Sur la crédibilité de Bob Marley One Love, ze film

par Richard Lafrance

Très attendu, le biopic du mythique Bob Marley fait ici l’objet de l’analyse éclairante de notre contributeur Richard Lafrance, sans conteste l’un des plus grands spécialistes québécois de la musique jamaïcaine. Au Canada, Bob Marley One Love sort en salle le jour de de la Saint-Valentin et PAN M 360 vous en offre la plus complète des chroniques en ligne sur ce territoire… et plus encore !

Le 2 novembre 1979, je me rendais au Forum de Montréal pour assister à l’un de spectacles les plus marquants de ma jeune existence : Bob Marley and The Wailers y étaient de passage dans le cadre de la tournée Survival. Quel sentiment étrange donc, de me retrouver au même endroit 45 ans plus tard (rebaptisé le Forum Pepsi, aujourd’hui Cinéma Cineplex Forum) pour un visionnement du film Bob Marley One Love. Le film, rend  hommage à l’icône rasta et qui le présente de belle manière aux plus récentes générations.

Guerre tribale à Kingston

Le scénario nous ramène en Jamaïque durant la période 1976-80, avec un Marley en pleine gloire internationale, alors qu’il accepte de se produire pour ses compatriotes dans le cadre du concert Smile Jamaica, proposé par Michael Manley, alors premier ministre jamaïcain, au plus fort d’une guerre politique tribale et urbaine. 

Quelques jours plus tard, perçu comme étant beaucoup plus près du People National Party à tendance socialiste de Michael Manley que du Jamaican Labour Party pro-américain d’Eddie Seaga, le chanteur sera victime d’un attentat armé à sa résidence d’Hope Road. Il se prendra deux balles, sa femme Rita sera touchée (légèrement) à la tête et son manager Don Taylor, atteint de 6 balles, devra être transporté d’urgence en Floride pour y être soigné. 

Sur un coup de tête de dernière minute, Bob et Rita, encore ensanglantés et sous le choc de l’attentat, décident de monter sur scène avec les musiciens présents assez braves pour les accompagner et donnent l’une des deux performances jamaïcaines déterminantes de leur carrière. 

La seconde étant évidemment le désormais légendaire One Love Peace Concert, lors duquel Bob a littéralement forcé les deux opposants politiques à se serrer la main sur scène, devant une Jamaïque dévastée par la violence armée. Le film se termine justement sur les vraies scènes de cet événement de 1978.

Pour bonifier le contenu biographique du film, plusieurs flashbacks avec deux autres plus jeunes Bobs- l’un vers 10 ans et l’autre, superbement incarné par le jeune acteur américain Quadajay Henriques (cousin de Sean Paul) vers 20 ans, exposent des moments cruciaux de sa vie et de sa carrière.

Les meilleurs exemples en sont l’audition des Wailers, auprès de l’intimidant producteur Coxson Dodd et l’hilarant Lee « Scratch » Perry à Studio One, le « Motown jamaïcain », ou encore le Groundation, un rassemblement rasta sur la plage, oùRita présente Bob à Mortimer Planno, qui deviendra son guide spirituel rasta.

Depuis 1972 et la parution du film-culte The Harder They Come mettant en vedette Jimmy Cliff, aucune autre production cinématographique n’avait autant marqué l’imaginaire jamaïcain (et international) que celle-ci. 

Dans ce contexte actualisé, les gens de Paramount ont bien compris que l’apport de la Jamaïque serait essentiel au projet : plus de 400 acteurs et techniciens, en plus de 1,800 figurants jamaïcains furent utilisés pour ce projet de 25 jours de tournage, spécifiquement à Trench Town, le ghetto de Kingston Bob grandit et au Stade national de Kingston, lieu du One Love Peace Concert.

Les costumes sont les répliques exactes de la garde-robe de Bob et de sa cohorte; les dialogues et le patois sont naturels et fluides, très collés sur les faits réels, sauf quelques libertés prises dans le scénario.

Kingsley Ben-Adir et Lashana Lynch,  Oscarisables ?

Évidemment, le plus grand exploit de ce film financé par Brad Pitt, produit par Rita, Cedella et Ziggy Marley et réalisé par Reinaldo Marcus Green, concerne la transformation de Kingsley Ben-Adir en véritable « yardie » kingstonien! La méthode Williams, Joe Bell, Monsters and Men, en fait.

On l’attendait bien sûr au tournant… La ressemblance physique étant la seule évidence de départ (et oui, ses dreadlocks « artificiels » sont tout à fait crédibles!), l’acteur britannique de 38 ans a dû apprendre à jouer la guitare, chanter, danser et surtout parler un patois crédible et fluide… dans la voix et avec les intonations particulières au Tuff Gong. Ben-Adir aurait fait traduire phonétiquement une cinquantaine d’entrevues, pour ensuite bénéficier d’un accompagnement linguistique. 

Ce qui soulève la question cruciale : Ziggy Marley a affirmé qu’aucun des descendants, parmi les 7 fils et 10 petits-fils, ni aucun acteur jamaïcain n’aurait pu jouer le rôle de Bob, pour les besoins du film, vers l’âge de 36 ans. On suppose que la perle rare fut longue et ardue à trouver, mais plutôt du côté du Royaume-Uni.

Kingsley Ben-Adir semble crédible à tous points de vue. En spectacle, on reconnaît la vraie voix de Bob sur des bandes sonores remixées, qui donnent aux chansons connues une sonorité un peu plus contemporaine. Mais pour les prestations acoustiques, c’est bel et bien l’acteur qui chantonne. On a alors l’impression qu’il rend généralement son personnage un peu plus enjoué que mélancolique, malgré toute la vulnérabilité et l’insécurité exprimées à d’autres moments.

De son côté, Lashana Lynch, l’actrice britannique qui fut la première femme à incarner James Bond dans No Time to Die (2021) incarne avec finesse et aplomb la matriarche du clan Marley et choriste des I-Threes, le trio vocal qui accompagna les Wailers dans toutes leurs tournées internationales, pour lequel elle aura mis une sérieuse carrière solo de côté.

Fils et filles de…

Autre facteur jamaïcain digne d’intérêt: plusieurs acteurs et chanteurs du film ont déjà des carrières musicales : les chanteuses Naomi Cowan, fille de Carlene Davis et Tommy Cowan (ex-gérant de tournée des Wailers) qui joue Marcia Griffiths et Sevana, reprenant le rôle de Judy Mowatt. Abijah Livingston y joue son père, Bunny Wailer, et Aston Barrett Junior reprend le rôle du sien, le réputé bassiste Family Man Barrett, décédé à 77 ans il y a deux semaines.

Jamais sans controverses

Puisque le film est produit par le clan Marley lui-même, pas surprenant que les aventures extraconjugales du Gong, particulièrement cette histoire d’amour torride à la fin de sa vie avec Cindy Breakspeare, ex-Miss Monde 1976 qui a produit Damian « Junior Gong » Marley, vraisemblablement l’un de ses plus talentueux enfants, passent à la trappe.

Les plus belles chansons d’amour de Marley, Turn Your Lights Down Low et Waiting In Vain furent inspirées par la reine de beauté. Malgré toutes ses incartades, Bob resta marié à Rita jusqu’à sa mort.  

Rappelons qu’en 36 ans de vie, Bob Marley aurait eu plus d’une quinzaine d’enfants, soit 11 officiellement avec 7 mères différentes,  5 avec Rita, dont 2 adoptés.

Une scène marquante du film se déroule à Paris, où justement Rita rappelle à son mari jaloux qu’elle doit élever tous ses enfants – incluant ceux des autres maîtresses- tout en étant sa choriste et enfilant les tournées mondiales.

Mes bémols 

La scène (inventée) où l’assaillant de Bob lui apparaît (dans un songe?) pour lui demander pardon, scène tout à fait superflue et très loin de la vérité de ce qu’il advint du gunman en question.

Les scènes métaphoriques du jeune Bob qui s’échappe d’une forêt en flammes, accompagné de son père blanc biologique qu’il n’a vu que deux fois dans sa vie, ou de son père spirituel, celui à qui il a voué son existence, l’empereur Hailé Selassié 1er, Jah Rastafari !

En somme ?

Les attentes étaient évidemment très élevées pour ce film et…  malgré les réserves ici formulées, Ziggy Marley et ses proches ont relevé le défi de belle manière.

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