Beauce en 2018, le frontman montréalais nous est apparu sur scène comme un gentil nounours, à la tête d’un gentil quartette. Fan de prog rock, d’ambient/new age et de folk rock, Anthony Cayouette aime visiblement les guitares texturées et saturées avec goût, les claviers space pop, les tempos lents ou moyens, les envolées lyriques.  Sa voix de contre-ténor (ou de ténor lorsque les mélodies le commandent) rappelle d’ailleurs Bon Iver, sa tronche fait un tantinet penser à celle d’un Mac DeMarco porté différemment sur le vintage, mais l’auteur-compositeur-interprète se montre plus années 70  que son collègue canadien de réputation internationale. Les eaux calmes de Leone Volta peuvent s’agiter, on peut y passer au rock sur de paisibles et langoureuses fréquences et atteindre des pointes plus musclées que soupçonnées d’entrée de jeu. On attrape des bribes de textes romantiques et aériens, il est question de réflexions simples et  intimes sur l’existence.

Inutile d’ajouter que les 30e Francouvertes se tiendront en 2026.

baroque / classique occidental

Violons du Roy |  Jeux célestes pour un Bach cérémoniel

par Mona Boulay

Samedi le 3 mai a vu être performé le premier concert des Violons du Roy au Monastère des Augustines depuis la pandémie de COVID-19. Un retour remarqué en ces lieux somptueux, accordé autour de la musique de Bach.

Nous sommes avisés avant le début de concert : celui-ci se voudra proche d’une cérémonie, les applaudissements doivent être réservés pour la fin de la dernière pièce de programme. Ceci étant dit, petit hic, le dernier morceau inscrit sur ce dernier n’est pas le bon, ce qui causera des applaudissements au mauvais endroit, sous les regards gênés des musicien·ne·s.

Le concert s’ouvre sur trois extraits de L’Art de la fugue, BWV 1080 de Bach, le premier en formation complète orchestrale au centre de la pièce, et les deux suivants en trios. En groupe, on est marqué par un superbe effet de tension suspendue avant la section finale de l’extrait, tandis qu’en trio se révèlent les sons purs des musicien·ne·s, usant de vibrato avec parcimonie pour les rendre encore plus poignants.

S’en suivent alors deux pièces en solo : la première, « Allemande », extraite de la Partita pour violon nº2 en ré mineur,est interprétée au violon par Angélique Duguay, dans les hauteurs du jubé de la chapelle. L’ensemble est bien exécuté. La deuxième pièce est le « Prélude » extrait de la Suite pour violoncelle nº1, interprété pour l’occasion à l’alto par Jean-Louis Blouin, cette fois-ci de retour au centre du bâtiment. Son jeu riche en nuance et en vitalité nous laisse une agréable sensation de beauté en bouche.

Par la suite, le concert se déroule avec deux extraits de concertos de Vivaldi, dont le premier se distingue par un superbe accompagnement en lourés délicats de l’ensemble sur un solo de Katya Poplyansky au violon. Le deuxième extrait a quant à lui présenté des unissons d’ensemble d’une grande qualité, avec des envolées encore une fois très vivantes de Jean-Louis Blouin à l’alto.

Après ces retours en formation complète, les solistes sont de retour pour trois extraits de Bach. Raphaël Dubé nous interprète au violoncelle le « Prélude » extrait de la Suite pour violoncelle nº3 en do majeur, superbement joué, visage tendu vers le plafond, dynamique : une véritable effusion de joie. On poursuit avec l’« Adagio » de la Sonate pour violon nº3 en do majeur, interprété par Katya Poplyansky, une pièce avec des couleurs plus atypiques, notamment des débuts de valeur longue en appogiatures arpégées très rapides, rendues avec toute la subtilité de la musicienne. Enfin, c’est aussi au violon que Pascale Gagnon nous présente l’« Allegro », extrait de la Sonate pour violon nº2, dans un jeu riche et virtuose, dont les questions-réponses internes avec elle-même sont parfaitement rendues.

Approchant tranquillement son terme, le concert se poursuit avec le célébrissime Canon en  majeur de Pachelbel, avec de beaux échanges de motifs entre les pupitres, avant de se terminer sur l’« Air » extrait de la Suite pour orchestre nº3 en ré majeur de Bach, lui aussi très connu. S’il est à mon goût toujours risqué de reprendre ces mélodies (peut-être trop ?) éprouvées du public, la performance est réussie, le jeu de tension et des résolutions est maîtrisé. 

Le concert, d’une durée de 60 minutes, dans ce lieu magnifique, a offert des airs célestes, dont le public a semblé conquis.

crédit photo : Monastère des Augustines

classique moderne

OCM : Bernstein et ses ‘’side stories’’ à l’honneur

par Frédéric Cardin

L’Orchestre classique de Montréal donnait un concert bénéfice sous les auspices de la musique de Leonard Bernstein, le samedi 3 mai 2025. En vedette, la soprano Sharon Azrieli, la mezzo Julie Nesrallah, le baryton James Westman et le violon solo de l’orchestre, Mark Djokic. Rappelons que l’argent amassé permettra d’offrir un accès à des concerts classiques aux nouveaux arrivants, aux personnes âgées en milieu de santé et à d’autres groupes qui ne bénéficient pas des mêmes opportunités que la population en général. 

Audace? Témérité? Intégrité artistique? Ce sont des œuvres austères’’, dans le panthéon bernsteinien, qui ont dominé la soirée (Arias and Barcarolles, et la Serenade (selon le banquet de Platon)). À peine deux extraits de West Side Story (le Mambo et Somewhere, placés aux deux extrémités du concert) et un air de Candide, même pas celui auquel nous sommes habitués (Glitter and be gay) mais plutôt I am so easily assimilated, qui mérite pleinement d’être entendu lui aussi. 

Si le Candide était réussi avec la soprano Sharon Azrieli en forme aguicheuse, le Mambo a souffert de décalages rythmiques (un péché mortel dans ce genre de musique) et Somewhere n’était pas plus que correct, avec les trois solistes vocaux et l’orchestre. Une fois ces bémols appuyés mentionnés, cela dit, je suis heureux de dire que le corpus central du concert était, lui, extrêmement réussi, voire splendide. 

Arias and Barcarolles est la dernière œuvre majeure de Bernstein (1988, un an avant sa mort). C’est un cycle de neuf mélodies qui forment un tout narrativement cohérent, tel un mini opéra, pour mezzo-soprano, baryton et orchestre. En moins de trente minutes, sont évoqués les aléas d’une vie de couple, des débuts à l’âge avancé, avec des réflexions sur l’amour, la vie, etc. L’écriture resserrée laisse tout de même transparaître une large panoplie de styles musicaux, tels le jazz, le blues et l’atonalisme moderne. Contrairement à Mass, par contre, point de collisions frontales, et même déboussolantes, entre les genres cités. Plutôt une grande maturité dans l’organisation des oppositions et de l’éclectisme. Une œuvre qui mérite d’être bien plus vastement entendue. 

Les solistes, Nesrallah et Westman, étaient en très bonne forme, surtout la mezzo, criante d’authenticité et de justesse dans le jeu scénique offert (et dans les limites de ce que pouvait permettre la situation). Je n’avais jamais vu cette dame, également animatrice à la CBC, sur scène auparavant. Je voudrais la revoir dans une véritable mise en scène opératique. La partition d’orchestre est, soulignons-le, redoutable. Chacun est à nu, les rythmes s’entrecroisent, les jaillissements de notes sont d’une précision imparable, et tout doit être mené avec un doigté et une fermeté technique impeccable. La cheffe Mélanie Léonard, discrète mais fiable, a relevé le défi, avec les musiciens.

L’autre gros morceau était la Serenade, un concerto pour violon qui ne dit pas son nom. Bien que mieux connue que la précédente, cette œuvre reste relativement exigeante pour un public profane qui retient du maestro états-unien ses comédies musicales et sa direction mémorable des grands chefs-d’œuvre symphoniques. 

Le violon solo de l’Orchestre, Mark Djokic, a offert une prestation remarquable, avec un timbre d’instrument lumineux et scintillant, et une incarnation émotionnelle très convaincante. Pour un ‘’petit’’ orchestre comme l’OCM, la présence d’un soliste du calibre de Djokic est une véritable aubaine. On leur souhaite d’en profiter pleinement et très longtemps. Encore une fois, l’orchestre que Bernstein ne laisse pas souvent se reposer, a été à la hauteur de l’occasion, sous la baguette assurée de Mme Léonard. 

Votre humble serviteur n’avait pas accès au coquetèles et aux petits fours qui venaient avec les billets plus dispendieux (et plus utiles à la mission), mais on peut être assurés que messieurs dames Nesrallah, Westman, Djokic et Léonard (et tous les autres musiciens) ont dû recevoir des accolades bien méritées à leur arrivée parmi les convives après le concert (nonobstant les quelques bémols mentionnés en début d’article). 

afro-cubain / jazz latin / latino / merengue / rumba / tango

Soirée jazz et musiques du monde: comment transformer la Salle Claude-Champagne en piste de danse!

par Michel Labrecque

Le Canadien n’était plus en série. Le concert était gratuit. La manifestation de la fête des travailleurs était terminée. Vous n’aviez donc aucune raison valable de ne pas être présents, ce mercredi 1er mai, pour assister à ce concert jazz et musique du monde de la faculté de musique de l’Université de Montréal. Heureusement, la Salle Claude-Champagne était assez remplie, bien qu’il restait des places. Alors je vais vous raconter ce que vous avez manqué. Pour que, l’an prochain, vous y soyez!

La soirée a commencé par la prestation d’une nouvelle formation: l’Ensemble de tango, âgé d’à peine quelque mois mais déjà prometteur.

Dirigé par le doctorant Amichai Ben Shalev avec l’aide du professeur Jonathan Goldman, tous deux aux bandonéons, l’ensemble a exécuté des arrangements classiques de tango des années 40 et 50, comme Bahia Blanca, Danzarin, Dojos Negros et La Mariposa

Pour compléter l’ensemble, on retrouvait sur scène quatre violonistes, un altiste, un violoncelliste, un contrebassiste et une pianiste. Ce qui donne de la profondeur à la musique. 

Cela dit, l’ensemble m’est apparu parfois un peu froid, malgré la beauté des arrangements. Si, comme moi, vous avez eu la chance d’écouter du tango dans des petites boîtes en Argentine, vous avez constaté le déchirement des instruments; les violons pleurent tellement qu’on croit en voir sortir des larmes.

J’exagère un peu, bien sûr. Et je ne veux surtout pas vous dire que cet ensemble démérite. Comme nous l’a expliqué Jonathan Goldman, ce projet  est tout neuf, les étudiant.e.s y travaillent hors de leurs cours, par passion. Et cette passion finira par transparaître dans le jeu des musiciens. En ce sens, de terminer sur une pièce d’Astor Piazzola, Lo que vendrá (ce qui viendra) apparaissait prophétique. Cet ensemble est à suivre.

En deuxième partie, nous avons eu droit à une expérience dont Julian Gutierrez Vinardell, le directeur musical de l’Ensemble de musique du monde, était bien fier: intégrer un quatuor à cordes d’étudiants en musique classique à une partie de son orchestre le temps de deux pièces. 

D’abord, un Round Midnight de Thélonious Monk très très cubanisé dans les arrangements, avec percussions, voix et cordes. Puis Footprints, du saxophoniste Wayne Shorter, où les cordes prennent la place du saxophone. Arrangements audacieux, percussions de feux, très original. Je ne suis pas sûr que la fusion avec les cordes ait été optimale, mais, je vous le rappelle, ce sont des étudiant.e.s; s’attendre à la perfection ne tient pas la route. Et l’essai mérite d’être répété. 

Pour la troisième partie, les cordes laissent place aux cuivres et le party jazz latin démarre. Ça part sur deux compositions du Cubain en résidence Julian Gutierrez Vinardell qui mène une carrière musicale prolifique à Montréal et ailleurs, en plus d’enseigner. Avec plusieurs enregistrements jazz à son nom, comme pianiste.

Les douze musicien.ne.s, en particulier les trois percussionnistes (batterie, congas, timbales), nous font rapidement comprendre qu’on n’est pas ici dans une musique cérébrale. On se lance dans le merengue, la cumbia, la rumba et tous les styles cubains, dans une posture festive. Et ça déménage. 

Les deux chanteuses, Maude Brodeur et Marie-Ève Caron, déjà entendues en mars dernier avec le Big Band de l’université, ont un défi à relever de chanter en espagnol sur des rythmes parfois pas évidents. La section de cuivres plurielle intervient périodiquement pour ajouter de jolies harmonies à l’ensemble. Le pianiste, Joseph Piuze, a du talent pour improviser tout en assurant l’ossature mélodique du groupe. 

Et Julian Gutierrez est omniprésent: il chante, joue des percussions, encourage tout le monde. Son plaisir d’être sur scène avec ce groupe d’étudiants est contagieux. Il a un côté showman, ce Julian. 

Après dix minutes, quelques spectateurs se lèvent pour danser. Lors de la dernière pièce, El Guararey de Pastora, de Roberto Baute Sagarra, les trois quarts de la salle sont debout et se dandinent. 

Bref, une soirée riche, musicalement et émotionnellement ! Soyez-y l’année prochaine!

chanson keb franco / indie pop / krautpop / krautrock / synth-pop

Abracadabra! Klô Pelgag est repartie

par Alain Brunet

Le rideau se lève en ce jeudi soir au MTelus, quelques minutes après la puissante décharge punk-prog du binôme Angine de poitrine, tout à fait propice à la fibrillation auriculaire. Dans un clair-obscur des grandes occasions, on pousse des claviers vers la scène. Puis des percussions, puis d’autres cossins. Lorsque la lutherie et ses utilisateurs est bien en place et… abracadabra!

Elle apparaît au centre, créature étrange masquée de blanc, affublée d’un parka surdimensionné tout en haut de l’escalier central, tout au centre de la scène. Elle étend ses membres sous les applaudissements nourris de la la foule. Sous le parka, on découvrira un costume de cosmonaute déjanté. Sous le costume, on découvrira Klô Pelgag.

Cette mise en place est l’occasion de jouer l’instrumentale Le sang des fruits rouges, amorcée par un drone décoré de flûtes aviaires, notes aiguës et papillonnantes, aux limites de l’agacement.

Ça démarre vraiment avec Pythagore, scandée telle un hymne synth-pop garni de claviers, enrubannée de vocalises bien senties, acclamées par les fans.

Pelgag enchaîne avec Coupable, à la fois pop de chambre et dream pop Sur le dernier droit de cette ce récit d’un conflit d’amitié qui pèse lourd pour la narratrice du récit, la chanteuse répète le chorus, dont un « je n’ai pas dormi » dans les hautes fréquences avant de remonter l’escalier de scène en poussant des incantations bien senties.

La vedette québécoise prend alors un bain d’amour, goûte des minutes d’acclamation et s’adresse à son public avant de revendiquer le port d’un très gros veston, parce que devenue professionnelle au fil des années. Est-il besoin de rappeler que cet humour absurde sied bien à l’artiste, qui en fait bon usage depuis ses débuts. 

Nous voilà À l’ombre des cyprès… parfum de muguet….enterrement idéal en perspective, raconte la chanson pendant que 5 T-shirts blancs sautillent sur scène avec leurs instruments devant – claviers, synthés, percus, basse, guitare.  Les fans connaissent la toune par coeur, un immense choeur monodique accompagne la soliste en pleine possession de ses moyens.

« Qu’on me ramène une chanson d’outre-tombe et que ça saute! » commande-t-elle avant d’exécuter Les instants d’équilibre… rappel d’un passé où l’on entre pour ressortir, passé qu’on devine déséquilibré, pour le moins débridé, enflammé, ardent.

Un petit beat afro-antillais s’ensuit, le veston montgolfière est de retour et applaudi pour la Lettre à un jeune poète, une chanson maternelle, baignée de bienveillance et d’inquiétude sincères.

La musicienne s’installe au clavier, propose une chanson d’amour « pour remédier au manque d’amour » dont souffre le monde actuellement : c’est Sans visage, l’évocation d’un cheminement à deux, la proximité étant telle que l’on reconnaîtrait l’autre sans visage. Jolie ballade au tempo lent et appuyé, coiffée de claviers aux harmonies space-pop et de voix célestes.

On s’accorde, il y aura bientôt des sons de flûtes, joués en staccato. Le clavier imite le piano et on reconnaît Le goût des mangues , une pop de chambre évoquant retour des températures clémentes.

Klô Pelgag puise dans son récent opus, Abracadabra, avant quoi elle raconte avoir été « bien dans l’anxiété », c’est-à-dire inspirée pour écrire cette chanson servie cette fois en formule piano-voix, fière d’utiliser ce modèle de clavier dont elle s’était débarrassée avant de le racheter.« Gardez vos vieilles choses et entreposez-les les chez vos  parents! » Elle chante cette œuvre oscillant entre l’espoir et le désarroi que produit la conjoncture, on comprendra que Les puits de lumière « laissent entrer la pluie ».

Un immense carré rouge surplombe la scène, Jim Morrison est une errance, un rêve où l’on traverse des tableaux dont on cherche le sens, où l’on aimerait « tenir ce qu’on touche du bout des doigts. »

Fever Ray aurait fort bien pu composer la chanson quasi électro qui suit : Décembre est assortie de moments paroxystiques, interprétée avec ferveur devant l’immense carré en toile de fond, cette fois noir, autour duquel valsent le rose et le bleu. De retour au faîte de l’escalier central, Klô Pelgag se défoule à gogo. L’intensité vient de monter de quelques crans,

Le carré noir en toile de fond est désormais délimité par des lignes multicolores, s’installe alors un rythme funky, c’est Deux jours et deux nuits, électro-pop et pour nuitards exaltés, deux jours et deux nuits  à danser sur la plage, à suivre le chemin tracé de coquillages.

Le party est vraiment pris dans ce Mtelus rempli à pleine capacité. À l’évidence,la trame dramatique a été soigneusement planifiée, le public très chaud accueille ensuite Mélamine en fondu enchaîné sur un krautrock bien maîtrisé.

La foule a atteint un pinacle d’excitation et la chanson Umami «vient du coeur », on y « passe ses nuits à penser le jour ». Groove guilleret, indie-pop guillerette, voilà un classique de Klô Pelgag et re-krautrock avec Rémora.

Longs remerciements, présentation des collègues, et longue conclusion échelonnée sur trois rappels. Les animaux, Les ferrofluides-fleurs, Comme des rames et… abracadabra nous sommes partis, ravis, rassasiés de cette Klô Pelgag traversant un vaste plateau créatif.

PROGRAMME :

Le sang des fruits rouges

Pythagore

Libre

Coupable

À l’ombre des cyprès

Les instants d’équilibre

Lettre à une jeune poète

Sans visage

Le goût des mangues

Les puits de lumière

Jim Morrison

Décembre

Deux jours et deux nuits

Mélamine

Umami

La maison jaune

Rémora

Rappels

Les animaux

Les ferrofluides-fleurs

Comme des rames

Crédit photo: Marc-Étienne Mongrain

art-pop / cosmic jazz / jazz groove

Syncopes et synergies : Le jazz fusion de Karneef se mêle à la yacht pop de Rapallo

par Stephan Boissonneault

Cette semaine, grâce aux locaux Karneef et Rapallo, La Sala Rossa a accueilli une soirée de jazz fusion cosmique éclectique et de pop expérimentale de yachty, qui a également servi à la sortie de l’album de Karneef, It’s How You Say It, un album de jazz fusion déjanté.

Fusions et bousculades : Les mouvements de marché de Rapallo

La soirée a commencé avec l’entrée en scène de Rapallo, qui s’est lancé dans le disco-funk de plage de « Daryll’s on the News », avant d’enchaîner avec les chansons de leur premier album, Merger, qui sont plus proches du monde des affaires. Rapallo ne se contente pas de jouer ses chansons, il les présente, et tout le monde dans la foule est un actionnaire en puissance ou un noceur qui cherche à s’éclater. Les duels vocaux enjoués et les histoires absurdes entre le guitariste Nick Lanyon et l’envoûtante Kyla Jolene ressemblent un peu à un duo entre Kenny Loggins et Olivia Newton-John, et l’idée d’un groupe qui se la joue « slacker business » fonctionne vraiment bien en live. Mais cela ressemble plus à une croisière avec des CEOS nonchalants et buvant trop de Mai Tais qu’à une réunion Q4 à part entière. « The Alkalite » est peut-être l’une des chansons les plus accrocheuses que j’ai entendues en concert depuis longtemps, et sur scène, c’est un merveilleux rêve de fièvre. La guitare de Lanyon sur le morceau « The Cage » est absolument dégoûtante et hypnotique – l’homme peut déchirer comme Steve Vai et s’en débarrasser comme si de rien n’était.

L’ambiance de Rapallo se résume à une accroche qui vous fait bouger, avec des paroles étonnantes comme « Don’t call it a fantasy / You just live in it / All of the ivory in the key of C », tirée de « Lion’s Share ». Une chanson comme « V.I.P. » est un hymne au synthétiseur avec un fantastique solo d’Isaac Maynes dans les années 80. On dirait Tears for Fears s’ils étaient coincés dans un WeWork. Et « Breathing Underwater » est très codé Supertramp. La musique de Rapallo est une pure métaphore d’entreprise : l’amour comme les fusions et les acquisitions hostiles, la vulnérabilité comme un actif qui se déprécie. Le contraste n’aurait pas pu être plus parfait : Rapallo exigeant que nous investissions, et Karneef exigeant que nous ressentions.

Liquidité en 11/8 temps : It’s How You Say It de Karneef, en belle chute libre

Le jazz a toujours connu une certaine résurgence, et depuis une quinzaine d’années, des artistes comme Thundercat, BADBADNOTGOOD et Snarky Puppy ont mené la charge vers le grand public. Mais avec son spectacle et son album It’s How You Say It, Karneef devrait être ajouté à cette liste.

Lorsque Karneef est entré sur scène avec son orchestre de jazz composé de six musiciens, les lumières se sont éteintes et une brise chaude et jazzifiée s’est emparée de la salle. La musique est douce, chaotique et profondément engagée dans la communication émotionnelle. Saxophone, clavier, basse, guitare brumeuse et un tourbillon syncopé de batterie tourbillonnent dans des négociations polyrythmiques. Karneef est l’orchestrateur vocal fou de ce groupe sauvage de musiciens trop talentueux. Il se lance dans des grognements passionnés, pleins d’âme, et secoue la tête en signe d’incrédulité face au talent brut de son groupe : Rodolfo Rueda à la basse, Max Lazich à la batterie, Ryan Nadin à la guitare, Teddy Kadonoff aux chœurs et au trombone basse, Cedric de Saint-Rome aka Housefly aux claviers et Evan Shay aux saxophones.

Leur set semblait intergalactique, comme si le groupe s’était branché sur une transmission d’un univers parallèle où la fusion est la source d’énergie dominante et où les sentiments s’échangent comme des minéraux rares. Karneef, à la fois magicien, prêcheur et bouffon de jazz, dirigeait le chaos comme un homme possédé par la mélodie elle-même. Sa voix ricoche entre chants gutturaux et supplications en fausset, en particulier sur « If Only You Could See Your Face Right Now », qui m’a donné d’énormes vibrations Awaken, My Love ! de Childish Gambino. La batterie de Lazich était étonnante. Vous savez qu’un batteur de jazz est trop bon lorsque vous vous demandez si vos mains sont correctement attachées à votre corps. Lazich a dû être élevé dans une usine de métronomes.

Le style de jazz fusion de Karneef est constamment sur une corde raide sonore, juste assez déroutante pour les vrais amateurs de jazz, et juste assez accessible pour les gens qui cherchent à groover. Un morceau comme « Insides Match the Outside » va poser un groove régulier, l’abandonner comme un mauvais bail, puis se lancer dans un feu d’artifice polyrythmique d’inventions. Et puis il y a la présence scénique déjantée de Karneef, qui saute sur la scène comme un bouffon et un chef d’orchestre fantasque, ancrant le public pour des moments d’humilité et de répit. Honnêtement, nous sommes probablement encore en train de nous en remettre.

avant-garde / musique contemporaine

Le Vivier | Corie Rose Soumah et invités: beaucoup d’aptitudes, moins de surprises

par Frédéric Cardin

Je tiens à vous dire tout de suite que j’ai passé une belle soirée malgré les bémols que je m’apprête à apposer sur la partition de cette analyse. La soirée, nommée Aptitudes matérielles, c’était celle d’une rencontre entre les scènes créatives contemporaines de New York et de Montréal, présentée à l’Espace Bleu du Wilder, dans le Quartier des Spectacles à Montréal, et ceci sous le chapeau du Vivier, indispensable catalyseur musical de la scène montréalaise. 

L’ensemble Hypercube, de New York, une quatuor hors norme formé d’un piano, d’un saxophone, d’une guitare électrique et de percussions, croisait les effluves sonores avec trois artistes montréalais, Antonin Bourgault, Antoine Goudreau et Corie Rose Soumah. Seul Bourgault s’est véritablement joint aux New-yorkais avec son saxophone. Pour les autres, c’est uniquement en tant que compositeur.trice que la relation s’est incarnée. 

Je retiens plusieurs choses de cette expérience : l’excellence des interprètes de Hypercube, un groupe soudé serré tant dans l’écoute mutuelle que dans l’impressionnante qualité technique déployée. Je retiens aussi que l’avant-garde musicale à fait du chemin depuis 50, voire 75 ans. On est rendu à un point où on peut apprécier un concert de ce genre, goûter à l’excellence interprétative manifestée et à la beauté plastique des sonorités générées sur scène, sans réellement être surpris par la proposition. C’est en effet le sentiment qui m’a assailli lors du concert : j’ai déjà entendu cela très souvent. Car dans les abstractions narratives suggérées, les nombreuses saillies timbrales, les contrastes texturaux et les jaillissements sonores, rien de vraiment révolutionnaire, voire intrigant, n’est apparu. Beau et plastiquement impeccable, mais pas surprenant ni hors des sentiers battus.

Cela dit, tel que mentionné, votre humble serviteur à tout de même passé une agréable soirée, car la musique offerte était intelligente, nourrie aux meilleurs savoirs et conçue dans un esprit évident de communication à la fois esthétique et sensoriel. 

Mentionnons d’abord la très belle spatialisation des portions acousmatiques des partitions, une octophonie (si je ne m’abuse) efficace et qui a réussi à plonger les spectateurs au centre d’agréables élans synthétiques. Musicalement, je résumerai en disant que Soumah et Goudreau sont les meilleurs pour tirer profit des possibilités coloristiques de l’ensemble Hypercube, en les intégrant dans des constructions dramatiques efficaces, discursivement éclatées mais compréhensibles. Corie Rose Soumah est l’une des voix les plus intéressantes de la relève en musique savante, et sa page Soundcloud devrait être une priorité d’écoute, si la chose contemporaine vous intéresse vraiment. 

Page Soundcloud de Corie Rose Soumah

La saxophoniste de Hypercube, la Canadienne Erin Rogers, a offert Mirror to Fire, une pièce dérivée d’une chanson de Nine Inch Nails (The Lovers, de l’album Add Violence). Devenu une sorte d’étude sur les possibilités musicales d’une séparation des piliers harmoniques et rythmiques d’une œuvre ‘’populaire’’, Mirror to Fire est la partition la plus aisée en termes de cheminement discursif qui a pu être entendue dans le concert. Soulignons que toutes les oeuvres au programme étaient des créations (mondiales pour chacune, sauf pour une des pièces de Soumah, une création canadienne).

De l’avant-garde classique, qui puise autant chez Stockhausen que dans le free jazz des années 1970, sans étonnement particulier mais d’une indéniablement séduisante facture artistique.

art-rock / garage-rock / gospel / gothique / post-punk / rock / rock expérimental

Nick Cave & the Bad Seeds à la Place Bell, cours magistral de chaos contrôlé

par Stephan Boissonneault

À un âge où la plupart des leaders du rock s’évanouissent dans l’obscurité ou se retrouvent dans des tournées d’adieu maladroites commanditées par des compagnies d’assurance, Nick Cave est devenu encore plus mythique – en partie prédicateur, en partie lézard de salon, en partie fantôme. La semaine dernière, à la Place Bell, lui et les Bad Seeds ont donné un cours magistral de chaos contrôlé, prouvant qu’alors que le monde autour d’eux devient de plus en plus bon marché et stupide, leur marque particulière de menace reste obstinée et magnifiquement intacte.

La setlist est un exercice de funambulisme entre les anciens dieux et les nouveaux. Ils n’ont pas perdu de temps, et Cave, ressemblant à un mafioso, a plongé directement dans « Frogs  » – une ouverture théâtrale synthétisée qui a immédiatement séparé les touristes des vrais croyants. Alors que Cave chantonnait Kill Me, Kill Me, in the Sunday Raiiiiinnn, j’ai été immédiatement séduit.

À partir de là, Nick Cave a arpenté la scène comme un homme qui invoque les fléaux d’un simple claquement de doigts, entraînant la foule dans Wild God et Song Of The Lake. Ces nouvelles chansons de Wild God semblaient déjà être des classiques entre les mains de Cave, cousues sans couture dans le vieux tissu trempé de sang. D’une certaine manière, Wild God n’est pas une crise de la quarantaine, mais un artiste qui contrôle parfaitement sa machine à cauchemars.

Ensuite, ce fut From Her to Eternity, probablement le morceau le plus proche de The Birthday Party en concert, et l’horreur gothique et marécageuse de Tupelo. Chaque cri, chaque menace chuchotée était parfaitement calibré, sans jamais donner l’impression d’être mécanique. Cave et Warren Ellis (qui a fait du violon son esclave) étaient déjà trempés de sueur après trois chansons. Pourtant, Cave a donné aux fans ce qu’ils voulaient, en leur serrant constamment la main au milieu de la chanson ou en se faisant porter par eux.

Une mention spéciale doit être accordée aux Bad Seeds eux-mêmes – un groupe si soudé qu’il pourrait probablement pratiquer une chirurgie du cerveau sonore les yeux bandés si on le lui demandait. Les chœurs gospel qui accompagnent Cave sont spectaculaires, et Warren Ellis, toujours aussi hirsute et déséquilibré, jouait de tous les instruments qui n’étaient pas boulonnés, parfois deux à la fois. Larry Mullins a martelé la batterie avec la détermination sinistre habituellement réservée aux bourreaux médiévaux. Avec les Bad Seeds, le chaos semble avoir été répété et la perfection semble avoir été un accident. Nous avons bien sûr eu Red Right Hand, qui est bien plus sinistre en live que sur l’enregistrement, mais mon coup de cœur doit être The Mercy Seat, de Tender Prey. Cette chanson est absolument obsédante en live et possède une énergie dérangée qui restera à jamais l’un de mes meilleurs moments en concert.

Le rappel a été une véritable guerre émotionnelle : Papa Won’t Leave You, Henry s’est transformé en The Weeping Song avant de glisser vers le silence dévastateur de Skeleton Tree. C’était amusant ? Bien sûr, dans une sorte de cortège funèbre. Était-ce brillant ? Évidemment. Nick Cave & The Bad Seeds ne font plus de « shows » – ils organisent des cérémonies, et si vous avez la chance d’y assister, vous repartez un peu moins entier qu’à votre arrivée.

Crédit photos : Patrick Beaudry, evenko

classique occidental / période classique

OSM | Une matinée en légèreté

par Alexis Desrosiers-Michaud

Moins de douze heures après avoir donné une version concert de l’opéra Cosi fan tutte de Mozart dans le cadre du festival du même nom, l’Orchestre Symphonique de Montréal (OSM) et Rafael Payare présentaient deux des dernières du compositeur, soient le Concerto pour piano no 27 avec Kevin Chen et la Symphonie no 41 dite « Jupiter ». 

Dès le premier mouvement du Concerto, on sent que tout sera en finesse, avant même l’entrée du soliste. À ce moment, notre impression se confirme; les doigts flottent presque sur le clavier. S’installe alors un réel dialogue entre Chen et l’orchestre, avec qui il établit constamment un contact visuel. Le second mouvement est un vrai délice de douceur qui nous emmène ailleurs, dans un monde plaintif et reposant, quasi méditatif. Cet extrait, rempli d’émotion où les notes tenues ne meurent jamais, aurait certainement fait l’objet d’une relecture sur une application numérique.

La symphonie « Jupiter » qui suit entre dans la même veine que le Concerto, c’est-à-dire que tout est vivant, chantant, rythmé, mais avec légèreté. D’autant plus qu’« un des thèmes du premier mouvement est un air de basse écrit pour un opéra d’Anfossi  ». Il y a quelque chose de lyrique dans ce premier mouvement. 

Le troisième mouvement aurait pu être plus dansant, comme le veut la tradition du menuet. Marqué Menuetto : Allegretto, il tendait plutôt vers la deuxième partie de son surtitre, avec un peu plus de galanterie qu’à l’accoutumée. 

Le point d’exclamation de cette symphonie est sans contredit le mouvement final. En effet, la dernière page symphonique de Mozart est un bijou d’écriture contrapuntique où pas moins de 5 (!) thèmes se poursuivent sans cesse. C’est un tour de force de composition, mais également un défi pour le chef, qui doit balancer le son pour que l’ensemble ne devienne pas un fouillis, ce que Payare réussit avec brio. Constamment aux aguets, il contrôle tout. Il fait même la longue reprise, à l’instar des versions précédentes de Labadie et Nagano, mais qui n’est pas la mode sur disque. On note la présence adéquate de la timbale, cachée sur la droite, qui ponctue les phrases et fin de section, en plus d’insuffler l’énergie aux différents climax. Un petit mot pour dire que le concert s’est ouvert sur la prestation en solo du pianiste Chen dans la Fantaisie en do mineur K. 475. Ce sombre, mais très beau morceau a plutôt eu l’air d’une pièce de salon. Non pas par l’interprétation, bien au contraire, mais par le léger chahut causé par l’admission en salle des dizaines de retardataires venus en autobus pour cette matinée scolaire. Nul doute que l’écoute de ce même concert en soirée aura été différente. Il y avait cependant quelque chose de beau de voir et entendre à plusieurs reprises les « habitués » de l’OSM questionner et s’intéresser à ses jeunes venus de partout, certains portant un morceau de vêtement à l’effigie de leur programme de musique.

crédit photo : Antoine Saito

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