Jacques Brel était un Blanc, caucasien, européen, occidental, certes parmi les plus grands auteurs de chansons d’expression française, toutes époques confondues.
Stromae est un métis aux origines rwandaises et belges. Un demi-siècle après le règne de son illustre compatriote, il est actuellement le plus grand auteur belge de chanson francophone.
Et plus encore, on le constate de nouveau au crépuscule de 2022, Stromae demeure sans conteste la plus grande figure de l’entière francophonie au domaine de la pop.
Quel francophone européen, au fait, peut remplir aisément le Madison Square Garden à NYC ? Quel autre francophone européen peut remplir quatre Centres Bell sans forcer ?
On en a observé l’accueil tonitruant ce week-end, on l’observera de nouveau le 11 décembre au Centre Vidéotron de Québec et le 14 au Centre Bell.
Le cycle de ses spectacles présentés à Montréal depuis ses débuts n’annonce donc aucun déclin.
Une décennie plus tôt, les représentations du Métropolis furent prometteuses, mais on ne pouvait alors présumer clairement de la suite des choses, c’est-à-dire une telle domination. Les sceptiques furent confondus en 2015: les spectacles présenté au Centre Bell avaient été acclamés par des foules en liesse, le succès de masse de Stromae était atteint pour les meilleures raisons : répertoire de haut niveau, scénographie de haut niveau, charisme de haut niveau.
Mais… Secoué par ce tsunami de popularité, l’artiste bruxellois fut en proie au surmenage, au burn-out, à la dépression. Confus sur son présent et son avenir, il s’était alors retiré dans ses terres pour ainsi digérer le statut acquis, la pression médiatique, enfin toutes ces responsabilités qui viennent avec un telle célébrité. Il était même permis de croire que Stromae ne reviendrait plus resplendir dans l’espace public. On sait maintenant que l’appel de la scène et celui du studio étaient plus forts, heureusement d’aileurs.
Revoilà Stromae en Amérique du Nord avec la matière encore fraîche de Multitude, très bon album émaillé de chansons brillantes de réalisme et poétiquement relevées, et de cet autre spectacle frisant la perfection en incluant aussi ses plus grands succès il va sans dire.
Au service d’un répertoire top niveau, les effets spéciaux témoignent d’un goût sûr et d’une très grande créativité. Les films d’animation représentent la superstar sans faire dans la pompe et complètent la thématique de chacune des chansons exécutées en temps réel par le soliste et des musiciens très compétents. On se souviendra de cette approche visionnaire des éclairages, écrans, décor post-industriels et projections, voilà qui témoigne d’un avant-gardisme et d’un raffinement hors du commun. Un peu plus posé sur scène que par le passé, Stromae ne produit peut-être pas l’effet wow de 2015, son nouveau spectacle n’en demeure pas moins substantiel, nourrissant, divertissant.
Magnifié par ce nouveau chapitre, le triomphe absolu de Stromae est celui de la diversité francophone, répartie aux quatre coins d’un monde ayant cruellement besoin de ces valeurs inclusives.
Ainsi, une vaste proportion de ses fans n’a peut-être pas noté que ses chansons sont, outre la pop occidentale à tendance électro et certaines chansons de tradition française « classique », sont couchées sur des musiques populaires d’Afrique centrale, du Cap-Vert, d’Amérique latine ou de la Caraïbe. On réagit spontanément et naturellement à ces musiques car elles sont déjà présentes dans notre inconscient collectif.
Voilà qui, culturellement du moins, en dit long sur l’inévitable destin de l’Occident métis. S’il s’acharne à rester Blanc et caucasien, l’Occident sombrera face aux régimes monochromes revenus en force et fondés sur l’autoritarisme et l’intolérance de l’autre. S’il propose un autre modèle culturel que celui des nations apparemment homogènes et assurément crispées (Russie, Hongrie, Pologne, Turquie, Chine, Italie, etc.) et s’il résiste aux pressions internes des tenants du passé colonialiste et raciste (France, Brésil, USA, etc.) , le nouvel Occident pourra triompher des promoteurs de l’homogénéité, qui rêvent à tort d’une hégémonie perdue.