Chanson francophone / Chansonnier / quatuor à cordes

Festival Classica | Pierre Flynn, revenir à bon port

par Claude André

Dans le cadre du Festival Classica, Pierre Flynn a revisité cinq décennies de chansons en version intime, accompagné d’un quatuor à cordes, pour un concert lumineux et habité dans l’église de Saint-Lambert.

Si le titre de notre dernier article sur Pierre Flynn, en novembre dernier au Gesù dans le cadre du Coup de cœur francophone, était Lumineux ténébreux, cette fois, c’est un résilient satisfait qui s’est présenté à nous, vêtu de ses habituels habits noirs.

Flynn, bien campé dans son univers, s’est installé au piano, déroulant des chansons souvent inscrites dans notre inconscient collectif, fruits d’une cavale artistique de plus de cinquante ans. Il a amorcé la soirée avec Le vent se lève (arrangement de Richard Grégoire) du groupe Octobre pour conclure avec Capitaine, ô capitaine en rappel, une pièce qui, dans cette enceinte catholique, résonnait d’une lumière particulière.

Dans cette église de Saint-Lambert, l’ex-figure de proue de la formation culte Octobre nous a donc offert un spectacle enrichi d’un quatuor composé de deux violons, d’un alto et d’un violoncelle, un projet initié par le Palais Montcalm de Québec, sous la direction musicale de Caroline Béchard. Le quatuor réunissait également Mélanie Charlebois (violon), Karina Laliberté (alto) et Ryan Molzan (violoncelle). Si l’on ne ressentait pas une grande complicité visuelle entre Flynn et les musiciens, peu d’échanges de regards, une admiration sincère, notamment d’une violoniste, transparaissait discrètement.

On notera un savant travail d’éclairage naturel : la lumière filtrant au travers des vitraux s’amenuisait à mesure que la nuit tombait, offrant une transition visuelle délicate et réussie.

Au cours de la soirée, Flynn n’a pas hésité à jouer avec une certaine autodérision, évoquant ses longues périodes de procrastination entre chaque album avec humour et lucidité, sans jamais tomber dans la confession appuyée. En filigrane, on comprenait qu’il revenait de loin, comme un marin dont la barque se serait égarée dans le triangle des Bermudes avant de se retrouver à bon port. Une image qui sied bien à cet amoureux du Québec, qui porte en lui une part de l’âme du pays, faite aussi du fleuve.

Musicalement, le quatuor à cordes a su ajouter une somptuosité sans lourdeur, loin des clichés pompeux : ni démesure ni envolées outrancières. Les arrangements, signés entre autres par Anthony Rozankovic (Croire), Boris Petrowki, Vincent Legault (Tadoussac), et Flynn lui-même, servaient les chansons avec sobriété. Quelques éléments électroniques, percussions enregistrées, beats, loops, venaient ponctuer la trame sans jamais écraser l’ensemble. Peu de solos instrumentaux, mais un habillage efficace et mesuré.

Le spectacle rappelait par instants la mise en scène sobre de Michel Faubert vue au Gesù, notamment dans Possession et ses lourdes chaînes symboliques qui battent la mesure. On retiendra aussi Sur la route, dont Flynn, avec un sourire en coin, disait ne jamais savoir comment conclure… avant de laisser les violons livrer une finale aussi inattendue que réussie, qui ressemblait à un clin d’œil souriant à Mozart.

Nous avons également redécouvert la beauté de certaines de ses chansons, notamment La maudite machine, reprise à la guitare, ou encore Ma petite guerrière, dédiée à sa fille aujourd’hui devenue photographe accomplie. Clin d’œil inattendu, Flynn a livré une version pleinement satisfaisante de Alone and Forsaken de Hank Williams. Le spectacle, dans son ensemble, a été chaleureusement salué par les nombreuses têtes blanches de la salle.

En quittant l’église pour reprendre le pont vers la ville, la vue s’ouvrait sur l’immense Biosphère, enrobée de sa lumière verte, magnifique, tandis que scintillaient les immeubles de Montréal et que la musique de Flynn coulait encore doucement dans nos veines.

crédit photo : Annie Bigras

baroque / période classique

Violons du Roy à Bourgie : effervescences symphoniques de la Vieille France

par Frédéric Cardin

Les Violons du Roy clôturait la saison 24-25 de la salle Bourgie hier soir avec un programme de bulles musicales dignes de Mme Cliquot. La symphonie ‘’à la française’’ était à l’honneur. Attention, pas celle de Franck ou Ravel, plutôt la première symphonie, celle des origines. On parle ici de Gossec et de Rameau, aussi d’un certain Duport que la plupart des mélomanes, même avertis, n’ont jamais entendu. 

Sous la direction et la construction thématique de Nicolas Ellis, le programme a été lancé par une pétillante symphonie de François-Joseph Gossec (1734-1829), compositeur encore très mésestimé aujourd’hui. Et pourtant, la petite oeuvre en trois mouvements, une des quelques 49 qu’il a composées, a de quoi séduire et réjouir : des mélodies fringantes, une orchestration de contrastes excitants et des rythmes allègres en font un plaisir d’écoute fortement recommandé à tous ceux et celles qui se passionnent pour la vivacité d’un Mozart ou Haydn. 

La suite a fait place à un Concerto pour violoncelle, le no 6 en ré mineur, de Jean-Louis Duport (1749-1819), apparemment grand virtuose de l’instrument en question. On n’en doute point, étant donné le caractère redoutable de cette partition, et je pèse mes mots. Quand on constate que même une sommité comme Raphaël Pidoux, membre du trio Wanderer (ce n’est pas rien), ne réussit pas toujours à sortir indemne des chausses-trappes techniques imposées par Duport, c’est dire qu’il s’agit d’une oeuvre représentant un défi formidable. Cela dit, Pidoux a insufflé une dose d’élégance et de lyrisme (très lyrique andante cantabile central) tout à fait séduisantes et a reçu un bel accueil du public, à raison. Voici une œuvre qui mérite d’attirer les plus aguerris des solistes d’aujourd’hui, il y a de quoi faire!

Raphaël Pidoux et Les Violons du Roy – crédit : Pierre Langlois

La dernière partie du concert nous a fait entendre la ‘’symphonie cosmique’’ de Jean-Philippe Rameau (1683-1764). La quoi? Non, Rameau n’a pas vraiment écrit de ‘’symphonie cosmique’’. Il s’agissait en vérité d’une construction du chef Nicolas Ellis, qui a pigé dans le répertoire d’opéras et de ballets de Rameau pour concocter une vaste fresque en quatre mouvements évoquant la création du monde, les saisons, la terre, le vent, les orages et même le temps. Un cinquième mouvement, retour à l’interstellaire, dessinait l’explosion d’une supernova et faisait appel à une pièce de Jean-Féry Rebel (1666-1741), le Chaos, extraite de ses Élémens

L’architecture pensée par Ellis fonctionne très bien. les contrastes entre les morceaux tracent une ligne narrative qui refuse l’ennui, et utilisent à escient certains airs déjà connus du compositeur.

Ce qui a impressionné le plus, mais on n’en sera surpris, c’est la saisissante limpidité et chirurgicale technicité des Violons du Roy. Quel bonheur d’entendre cette qualité de jeu, ces contrastes abrupts et parfaitement réussis, ces envolées de tendresse enchaînant des cisailles piquantes, et ce rapport parfait au discours des partitions. Nicolas Ellis dirige avec une fraîcheur contagieuse.

Une finale de saison réussie.

Afrique / dance

C la vie : L’interminable danse des tambours pour clôturer le FTA

par Stephan Boissonneault

Pendant 30 minutes ininterrompues, le Théâtre de Verdure du Parc La Fontaine est un organisme vivant. Son cœur bat au rythme de la peau sur la peau, des mains qui frappent la peau, des pieds qui frappent la terre. C la vie, interprété par une troupe de danse fascinante issue du légendaire Faso Danse Théâtre en Belgique, est moins un spectacle qu’une force de la nature : un barrage ininterrompu de rythmes, de mouvements et de volonté humaine. Les danseurs émergent dans un tourbillon de mouvement, semblant naître du son même du batteur qui les propulse. Il n’y a pas d’entrées formelles, pas de moments de repos ou d’immobilité. Au lieu de cela, la performance se déroule comme une seule et même respiration, en expansion, en contraction, tremblante d’effort. L’endurance déployée est stupéfiante. Chaque interprète s’engage avec une férocité qui frise la transe, leurs corps étant enfermés dans une chorégraphie qui exige une dextérité implacable.

Les mouvements tournent en boucle, se fracturent, puis évoluent : les épaules tournent en rafales, les hanches se balancent en arcs de cercle précis, les genoux pompent comme des pistons. Et d’une manière ou d’une autre, rien ne faiblit. Des moments de chant émergent comme des éclairs dans l’obscurité – des cris bruts et résonnants qui tranchent l’assaut polyrythmique. Ces brèves éruptions vocales, tantôt solistes, tantôt chorales, laissent entrevoir un récit plus profond, intentionnellement fragmenté. On y entend des murmures de rituel, de défi, de désir, de joie. Une femme en robe dorée, Niako Sacko, fissurée par l’émotion, s’élève au-dessus du rythme avec une voix planante et parfois maligne, tandis qu’une autre danseuse s’effondre à genoux. Elle semble contrôler les danseurs, qui se déshabillent lentement, ruisselants de sueur.
Développé par Serge Aimé Coulibaly, chorégraphe burkinabé et figure emblématique des arts de la scène africains, C la vie « s’inspire des traditions Wara et Senufo, des carnavals occidentaux » et d’une insatiable soif de vivre. Le spectacle, qui ne comporte que quelques secondes de répit entre les danses, a été un peu trop éprouvant pour certains spectateurs. Peut-être avaient-ils besoin d’une histoire facile à digérer, mais C la vie exige que le public ressente la douleur dans les mollets des danseurs, la brûlure dans leurs poumons, la poigne de fer de la discipline sous chaque spirale fluide. C’est épuisant d’en être témoin, et c’est précisément le but recherché. Une façon intéressante de clôturer le FTA.

classique moderne / jazz contemporain

Festival Classica | Ze Boucherville concert

par Alain Brunet

Imaginées en temps réel à Cologne, le 24 janvier 1975, les impros incarnées du célébrissime Keith Jarret avaient marqué l’imaginaire sur la planète jazz. Un demi-siècle plus tard, The Köln Concert demeure sans contredit l’album piano solo le plus célèbre du genre. Sans surprise, je fais partie des millions de fans l’ayant écouté jusqu’à en faire traverser l’aiguille de ma platine dans le vinyle.

L’année de mes 18 ans, je ne connaissais pas alors les albums solo de Chick Corea (Piano Improvisations, 1971), Paul Bley (Open, to Love, 1972) ou Cecil Taylor (Indent, 1973) que je préfère désormais… et je sais fort bien que ces enregistrements n’ont pas eu le centième du rayonnement de The Köln Concert. Pourquoi donc?

Cet album est un mélange de folk post hippie, de musique romantique, de gospel, de soul et de jazz contemporain parfaitement consonant. La charpente de cette impro historique est relativement simple, ce qui se passe dans les impros (surtout de la main droite) peut être toutefois complexe et virtuose.

The Köln Concert fut un tremplin pour ce sous-genre que l’on qualifie de jazz de chambre, carrément la locomotive des centaines d’enregistrements produits par le légendaire Manfred Eicher sous sa fameuse étiquette ECM. 

On peut certes comprendre cet impact universel et pourquoi l’altiste François Vallières en a adapté les 4 « mouvements » pour quatuor à cordes. Excellent coup de Marc Boucher à la barre du Festival Classica, présenté dans la superbe église Sainte-Famille de Boucherville.

Qu’a fait François Vallières ? Il en a d’abord retranscrit la main droite et la main gauche, pour ensuite procéder à des harmonisations à 4 voix (ou plus lorsque les cordes sont doublées à l’archet) et transformer la texture de cette œuvre sans la dénaturer.

Plutôt que de choisir un premier et un second violon, il a distribué les responsabilités de soliste à Marie Bégin et Antoine Bareil, ce dernier étant chargé de reproduire les élans les plus virtuoses de la main droite de Jarrett. Impressionnant de voir des musiciens classiques d’aujourd’hui capables d’intégrer un « feel » jazz à leur exécution.

Le travail le plus remarquable de François Vallières se trouve à mon sens dans l’organisation d’une interaction inspirée des cordes et dans l’attribution des rôles. Pendant que le violoncelliste Stéphane Tétreault campe ici un rôle proche de la contrebasse en assurant le rythme dans les basses fréquences, ses collègues exécutent un contrepoint qui dépasse la  transcription d’un solo de piano. L’altiste Elvira Misbakhova occupe aussi un rôle important dans l’affaire, tant dans le jeu d’ensemble que dans certaines parties individuelles.

Le concert du 24 janvier 1975 devient ainsi un quatuor à cordes qui se tient et qui fera son chemin.

reggae

Festival des Saveurs | Reggae engagé avec SolidGround

par Sandra Gasana

Mon intuition me disait qu’il ne pleuvrait pas lors du concert de SolidGround, en clôture du Festival des saveurs interculturelles de Saint-Michel. Elle n’avait pas tout à fait tort sauf peut-être pour les premières minutes du concert. Car dans l’ensemble, la pluie a fait une petite pause pour permettre aux spectateurs de profiter d’un concert de reggae gratuit de qualité. Malgré la météo capricieuse, le public présent a eu du plaisir et dansait au rythme du reggae.

A tour de rôle, différents artistes défilaient les uns après les autres, parfois en solo, parfois en duo, mais c’était toujours une surprise. Parmi les musiciens qui forment le collectif SolidGround, nous avions Alban Maréchal au clavier, Sol-Étienne Labesse à la batterie, Slim Samba aux percussions, Ons Barnat et Funk Lion à la guitare et Alain Burr à la basse, lui qui a longtemps joué avec Shauit.

Après une courte pause pour souligner la clôture du Forum social mondial des intersections, tous les musiciens artistes sont revenus pour une deuxième partie encore plus intense que la première. Le morceau de Face-T m’a replongé 20 ans en arrière, à l’époque de Kultcha Connexion, puisque dès les premières notes, j’ai reconnu son style particulier. D’ailleurs, son fils le regardait admirablement à partir des coulisses. Aldo Guizmo, quant à lui, a mis le feu à chaque fois qu’il montait sur scène, ce qui a tout de suite contaminé la foule, qui bougeait de plus en plus, malgré un temps frais. À cela, vous rajoutez l’énergie contagieuse d’Ilam sur scène, celle de Slim Samba, que j’ai longtemps écouté sur CISM 89.3 les dimanches après-midi à l’émission consacrée au reggae, vous avez un cocktail électrisant.

Carminda a clôturé le concert avec un morceau de circonstances, Un otro mundo, une œuvre collective qui date de 2016, lors d’un autre forum social dans lequel elle était impliquée. Elle passait d’artiste à animatrice en un claquement de doigt et le faisait tout naturellement.

Une chose est sûre : si vous avez manqué SolidGround lors de ce concert de clôture, vous aurez sûrement l’occasion de les croiser cet été, à Montréal, Québec ou Trois-Rivières. Ce ne sont pas les occasions qui vont manquer. Pour cela, suivez leur page Facebook pour en savoir sur leurs nombreux concerts.

C’est ainsi que SolidGround a clôturé en beauté cette 4ème édition du Festival des saveurs interculturelles de Saint-Michel qui sera de retour pour sa 5ème édition fin septembre lors des Journées de la culture qui se tiendront à la Tohu.

chant lyrique / classique occidental

CMIM 2025 | Bilan d’une première épreuve relevée 

par Alexandre Villemaire

Depuis maintenant une semaine, Montréal est le théâtre d’un des événements phares de la vie culturelle de la métropole. Ancré dans le paysage musical de Montréal depuis 2002, le Concours musical international de Montréal (CMIM) bat actuellement son plein avec son édition 2025 consacrée à la voix. En tout, ce sont 23 chanteurs et chanteuses provenant de dix-sept pays qui défilent depuis sept jours sur la scène de la Salle Bourgie à Montréal. Au cours des différentes étapes de cette première épreuve les concurrents ont eu à interpréter un programme composé de pièces issues du répertoire des airs d’opéra et du genre de la mélodie. Le cumul des points des deux étapes permettra d’identifier 10 chanteurs et chanteuses qui poursuivront à l’étape de demi-finale.

Durant ces premiers jours du concours, nous avons assisté à des prestations hautes en couleur, pleines de sensibilité et de musicalité, chacun des chanteurs et chanteuses s’est présenté sur scène avec une personnalité propre. Tous ne poursuivront pas, mais aucun n’aura à rougir des performances qu’ils ont données, qui comportaient toutes des éléments intéressants. Sans être exhaustives, voici quelques performances qui nous été donné d’entendre et qui nous ont marqué. 

Tout d’abord, la soprano originaire de Russie, Julia Muzychenko-Greenhalgh qui a ouvert la compétition, a enchanté par une performance du difficile Air des clochettes ( « Où va la jeune hindoue ») extrait de l’opéra Lakmé de Léo Delibes. C’est un choix périlleux en regard de la ligne vocale. La soprano canadienne Sophie Naubert a également fait une impression remarquée, notamment par une forte présence scénique et un sens expressif, entre autres dans l’air « Take It to Tumblr* » extrait de Book of Faces de Kendra Harder. Il en va de même de Fanny Soyer qui a su présenter avec nuance et versatilité les différents caractères des airs de sa première épreuve, tant par une agilité vocale que par une gestique signifiante sur scène. Sa performance de « Formons les plus brillants concerts… Aux langueurs d’Apollon » de l’opéra Platée de Jean-Philippe Rameau était tout à fait captivante. Le baryton anglais Theodore Platt est également à surveiller. Doté d’un timbre puissant et chaleureux et d’une grande musicalité dans l’interprétation sensible de l’air « O Du, Mein Holder Abendstern » tiré de Tannhäuser de Wagner lors de sa prestation de l’étape Aria, il s’est également distingué lors de sa ronde consacrée à la mélodie. Le caractère et le jeu du baryton allemand Valentin Ruckebier sont également à souligner, notamment dans l’air machiavélique « Vous qui faites l’endormie » du Faust de Gounod.

Parmi les représentants de la Corée du Sud, le ténor Junho Hwang, le baryton-basse Chanhee Cho et la soprano Yewon Han, ont livré de solides performances : Hwang ,par son interprétation, sa diction et sa musicalité sensible dans « Salut demeure chaste et pure », également du Faust de Gounod, Cho pour sa présence scénique engagée et Han pour son interprétation parfaitement juste du relevé air « I am the wife of Mao Tse-tung » de l’opéra Nixon in China de John Adams.

Et les demi-finalistes sont…

Au terme de la première épreuve, le jury international a désigné les dix demi-finalistes de l’édition Voix 2025 qui se produiront sur la scène de la Maison symphonique les 3 et 4 juin avec l’Orchestre symphonique de Montréal, l’orchestre officiel du CMIM, placé pour l’occasion sous la direction du chef Patrick Summers. Les demi-finalistes sont : 

Junho Hwang, Ténor, Corée du Sud

Katerina Burton, Soprano, États-Unis

Chanhee Cho, Baryton-basse, Corée du Sud

Yewon Han, Soprano, Corée du Sud

Fleuranne Brockway, Mezzo-soprano, Australie

Fanny Soyer, Soprano, France

Ariane Cossette, Soprano, Canada

Jingjing Xu, Mezzo-soprano, Chine

Theodore Platt, Baryton, Royaume-Uni

Julia Muzychenko-Greenhalgh, Soprano, Russie

En plus de l’annonce des demi-finalistes, deux prix spéciaux ont été décernés.  Offert en partenariat avec Dixi Lambert, le Prix pour la meilleure interprétation d’un air contemporain, assorti d’une bourse de 2 500 $ soulignant l’excellence d’une prestation d’un air composé après 1975 lors de l’épreuve Aria a été décernée au baryton anglais Theodore Platt pour son interprétation d’un extrait de Written On Skin de George Benjamin. 

Introduit l’année dernière lors de l’édition Piano 2024, le Prix du jury de la relève, d’une valeur de 1000$, a été remis à la mezzo-soprano australienne Fleuranne Brockway. Le jury, placé sous la présidence de la soprano canadienne Aline Kutan, était composé d’étudiant·es en chant et d’une pianiste, tous provenant des trois grandes institutions musicales de la métropole (École de musique Schulich de l’Université McGill; Conservatoire de musique de Montréal, Faculté de musique de l’Université de Montréal).

À cette fin d’épreuves s’ajoutaient également la finale du Prix Mélodie. Offert en partenariat avec la Nawacki Family Foundation, le Prix Mélodie d’une valeur de 10 000 $ vient récompenser l’artiste s’étant le plus distingué dans l’interprétation du répertoire du genre de la Mélodie lors de la Première épreuve – Mélodie et de sa finale. Les cinq finalistes retenues étaient la soprano russe Julia Muzychenko-Greenhalgh, le baryton anglais Theodore Platt, le baryton colombien Laureano Quant, la mezzo-soprano australienne Fleuranne Brockway et la soprano française Fanny Soyer. C’est entre autres par une interprétation engagée d’extraits du truculent cycle des Chansons gaillardes de Francis Poulenc et une performance enlevante d’extraits du cycle Let Us Garand Brings de Gerald Finzi que Laureano Quant s’est mérité ce prix. Le baryton colombien s’est également vu attribuer le prestigieux Prix Schubert de la Salle Bourgie, qui s’accompagne d’un engagement pour un récital dans la nouvelle série consacrée à l’intégrale des lieder de Franz Schubert.

De son côté, Ihor Mostovoi (Canada et Ukraine) s’est vu remettre le Prix André-Bachand pour la meilleure interprétation d’une œuvre canadienne, offert en partenariat avec Claudette Hould pour son interprétation de « Mon souverain » de Julien Bilodeau et extrait de l’opéra La beauté du monde sur un livret de Michel-Marc Bouchard.

Direction maintenant la Maison symphonique ou les demi-finalistes et l’équipe du CMIM établiront leur pénates pour les prochains jours. Avec le niveau qui nous a été donné d’entendre, il nous tarde d’entendre ce que les demi-finaliste auront à nous proposer dans un contexte orchestrale.

crédit photo : Tam Photography

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classique moderne

Festival Classica | Pavane pour une fille tzigane aux cheveux de lin

par Alexis Desrosiers-Michaud

La nouvelle production de Tango Boréal était présentée ce dimanche au Théâtre de la Ville de Longueuil dans le cadre du volet vocal du Festival Classica, le Nouvel Opéra Métropolitain. Après Les lettres de Chopin, Denis Plante, que l’on connaît pour son répertoire tango et avec son bandonéon, nous arrive avec La Fille aux cheveux de lin, sur des morceaux des impressionnistes français Maurice Ravel et Claude Debussy.

L’argument est l’histoire d’un peintre qui bénéficie de l’aide inconditionnelle de sa sœur pour réussir, et celle-ci lui donne toute son attention, jusqu’à ce qu’une mystérieuse fille aux cheveux de lin apparaisse dans le studio. S’inspirant librement de l’œuvre de Charles Baudelaire pour le livret, Plante explique au début que les deux protagonistes sont le reflet de Baudelaire, lui-même désirant devenir peintre mais n’en n’avait point don en la matière.

Écrite pour mezzo-soprano et quatuor à cordes, l’œuvre de 75 minutes est magnifique. Même si la musique est déjà écrite, il a fallu l’arranger et y apposer des paroles, et c’est le tour de force de Denis Plante et de son frère Antoine ont réussi. Les enchaînements entre les extraits coulent tout seul et les paroles s’agencent bien, comme si elles avaient fait partie des pièces de Ravel et Debussy. De plus, les contrastes, les couleurs et caractères des morceaux devaient être soigneusement bien placés dans un ordre très précis pour qu’on puisse y superposer une mise en scène, et ça aussi, c’est très réussi. Celle-ci est simple, mais juste; seuls quelques accessoires, un fauteuil, un chevalet et une chaufferette suffisent à nous plonger dans un atelier d’artistes du tournant du XIXe siècle. 

Dans le rôle principal, Amelia Keenan est une excellente interprète. Seule sur scène la plupart du temps, elle comprend que ce n’est pas nécessaire d’en mettre plein la vue, et que c’est aussi sinon plus important que le public comprenne le texte, surtout sans surtitres. À ce titre, la diction française est parfaite. Chaque mot, chaque intention, chaque émotion est claire, autant vocalement et scéniquement.

Mme Keenan était accompagnée d’un quatuor à cordes composé de Marie et Dominique Bégin au violon, Elvira Misbakhova à l’alto et de Stéphane Tétrault au violoncelle. Marie Bégin a d’ailleurs très bien joué dans l’extrait de la périlleuse Tzigane de Ravel.

crédit photo : Annie Bigras 

électronique / expérimental / contemporain

SAT X EAF | Performances et narrations immersives

par Félicité Couëlle-Brunet

L’atmosphère de l’Espace SAT est feutrée, mais jamais figée: toujours un peu imprévisible. Quelques banquettes en velours brisent la froideur du béton nu, témoin silencieux des centaines de pieds qui ont dansé ici avant nous. Ce soir, l’ambiance est familière, presque intime. Beaucoup semblent se connaître. J’ai l’impression de m’infiltrer dans un cercle, un écosystème discret où la musique expérimentale live est reine. Ce n’est pas une soirée ordinaire : ici, la scène devient terrain de jeu, la performance se mêle à la narration immersive, et il y a toujours de la place pour danser. Cette liberté, ce lâcher-prise collectif, est rare et précieuse.

La performance d’Amselysen s’est imposée comme un véritable pivot de la soirée. Nos conversations s’interrompent net lorsque, derrière nous, une voix métallique fend l’air. Elle vibre, elle grince, elle accélère. Quelque chose se prépare. Sur scène, Amselysen s’installe tranquillement. Il dépose son verre, ajuste son équipement d’un geste calme mais déterminé. Tout est en place, millimétré. Et pourtant, tout va basculer.

Les voix se multiplient, les fréquences se déforment, le bruit s’amplifie, et soudain, on décolle. C’est un vaisseau, un tunnel, un crash. Brut, industriel, parfois même inquiétant, son univers sonore est dense, chargé, intransigeant. Ce n’est pas seulement une performance musicale : c’est une immersion dans un chaos orchestré, où le corps est autant sollicité que l’écoute. Les séquences noise s’enchaînent avec une intensité folle, ponctuées par des grognements gutturaux, du growling assumé, qui rappellent ses racines rock et post-punk. On sent l’histoire derrière les sons, les années passées à sculpter l’énergie brute. Amselysen ne suit pas un script : il compose en direct, improvise, déforme, cherche les limites. Il nous les montre. Contrairement à l’esthétique souvent lisse ou introspective de certaines performances électroniques, ici tout est dans l’ouverture, l’instinct, la vulnérabilité. On assiste à un dialogue entre l’artiste et ses machines, entre la maîtrise et le lâcher-prise. Et c’est précisément dans cette tension que réside la force de son set : une honnêteté sonore rare, où chaque rugissement, chaque oscillation semble porter une intention claire.

Mais avant que cette intensité ne surgisse, c’est Laced qui avait ouvert le bal. Tout commence dans une brume douce, où les teintes roses et bleues découpent lentement l’espace. Laced apparaît presque en transparence, silhouette calme dans un décor pastel. Dès les premières pulsations, son univers s’installe. Un rythme mesuré, posé, qui donne envie d’écouter autrement. Sa musique n’impose rien. Elle propose, suggère, laisse deviner. Les textures sonores s’étirent comme des paysages flous, où certains motifs reviennent comme des souvenirs à moitié effacés. Chaque note semble ouvrir une porte vers un monde intérieur, intime. On entre sans s’en rendre compte, guidés par cette présence à la fois distante et enveloppante. La structure de la performance se déploie lentement, avec une précision tranquille. La basse s’installe, les sons synthétiques gagnent en densité, sans jamais rompre l’équilibre fragile de l’ensemble. Ce n’est pas une montée dramatique, c’est une expansion naturelle. C’était une belle découverte : une artiste qui semble penser la scène comme un espace narratif, une zone de transition entre rêve et réalité. Une ouverture en douceur, intrigante, qui donnait envie de regarder, d’écouter, et même de sentir autrement, une invitation à éveiller nos perceptions croisées, là où le son devient lumière.

Après la tempête Amselysen, l’air est chargé, presque électrique. On se regarde, un peu sonnés, curieux de voir comment la soirée va évoluer. C’est à Hesaitix de clore ce voyage, et d’un coup, une autre dimension s’ouvre. Dès les premières textures, quelque chose de plus organique se met en place. On glisse dans un monde fait de résonances minérales, d’échos aquatiques, de fragments d’un futur lointain. Le son est fluide mais jamais flou : chaque couche est précise, vivante. Le rythme, quand il émerge, pulse doucement comme un souffle, comme une marée intérieure. La performance d’Hesaitix est à la fois ancrée et suspendue. Elle mêle percussions distendues, glitchs subtils, et basses profondes qui résonnent dans le torse. On ne sait pas si on est dans une grotte ou dans une chambre d’échos numériques, et c’est précisément là que ça opère. Le corps se relâche, l’imaginaire se réveille. Là où Laced nous introduisait en douceur à un monde de sensations, et où Amselysen nous confrontait à une intensité viscérale, Hesaitix nous guide dans un territoire plus introspectif. Ce n’est pas une clôture en chute libre, c’est une dérive contrôlée, un lent atterrissage sur une planète lointaine. Une manière de revenir à soi après l’abandon, d’écouter ce qui vibre encore à l’intérieur.

Et alors que les dernières fréquences s’éteignent, un constat s’impose doucement : quelque chose est en train de naître. EAF ne propose pas simplement des soirées ; ils bâtissent un espace, une scène, un souffle nouveau pour la musique électronique live à Montréal. Un lieu où l’expérimentation n’est pas une exception mais une langue commune. Je me suis d’abord demandé pourquoi si peu de gens dansaient, puis j’ai compris : peut-être qu’ici, on écoute autrement. Peut-être qu’on est en train de réaliser que ces sonorités longtemps cantonnées à des caves berlinoises ou des squats londoniens prennent enfin racine chez nous. Que cette esthétique radicale, physique, parfois abrasive, peut rassembler. Donner envie de créer, de sortir de sa chambre, de partager une vision. Ce n’est pas un public passif, c’est une foule en devenir, une communauté en éclosion. Et c’est dans cette promesse, fragile mais lumineuse, que réside toute la portée de ce que EAF est en train d’ouvrir : une autre façon d’habiter la scène, ensemble.

hip-hop / hip-hop abstrait

MIKE, Navy Blue et Mike Shabb donnent une leçon de rap au Théâtre Fairmount

par Guillaume Laberge

Plusieurs centaines de fans ont été rassasiés jeudi soir avec, au menu, trois jeunes pépites du rap abstrait underground, tous au sommet de leur art. De nombreux fans de hip-hop se sont réunis au Théâtre Fairmount pour le spectacle numéro 69 d’une tournée très condensée de 71 spectacles du rappeur MIKE.   

Le spectacle débuta en force vers 20h avec l’entrée en scène de notre joyau montréalais Mike Shabb. Déjà établi autant sur la scène locale qu’à l’international, Shabb ressort du lot depuis plusieurs années dans le mouvement hip hop dit drumless grâce à sa cadence unique et son oreille raffinée pour dénicher de bons instrumentaux. Sur scène à domicile, Shabb captiva la foule dès la première seconde. Il enchaîna un bon mélange de styles et même s’il disposait d’un temps plus court, il offrit une très bonne première partie, il a brillé par son énergie et par son talent indéniable. 

C’était au tour de Navy Blue de fouler la scène. Bien qu’il œuvre dans le même sous-genre de hip-hop que les deux autres performeurs, le rappeur californien a offert une performance totalement différente de ceux-ci. À première vue, il est très calme, posé et n’est pas le plus extravagant, mais il se démarque lorsqu’il a le micro en main. Blue a proposé un set très intime et fort en émotions et le public ne le lâchait pas des yeux. Ses intentions étaient claires, il était venu partager ses textes et se vider le cœur et ça se faisait ressentir après chacune de ses paroles. Blue performa plusieurs titres de son excellent projet Memoirs In Armour paru en 2024. Mention spéciale aux chansons La Noche et Time Slips qui furent très touchantes.

Place à MIKE, une figure importante du rap underground et qui, malgré son jeune âge, compte déjà plusieurs albums de renom sous sa ceinture. Comme c’était à s’y attendre, le rappeur originaire du New Jersey donna aux fans une performance haute en couleur. Premièrement, il est impossible de ne pas mentionner la taille de cet homme. Il est monstrueusement grand et costaud, un vrai colosse. Le rappeur du New Jersey débuta avec quelques chansons diverses de son catalogue avant de se lancer dans son album Showbiz sorti en janvier dernier. 

MIKE interagissait constamment avec le public. Entre ses chansons, il le faisait danser, chanter, rire et réagir. Sa personnalité rayonnait sur scène et il m’a semblé très sympathique. Il allait même jusqu’à chanter les différents échantillons sonores utilisés dans ses chansons, une pratique peu courante dans le style, mais toutefois très drôle et unique. 

Juste à entendre son répertoire, le talent de ce gentil géant est évident, mais de le voir rapper en personne et tout donner sur scène dans son chandail complètement trempé de sueur, cela a démontré aux fans à quel point il est spécial dans l’industrie. Il est resté sur scène pendant environ une heure et demie et a conclu son set en allant derrière les platines pour mixer plusieurs sons, notamment quelques chansons du dernier opus de Playboi Carti.

Le talent de ces trois hommes n’a laissé aucun fan indifférent.  Ill s’agissait d’un rendez-vous important pour les amateurs de hip-hop abstrait ou “drumless”, un genre qui ne cesse de gagner en popularité.

autochtone / classique

OSM | Du ciel à la Terre

par Alexis Desrosiers-Michaud

Tout comme il y a deux ans, l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) termine sa saison 2024-25 avec Gustav Mahler, cette fois avec son Chant de la Terre. En première partie, pas de concerto, mais bien deux co-créations visant à souligner la réalité des peuples autochtones présents sur notre continent. En prélude, « une cérémonie innue du tambour teueikan [souligna] la portée symbolique de l’événement. Instrument sacré, le tambour est au cœur de plusieurs traditions spirituelles et culturelles des peuples autochtones » par l’ainé Charles-Api Bellefleur. 

La première cocréation, You Can Die Properly Now, de la compositrice Ana Sokolovic sur un texte de Michelle Sillyboy est chantée en langue Mi’kmaq par la soprano Emma Pennell, est, musicalement surtout un environnement sonore sombre et lugubre pour servir le texte. Considérant que ce dernier nous plonge directement dans la cruauté du sort des enfants autochtones ont été envoyés dans les pensionnats, à qui, justement, l’œuvre est dédiée, on n’aurait pas imaginé autre chose. Ajoutant la transcription de la graphie des symboles de la langue originale en direct sur écran géant par l’écrivaine, cela donne un résultat très réussi. 

La seconde création, Un cri s’élève en moi, d’Ian Cusson sur un texte de Natasha Kanapé Fontaine, est on-ne-peut-plus contrastant à You Can Die Properly Now.  Chantée en français par la soprano québécoise Elisabeth St-Gelais, est très mélodique, avec plus de couleurs harmoniques et orchestrales. Cette œuvre rendant hommage à la vie et au rôle de la femme dans les peuples autochtones, si importantes dans ses traditions. De facture tonale, cette pièce de 10 minutes est construite un peu comme de la musique de scène, soit selon les émotions transmises par le texte et par St-Gelais pour une finale avec des mots que nous connaissons bien ici : « Je me souviens ». 

Le Chant de la Terre de Mahler, symphonie pour alto et ténor et orchestre occupe une place à part dans l’œuvre du compositeur. Empruntant également la forme du lied, elle est arrivée tard dans la vie du compositeur et n’a rien à voir avec ses symphonies les plus connues.  Les mouvements 1, 3 et 5 sont chantés par le ténor, Nikolai Schukoff en ce qui nous concerne. Celui-ci, très enthousiaste, se débrouille bien. Son timbre est clair et il chante par cœur, aspect non-négligeable. Sa diction est claire et son interprétation physique nous embarque avec lui, notamment lorsqu’il fait l’ivrogne. Sauf que ça devient trop quand il continue ses mimiques quand il ne chante pas. Ce n’est pas son rôle de livrer le texte, encore moins à jeter un regard au chef et aux musiciens qui l’entourent. 

Michelle DeYoung est la mezzo-soprano qui alterne avec Schukoff. Elle est moins expressive de corps, mais tout passe par son visage et ses yeux, surtout. DeYoung ne chante pas par cœur mais c’est à peine si elle regarde la partition; à l’instar de son acolyte, elle est là pour raconter une histoire, avec sa voix ronde et profonde. 

Comme dans d’autres œuvres de Mahler, le dernier mouvement est le point culminant de toute l’œuvre. 
Alors que nous avons eu droit à cinq mouvements assez pastoraux, avec tellement de légèreté que la musique vole à certains endroits, notamment grâce au brio des bois, l’Adieu final est sombre. Sans passer du côté tragique toutefois, DeYoung se surpasse dans le ressenti de la musique, accompagné par un OSM qui lui colle à la voix. Les touchantes  « Pour toujours », répétées inlassablement résonnent dans sa voix comme un mantra, une prière.

Crédit Photo: Gabriel Fournier

opéra contemporain

« Hiroshima, mon amour »: une soirée pour se rappeler

par Marilyn Bouchard

Co-produit par Carte Blanche et Chants Libres dans le cadre du FTA, l’adaptation du chef-d’œuvre cinématographique Hiroshima mon amour  en opéra contemporain était un pari ambitieux. Pour rendre hommage à ce film d’une grande beauté jadis primé à Cannes, le metteur en scène Christian Lapointe et sa collaboratrice et compositrice Australienne Rosa Lind se sont penchés sur la musicalité de cette œuvre en invitant le Quatuor Bozzini, une harpe, une clarinette, une flûte et des percussions à se joindre à la distribution afin de mettre en notes la poésie d’amour et de mort par Marguerite Duras.
Le premier acte s’ouvre au « studio voix », dans lesquels les interprètes Yamato Brault-Hori et Ellen Wieser enregistrent leur dialogue devant les micros et où on comprend que l’adaptation nous réservait une surprise : le personnage de Marguerite Duras est également présent, incarné par Marie-Annick Béliveau, comme une mise en abîme de la créatrice dans la création. Le deuxième acte se situe dans la loge où les acteurs se déshabillent et se rhabillent, se retrouvant partiellement dénudés à la manière d’après l’amour. Dans le troisième, on joue au plateau avec les protagonistes qui redeviennent ceux de 1959 en répliquant avec une exactitude renversante les placements et expressions originales. Dans le quatrième acte, on est dans la fiction, notamment avec le personnage de l’amant allemand qui s’ajoute et qui fait brûler la pellicule, symbolisant l’oubli de cette mémoire, de ce film et de ses évènements, exactement tel que le propos l’affirme. Dans le cinquième, les décors tombent et nous permettent de voir apparaitre clairement les musiciens. On assiste, sur une scène dénudée, à la discussion avec les artistes où le quatrième mur n’existe plus et où on nous laisse sur le duo de Yamato et Ellen à l’avant-scène qui lentement, fondent au noir comme nos souvenirs.
Cinq actes qui se suivent dans l’ordre d’une production, faisant écho à la création de ce film mythique et à son rêve de paix. Tout au long du spectacle, les plus de 400 projections issues du film s’enchaînent, à la fois sur tulles géants mais aussi sur écrans, multipliant les formats et les effets, et la caméra live rend floue la ligne entre le film et la scène, en faisant un clin d’oeil au présent. On nous quitte sur une projection finale : Arrêtez le génocide à Gaza, la seule et unique qui est tirée de la modernité.

Une soirée où la mémoire et l’oubli, où le passé et le présent, s’entremêlent brillamment, sur une partition délicatement dissonante et merveilleusement exécutée. «Dans quelques années, quand je t’aurai oublié et que d’autres histoires comme celle-là, par la force encore de l’habitude, arriveront encore, je me souviendrai de toi (…)comme l’horreur de l’oubli » On espère tout de même qu’on oubliera pas celle-ci de sitôt. Pour découvrir ou redécouvrir cette œuvre magistrale mise en musique et en scène de manière brillante, je vous recommande de courir à l’Usine C.



 

Électro / euro-disco

L’art du trait: l’euro vision de Klangkarussell à la SAT

par Loic Minty

Tard dans la nuit, le boulevard Saint-Laurent est peuplé de personnages de bandes dessinées. Ils tournent religieusement autour de leurs désirs, les absorbent en les bloquant avec une cigarette et quelques bavardages, pour ensuite replonger dans l’abîme avec des oreilles fraîches. Quelque chose de rebondissant et de doux pour vous faire tomber, mais avec juste assez de substance pour retenir votre attention. Trance. Le duo électronique autrichien Klangkarussell est passé maître dans l’art du trait, l’art de la ligne.

Avant même que vous ne vous en rendiez compte, il est sous vos pieds, un accord rythmique sert de lit à des voix pleines d’âme qui restent dans votre tête jusqu’à ce que vous vous endormiez. C’est un manuel d’eurodance et de trance vocale qui mêle des éléments de disco, une musique destinée à être partagée et dans laquelle on entre et on sort. C’est l’ambiance de la vie nocturne sociale, où les bavardages – étouffés par les lourds kicks – font partie de la musique. Les gens s’accrochent les uns aux autres comme des bouquets d’herbe annonçant le printemps. Je parle à un couple qui me dit être venu de l’autre côté de la rivière pour voir Klangkarussell et je commence à me demander d’où ils viennent exactement.

Devenu populaire à la même époque qu’Avicii et Martin Garrix, Klangkarussell fait partie des exportations européennes qui ont réussi à mélanger des tubes pop avec des montées en puissance et des progressions d’accords et des rythmes conventionnels. Cette arrivée tardive de la pop électronique européenne en Amérique du Nord a été accueillie avec enthousiasme, car sa formule simple était empreinte d’un optimisme qui donnait envie de se laisser aller et de faire des folies. Je me souviens qu’il s’agissait de la bande-son de nombreuses fêtes d’anniversaire, mais à en juger par la foule plus âgée, j’imagine qu’il était tout aussi populaire dans les festivals à l’époque de la récession. Impressionné par la capacité de Klangkarussell à attirer les foules, je me suis approché de plus en plus près pour voir ce qui se passait. Tout sourire, leur excitation était contagieuse car elle annonçait la prochaine montée et la prochaine descente. Les mains en l’air pointant vers le ciel – quand l’hymne commence, il n’y a plus de limites à l’esprit.

Au fur et à mesure que la nuit avance, la piste de danse devient une sorte de communion, et Klangkarussell et ses grands prêtres silencieux. Leur musique n’exige pas l’attention, elle la mérite, attirant doucement les gens vers l’intérieur tout en les élevant. Dans un monde qui semble de plus en plus fragmenté, leur son offre une étrange cohésion, une pulsation partagée. En regardant la foule se balancer sous les lumières vacillantes de Saint-Laurent, je réalise qu’il ne s’agit pas seulement de nostalgie ou d’évasion – c’est un rappel que parfois, tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un rythme auquel nous accrocher, et d’un endroit où nous perdre.

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