Voici un programme d’une grande cohérence. Les trois pièces qu’on y entend, deux par l’Irlandais Raymond Deane et une par l’Ukrainien Valentin Silvestrov, donnent toutes l’impression de respirer et de soupirer comme quelques entités sonores incarnées physiquement. Crescendos et decrescendos se suivent, parfois s’amplifient, parfois s’étiolent, ailleurs se désarticulent, jamais totalement.
Marthiya de Deane, pour violon, alto et violoncelle ne professe pas de programme précis, mais reconnaît néanmoins une dette thématique au Moyen-Orient. Marthiya, en effet, renvoie à une forme poétique persane et arabe, traitée ici dans une progression harmonique récurrente, tel un mantra, faisant référence à une caractéristique des langues sémitiques. L’atmosphère sombre et funeste de l’oeuvre est, dit le compositeur, un commentaire de la dévastation subie par l’Irak depuis la guerre de 2003.
Embers, également de Deane, est un quatuor à cordes qui date de 1973. Cela dit, son univers sonore est remarquablement proche de celui de Marthiya. En ce sens, Deane semble avoir conservé une impressionnante cohérence dans son langage. Une mélodie aisément identifiable, sorte de triste mélopée, occupe la place principale du matériau, mais en se désagrégeant au fil du développement. On comprend : Embers, en anglais, signifie braises. Comme un feu, une source de chaleur qui s’éteint, Embers, basé sur une pièce de Beckett, traite des souvenirs, de la mémoire, des émotions dont on souhaite entretenir la présence, que l’on tente de garder en vie, mais tout s’en va, tout finit par se retirer et disparaître, graduellement, faiblement, mais inévitablement.
Silvestrov est une sorte de quasi-star de la musique contemporaine. Son univers qui fusionne de façon unique une certaine idée de la répétition de l’école minimaliste américaine avec une harmonie brumeuse, oscillant constamment entre chromatisme moderne et tonalité mélancolique, en a fait un chouchou de la scène savante contemporaine à la fois accessible et exigeante. Le Quatuor no 3 n’est rien de moins qu’une création originellement construite pour le Kronos Quartet, via le concours déterminant du label Louth Contemporary Music Society (que je ne connaissais pas jusqu’à récemment, honte à moi!). Remercions-les car c’est un bijou de composition. Des passages mélodiques, teintés, dit Silvestrov, d’un petit quelque chose d’Irlandais, sont à couper le souffle de beauté pluvieuse, comme un délicat crachin sonore, poignant et spleenesque. Ça ne dure pas, les plaintes fantômatiques reprenant leur domination émotionnelle rapidement. Mais le jeu de chat et de souris des deux mondes, typique de Silvestrov, est ici pleinement maîtrisé en tant que discours musicalement nourrissant et inspirant.
Excellente prise sonore, et grande attention aux contrastes de la partition en ce qui concerne les cordes, de la profondeur ronronnante aux pointes claires des pizzicati chez Silvestrov.
Superbe parution d’un label que l’on souhaite mieux connaître ici, de notre côté du grand lac.