Un des plaisirs des posséder des albums vinyles ou CD, c’est de pouvoir étudier la pochette sous tous les angles tout en écoutant la musique. Il arrive parfois que la pochette soit tellement captivante qu’on en oublie la musique; il arrive aussi que le contenu soit beaucoup moins intéressant que le contenant (combien de fois s’est-on fait avoir !). Le meilleur, bien sûr, c’est quand la musique et la pochette sont toutes deux excellentes… voire inoubliables. Sur les centaines de disques aux pochettes formidables qui nous sont passés entre les mains, en voici 20 qui ont retenu notre attention.
L’équipe de Pan M 360
Weezer
OK Human
Atlantic/WEA
Le dessin hyper chargé de l’artiste visuel suédois Mattias Adolfsson évoque ce qui pourrait être l’intérieur d’un ordi (pour demeurer en phase avec le clin d’œil évoqué par le titre de l’album) ou de studio spatial ultra bordélique, sorte de joyeux foutoir dans lequel on peut se perdre pendant des heures, examinant attentivement chaque menu détail. Rivers Cuomo, leader de la formation pop-rock américaine et grand amateur de comics, est paraît-il tombé sous le charme des dessins du suédois lors d’un passage dans une boutique de bandes dessinées. (Patrick Baillargeon)
Noé Talbot
Remercier les accidents
Slam Disques
Pour illustrer la pochette de son recueil Remercier les accidents, le chansonneur pop-folk-rock-punk Noé Talbot nous propose un saule au fût immergé par les eaux du lac Wanaka, dans le sud de la Nouvelle-Zélande. Cet arbre résilient doit figurer sur des milliers de clichés; celui qu’a choisi Noé provient du photographe belge Loïc Naessens. Difficile de dégoter une adéquation plus parfaite du végétal, de l’aquatique, du minéral et du céleste. « J’te promets pas grand-chose sauf le présent », chante Noé sur Pour l’instant, dixième pièce de l’album. C’est bien ce que nous dit ce saule : seul compte le présent. (Luc Marchessault)
Altin Gün
Âlem
Indépendant
Puisqu’ils ont Amsterdam comme port d’attache, pas étonnant que les chefs de file du psych-rock turc Altin Gün ornent leurs pochettes d’albums d’illustrations hallucinogènes (jetez un coup d’œil à Yol, leur autre album de 2021). La parution indépendante Âlem, une exclusivité Bandcamp, nous présente une forme mystérieuse qui provient de l’imagination architecturale du designer britannique Alexander Khabbazi. Cette illustration mérite une mention spéciale, tout comme l’initiative qu’a prise Altin Gün de remettre tous ses revenus de vente de musique à l’organisation environnementale EarthToday. (Rupert Bottenberg)
IDLES
Crawler
Partisan
Vous avez déjà éprouvé cette sensation de simplicité incertaine en regardant quelque chose plus d’une fois pour en déchiffrer le sens? C’est ce qu’incarne cette pochette d’album simpliste, mais déroutante. Un logis à deux étages avec fenêtres ouvertes sur un fond sombre. À droite, un astronaute solitaire ou un motocycliste rétro (c’est ambigu) flotte dans le vide, chaussé de godasses de sport. On dirait une scène de théâtre ou une page de catalogue IKEA. On pourrait bien essayer d’établir un lien thématique avec les chansons, mais il s’agit simplement d’une œuvre photographique à la fois abstraite et marquante. (Stephan Boissoneault)
Máquina Delírio
Mefistovalsas
Indépendant
À ce que l’on sait, ce duo de la ville merveilleusement nommée de Florianópolis, au Brésil, n’a pas conclu de pacte avec le diable pour son album à tendance psycho-rock tripatif Mefistovalsas. Toutefois, un accord a bel et bien été conclu avec l’artiste Pedro Correa, qui a réuni ici tous ses éléments préférés : globes oculaires, cosmos, félins sauvages et formes géométriques. Ça ferait une affiche blacklight parfaite, non? (Rupert Bottenberg)
Attacca Quartet
Of All Joys
Sony Classical
Après l’illustration aux couleurs vibrantes et psychédéliques de leur premieralbum Real Life, aux sonorités électro, le deuxième album publié en 2021 par l’Attacca Quartet est présenté dans une facture visuelle plus sobre et épurée qui fait écho à son répertoire minimaliste. La palette évoque l’émergence de l’ombre vers la lumière alors que l’illustration de l’oiseau, signée Anja Hoppe, évoque le côté aérien du répertoire, mais aussi la liberté retrouvée de pouvoir créer et jouer ensemble après des mois de confinement. (Alexandre Villemaire)
Squid
Bright Green Field
Warp
Cette pochette, tout comme les morceaux de Bright Green Field, est bien remplie. Le champ vert luxuriant, les poubelles formant un personnage, le ciel bleu éclatant : tous des éléments qui sautent aux yeux. Il s’agit à la fois d’une image désarmante par la simplicité de la composition et engageante par la complexité des éléments. Il faut aussi mentionner le superbe mélange de bleu et de vert pimpant s’accompagnant d’un gris triste, donnant l’impression d’un bonbon pourri de l’intérieur. Un album n’est pas obligé de n’avoir qu’un excellent contenu audio, l’emballage peut aussi être superbe ! (Louis Garneau-Pilon)
Super Break Orchestra
The Breaks EP
Trigger
Les dix membres du Super Break Orchestra de Tokyo produisent le genre de funk lourd et cuivré conçu pour accompagner les affrontements de breakdancers. Qui de mieux pour créer l’illustration de leur premier EP que Dragon76, qui mélange le style street-art américain et les traditions du graffiti hip-hop avec les animations, les jeux vidéo et l’art populaire de son Japon natal? Sans oublier une sensibilité samouraï prononcée (pas étonnant qu’il gagne des batailles artistiques dans sa ville d’adoption, NYC). (Rupert Bottenberg)
Marianne Faithfull & Warren Ellis
She Walks in Beauty
BMG
L’an dernier, nous apprenions avec effroi que la grande et belle Marianne Faithfull avait contracté la COVID. Malgré son âge avancé et sa santé fragile, elle a survécu au virus. Puis, au printemps dernier, Lady Marianne a fait paraître She Walks in Beauty, un album où, sur d’envoûtants paysages sonores créés par Warren Ellis, elle récite la poésie des Romantiques anglais : Byron, Hood, Keats, Shelley, Wordsworth, Tennyson. Le livret qui accompagne l’édition physique du disque est magnifique. Des peintures signées par l’artiste britannique Colin Self s’ajoutent au texte de chacun des poèmes. La contemplation de ces images impressionnistes complète l’expérience de l’auditeur en le plongeant dans un univers poétique d’une grande splendeur. (Steve Naud)
Vistas
What Were You Hoping To Find?
Retrospect
Vue en vignette, la pochette du deuxième album des effervescents pop-rockers écossais Vistas semble être un simple et agréable motif géométrique. Mais si l’on zoome, on s’aperçoit qu’il se passe beaucoup de choses dans l’œuvre du designer coloradien Rosston Meyer, fondateur de Poposition Press, un maître du livre pop-up moderne qui applique cette technique de 3D instantanée à la pochette de l’édition vinyle du disque. (Rupert Bottenberg)
Dream Theater
A View From The Top Of The World
InsideOut
Ce n’est qu’après avoir identifié l’auteur de l’illustration que j’ai compris pourquoi elle avait retenu mon attention. En plus de signer les pochettes de Dream Theater depuis Octavarium (2005), le style surréaliste de l’artiste canadien Hugh Syme est visible, depuis 1975, sur des centaines d’albums (Rush, Bon Jovi, Iron Maiden) et de publicités (le dentifrice Sensodyne!). Pour illustrer le titre du 15e album du groupe métal progressif, Syme a choisi comme sommet du monde le Kjeragbolten, un bloc erratique situé sur la montagne Kjerag, en Norvège. (Christine Fortier)
Ken Sasaki
Keep Playing 2
Indépendant
Un « son rétro qui n’est pas simplement nostalgique », c’est ainsi que le Tokyoïte Ken Sasaki définit sa pop sympathique, douce et légère avec une saveur de funk haut de gamme, de chiptunes et de « pop urbaine » japonaise des années 80. L’illustration de la pochette, réalisée par Shinsuke Koshio, fondateur du studio de design SUNDAYVISION, va dans le même sens : elle a l’air de bien sonner, et peut-être même de goûter bon ! (Rupert Bottenberg)
Jerusalem In My Heart
Qalaq
Constellation
Des femmes ne peuvent cacher leur désemparement derrière leur masque de procédure. Il y a eu l’explosion dans le port de Beyrouth à l’été 2020, c’est la cata des catas. Le Liban était déjà plongé dans une crise profonde contre la corruption et le communautarisme, la misère économique se mettait de la partie et l’espoir de reconstruction a pris un dur coup. Mené par le Canado-Libanais Radwan Ghazi Moumneh, le véhicule multidisciplinaire Jerusalem in my Heart accuse le coup à travers cet excellent collaboratif, manifestation de solidarité internationale avec cette profonde inquiétude libanaise (Qalaq) en toile de fond de la création. La photo sélectionnée pour la pochette de l’album ne pouvait être mieux choisie, afin d’exprimer l’état des choses et la musique qui s’en inspire. (Alain Brunet)
Chad Vangaalen
The World’s Most Stressed Out Gardener
Flemish Eye
Chad Vangaalen, de Calgary, est depuis longtemps un nom familier de la musique indépendante canadienne – cela fait maintenant une bonne vingtaine d’années qu’il pratique son folk-rock idiosyncrasique, ainsi qu’avec ses illustrations et ses animations (rappelez-vous son incroyable vidéo de 2020 pour Seductive Fantasy de Sun Ra Arkestra). L’énergumène au visage spaghetti qui figure sur cet album, l’une des nombreuses publications de Vangaalen cette année, est un bon exemple de son style de dessin animé psychédélique, à la fois bête et sinistre. (Rupert Bottenberg)
Gazelle Twin & NYX
Deep England
NYX Collective
Gazelle Twin enchaîne les réussites. Son talent se voit aussi dans celui qu’elle a de s’entourer d’artistes tout aussi brillants. Ce magnifique album se veut la suite logique des concerts londoniens où elle se produisit avec le chœur féminin de drone électronique NYX, dans des versions remaniées de certaines des chansons composant son album Pastoral (2018). L’œuvre de l’illustratrice italienne Elisa Seitzinger, avec son bestiaire médiéval éclaté et désinvolte, ne saurait mieux seoir à Deep England. Le design graphique de la pochette a été réalisé par Jonathan Barnbrook, à qui l’on doit le graphisme de l’ultime album de David Bowie, Blackstar. (Geneviève Gendreau)
Population II
À la ô Terre
Castle Face
Cette pochette est celle de mon année 2021, car elle est tout ce que j’aime de Montréal : les belles rencontres imprévues, celles où on se laisse guider par l’énergie de la ville, ses gens, ses talents et sa musique. Cette pochette est celle que l’on veut absolument posséder, après avoir lâché des larmes de bonheur en découvrant une perle musicale. Cette pochette est celle que l’on veut garder en souvenir comme un Polaroïd que l’on prendrait pour immortaliser à jamais un voyage inoubliable : celui que j’ai fait en écoutant Population II sous le viaduc Van Horne, un jour de novembre 2021. (Salima Bouaraour)
Infiltro
Disforia
Indépendant
Ils ont beau être originaires du milieu de la planète, les noise-rockeurs équatoriens d’Infiltro poussent leur boucan abrasif à l’extrême. La pochette de leur dernier album, Disforia, est ornée de la présence charmante d’un rat punk accro aux pilules, une image archétypale qui pourrait émaner de la plume dégoulinante de la légende de la bande dessinée underground S. Clay Wilson, ou encore de celle du maestro graphique grunge des années 90 Savage Pencil. Or, l’illustration est l’œuvre du dessinateur et illustrateur Paco « Afromonkey » Puente, fondateur de l’anthologie Azno Cómics. (Rupert Bottenberg)
Hayden Pedigo
Letting Go
Mexican Summer
Se décrivant comme étant un « artiste non émergent d’Amarillo, Texas », Jonathan Phillips a utilisé une photo que lui a donnée Hayden Pedigo en guise d’inspiration pour la pochette de l’album. Il raconte que celle-ci était l’une des nombreuses photos dérisoires de Pedigo où il est habillé en streetwear. Phillips en a fait une œuvre peinte à l’huile sur un panneau de bois de 12 pouces par 12 pouces. De cette œuvre fut créée la pochette de l’album, provocante par ses couleurs et l’étrangeté du personnage. (Isabelle Marceau)
Tendinite
Neither/Nor
Araki / Poutrage
Tendinite est un trio originaire de Reims qui propose du punk garage lo-fi à la fois brut et efficace. Son plus récent album, Neither/Nor, en témoigne. Le mutant à plusieurs bras de la pochette est l’œuvre de Val l’Enclume, un graphiste dont le style absurde et apocalyptique a valu à Tendinite d’être associé au groupe marseillais de sérigraphie Dernier Cri. (Rupert Bottenberg)
Ghost Rhythms
Spectral Music
Cuneiform
Deuxième album chez Cuneiform pour la dizaine de musiciens du groupe français Ghost Rhythms, mené par le batteur Xavier Gélard et le pianiste Camille Petit. Une pochette étrange, de Jonathan Martin, qui n’est pas spécialement reliée au thème du disque (la distanciation et son remède : la télépathie), mais qui a un caractère accidentel, ou involontaire, ayant un certain charme. La musique est une manière de rock progressif jazzé qui a des affinités avec celui de Soft Machine ou de Miriodor. À découvrir. (Réjean Beaucage)