La plateforme PAN M 360 est née de la crise des médias… qui revient nous hanter dans l’actualité en cette fin d’année. Les coupes drastiques de la télévision traditionnelle chez TVA et la réduction budgétaire de CBC/Radio-Canada nous remettent sur le nez cette crise amorcée depuis trop longtemps déjà… et dont nous ne voyons pas la sortie. C’est pourquoi nous réfléchissons très fort à un avenir plus radieux que celui qui se présente à nous… sans solutions viables.
Professionnel du développement stratégique des grands médias depuis les années 80, notre collaborateur Luc Tremblay s’est joint à PAN M 360 pour participer avec nous au chantier des nouvelles plateformes de référence. À notre chantier de réflexions, il suggère une série d’analyses sur l’actuelle crise des médias.
Comme les « majors » de la musique l’ont fait il y a 15 ans, les acteurs industriels des médias traditionnels cherchent aujourd’hui à préserver les structures actuelles et s’inscrire dans la durée. Y arriveront-ils ? Poser la question…
De toute évidence, les leçons de l’histoire récente de l’industrie de l’enregistrement musical n’ont pas été apprises, pour l’instant du moins.
Rappelons-en les faits.
Pour se sortir de la crise du téléchargement illégal dans les années 2000, Sony, Warner, Universal, soit les trois multinationales de l’enregistrement ayant survécu aux grands bouleversements des années 2000, ont conclu des ententes à rabais avec Spotify et les autres plateformes d’écoute en continu. Les artistes en paient le prix et le paieront encore longtemps.
Ce qui se passe aujourd’hui du côté des médias traditionnels laisse présager un processus similaire de vente à rabais, dont l’objet est de maintenir les mêmes structures.
On a déjà pu le constater aux audiences du CRTC sur l’application du projet de loi C-11 (Loi sur la diffusion continue en ligne), les patrons d’entreprise tendent à réagir comme l’ours polaire accroché à un morceau de banquise qui fond.
On s’active, on s’insurge, on monte aux barricades pour sauver un secteur industriel et des emplois bien rémunérés, soit. Mais il s’agit d’abord ici de préserver la culture canadienne et québécoise d’une part, et la qualité de l’information, assise du processus démocratique, d’autre part.
On entend leurs dirigeants, par exemple, soutenir qu’il faudrait adoucir les contraintes, la réglementation et autres freins apparents. Qu’avec moins d’obligations, les diffuseurs retrouveraient la santé.
On conviendra, bien sûr, qu’il y a un déséquilibre spectaculaire entre la réglementation imposée aux entreprises de communication canadiennes et la liberté totale dont bénéficient Netflix, Spotify et leurs semblables. L’intention du processus en cours est de modifier cet état de faits.
Mais comment le modifier ?
Passer le cadre réglementaire à la guillotine pour dupliquer le modèle du far web dans le secteur des médias traditionnels serait une grossière erreur à mon sens. Il serait inutile, voire indécent, d’injecter de l’argent public dans un éventuel fonds d’urgence pour préserver le statu quo. On cherchera l’erreur si ce fonds d’urgence devient pérenne.
Les solutions de sortie de crise ne peuvent rimer avec statu quo. Les propositions qui suivent cherchent à répondre à cet objectif.
Les médias traditionnels devraient réfléchir ensemble
À mon sens, les médias traditionnels devraient réfléchir ensemble. Le chantier de leurs états généraux souhaités devraient être complémentaires à celui de la modernisation du système de radiodiffusion en cours depuis le dépôt du rapport Yale en janvier 2020, dont les trains de mesures proposées par cette équipe sagace se mettent en place… tard, très tard. Et il y a de la résistance, de Meta notamment, mais ce mouvement intelligent et nécessaire est bel et bien entamé.
La modification du cadre réglementaire et législatif ne sera pas suffisante. Il faudrait aller plus loin.
L’industrie devrait se structurer différemment, sur des bases de mutualisation, de regroupement des activités qui ne concernent pas la production de contenu et d’information. Une telle rencontre aurait pour premier bénéfice de rassembler les acteurs de l’industrie dans cet esprit: la collaboration. Un arbitre devrait alors siffler alors la fin de la période des hostilités pour que les considérations de concurrence soient mises de côté, du moins pour un temps.
Quiconque balaie cette idée du revers de la main en la qualifiant d’utopique doit se demander quelle vision de l’avenir est plus engageante : celle d’une mise en commun des ressources des acteurs locaux ou encore la dystopie actuelle qui mène tout droit à la mainmise des géants du web sur la production culturelle et l’asphyxie subséquente du journalisme.
Small is not beautiful
Pourquoi souhaiter un regroupement ? À cause de la masse critique.
Les “barbares numériques”, comme les nomme Alain Saulnier (ex-patron de la SRC devenu prof et référence dans le romaine), gagnent parce qu’ils ont du volume. Ce qui leur procure trois avantages majeurs: d’abord les milliers d’informaticiens qu’ils emploient leur procurent une nette supériorité technologique. Ensuite, les dizaines de milliards de dollars investis en production de contenus par les Netflix, Amazon, Disney en font des destinations incontournables pour l’usager. Enfin, le volume de données prélevées sur leurs centaines de millions, voire milliards d’usagers bonifient leurs algorithmes, en améliorant l’expérience usager et l’efficacité publicitaire.
Seule la combinaison des forces mènerait à profiter des mêmes avantages.
La distribution des contenus a été la première activité déconstruite par l’expansion des fonctionnalités du web. Mais après une dizaine d’années d’expérimentation, la question se pose : les Crave, Illico et Tou.tv en vidéo, iHeart, QUB et RadioPlayer en audio; ces marques reconnues et jouissant d’auditoires importants n’ont pu sauver la mise, la vague de coupures sanglantes survenue cette année en est la preuve flagrante. Majeures à l’échelle canadienne, ces plateformes restent marginales à l’échelle internationale.
Qui plus est, le regroupement de l’entière production canadienne sur deux plateformes (vidéo et audio) permettrait de créer des produits d’appel plus pertinents. Il serait d’ailleurs assez facile d’en structurer le répertoire en mettant en valeur les marques des producteurs de contenu, cette façon de faire est déjà une norme dans l’industrie – Bell Média organise son offre de cette façon sur CRAVE avec ses propres marques et celles qu’elle exploite sous licence.
La répartition des revenus se ferait en fonction des abonnés que chacun amènerait au service. On en convient, le coût d’un tel service ferait l’objet de négociations corsées, un arbitrage serait nécessaire. Les puissantes machines promotionnelles des conglomérats seraient un ingrédient essentiel du succès d’une telle plateforme et engendreraient une croissance des abonnements.
Les coûts de maintien des plateformes serait rationalisé, les économies seraient investies en recherche et développement. Où se retrouveraient alors les contenus réunis de ces plateformes ? Il existe des plateformes fonctionnelles, il suffit d’en choisir une parmi celles qui existent, de créer une nouvelle marque, d’y faire migrer les répertoires et répartir les revenus au prorata de la consommation.
Au passage, la création jeunesse, qui souffre cruellement à l’échelle locale, pourrait en bénéficier largement; elle retrouverait sa pertinence sur une plateforme de diffusion en continu où l’accès d’un jeune de 15 ans a la même valeur que celui d’un adulte de 49 – Netflix le démontre avec éloquence.
Le pari, en somme : l’ensemble serait plus fort que la somme de ses parties.
Bientôt la suite de cette réflexion: bonification de l’offre aux annonceurs, publicité (dont celle à CBC/Radio-Canada), gestion des données