Journal d’un loup-garou (Lou Adriane Cassidy), Oiseau de nuit (Antoine Corriveau), Dogue (Ariane Roy), Feu de garde (Bibi Club), III (Choses sauvages), Abracadabra (Klô Pelgag), Nouveau langage (N Nao) et Maintenant jamais (Population II) sont les albums francophones sélectionnés dans la liste longue du Prix Polaris, soit le plus prestigieux prix canadien dont l’objet est de choisir le «meilleur album canadien » tous styles confondus.
Étant moi-même juré depuis les presque débuts du Polaris, je ne vous dirai pas pour qui j’ai voté. Mais je gage ma chemise qu’aucun de ces albums d’expression française ne gagnera le fameux prix. Qu’on ne s’y méprenne, je n’ai ici aucune intention fondée sur quelque nationalisme étroit et crispé, ce qui me pue au nez. Je propose plutôt une observation réaliste, une analyse pragmatique.
Depuis plusieurs années, tout ce qui provient des Québécois francophones blancs de souche, c’est-à-dire tous les albums mentionnés d’entrée de jeu, séduit peu ou pas de journalistes canadiens s’exprimant en anglais ou dans une autre langue que le français.
Est-il besoin de rappeler que les chroniqueurs.euses de musique anglo-canadienne, unilingues sauf exceptions dans le Rest of Canada (ROC) ne voient AUCUNE coolitude dans ces très bons albums, parce qu’ils ne comprennent pas un traître mot de ces chansons, soit plus ou moins la moitié de la qualité artistique du travail accompli. Qui plus est, rappelons que l’image du Québec français dans le reste du Canada n’est peut-être pas à son meilleur auprès de la mélomanie anglophone du ROC encline au corpus Polaris pour les raisons que l’on sait, d’autant plus que cette communauté n’en connaît pas les nuances et ne parle pas la langue pour faire la part des choses. Alors? Seuls Population II et Antoine Corriveau pourraient en séduire certains parce que les propositions musicales sortent des sentiers battus… Au point d’en faire un ultime gagnant? Très peu probable.
Or, chacun sait au Québec indie franco que les albums les plus hot de l’heure au Québec sont ceux de Lou-Adriane Cassidy et d’Ariane Roy. Mais… si vous n’y pigez rien de la qualité du texte parce que vous ne maîtrisez pas la langue, ces albums deviennent nettement moins singuliers qu’ils ne le sont pour de vrai. Imaginez-vous un album de Richard Desjardins dans une autre langue avec exactement la même musique… serions-nous séduit.es?
Et c’est pourquoi les albums francophones ne gagneront pas en 2025, une fois de plus, même si certains se trouveront dans la courte liste du Polaris bientôt rendue publique.
Alors pourquoi en faire un plat ? Chaque année depuis 2006, soit depuis l’attribution du premier Prix Polaris, les journalistes kebs soulignent à grands traits la sélection francophone sur les listes longue et courte du Polaris. Pour être plus précis : en 19 ans, un seul groupe franco a gagné et ça fait une mèche : Karkwa, en 2010, ce qui avait d’ailleurs soulevé l’étonnement ça et là dans le ROC.
Depuis lors, RIEN. Oui bien sûr, d’excellents albums québécois non francophones se sont hissés jusqu’au sommet, on pense à ceux de Pierre Kwenders, Godspeed You! Black Emperor et autres Backxwash.
Quant aux Kebs de souche s’exprimant en français, RIEN.
Rappelons néanmoins que la francophonie représente entre le quart et le cinquième de la population canadienne, soit 11 millions, un peu plus de 25%. Or, les Kebs francos ont remporté un peu plus de 5% des Prix Polaris. On ne peut évidemment pas réclamer la représentativité exacte de la population francophone canadienne, mais un seul gagnant franco en 19 ans, ça marque l’imaginaire.Croyez-vous vraiment que ça va changer de sitôt? Je vous le donne en mille, ne soyons pas naïfs. Cela étant dit, il est possible que Marie Davidson, francophone québécoise dont le superbe album City of Clown, exprimé exclusivement en anglais et primé internationalement depuis sa sortie automnale, remporte le prix en septembre prochain. Pour le français, on repassera, à moins d’un miracle.
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