C’est au lendemain de l’incarnation du Cauchemar américain que Lucien Francoeur sanglait son dernier bagage sur son bicyk et décollait rejoindre le grand orchestre de l’aut’bord. Et comme il se doit, les médias lui ont rendu hommage à la hauteur de sa légende. Il aurait été, je crois, assez satisfait de l’effet produit par sa sortie côté ciel. En tout cas moi, j’en suis bien fier pour lui, enfin redevenu aussi big qu’il aurait dû l’être pendant les dernières années de son existence.
Trop jeune pour avoir connu Lucien Francoeur du temps de la première période d’Aut’chose, c’est avec le classique Nancy Beaudoin et le Rap-à-Billy (et les publicités de Burger King) que j’ai pris conscience de son existence. C’était aussi l’époque CKOI, avec ses plogues de garages, restaurants et autres retours d’ascenseurs. Il parait qu’il y lisait aussi de la poésie mais je ne l’ai jamais écouté assez longtemps pour en être témoin, il me donnait plutôt envie de changer de poste. Il était associé dans ma tête au rock fm québécois à la Gerry Boulet, rien pour me donner le goût d’écouter le vinyle qui trainait dans la pile de disques à ma mère.
En 2001, je travaillais aux Foufounes Électriques quand Aut’chose tente un retour avec La Jungle des villes, un album sans grand intérêt et vu la foule parsemée présente ce soir-là, c’était un retour qui n’excitait pas grand monde. J’avais écouté 3-4 chansons pour voir ce qu’était Aut’chose mais ce n’était pas encore la meilleure introduction et j’ai fini par passer le reste du show à mon bureau à attendre que ça finisse. En faisant le tour après, j’ai croisé Lucien dans les loges mais vu mes a priori, je l’ai regardé un peu de haut et il me l’a bien rendu, haha.
C’est en 2005, avec le spectacle commémoratif du 30e anniversaire de son premier album et la parution de Chansons d’épouvantes un mois plus tard, que le déclic s’est fait. Attiré par le super groupe qui revisite des classiques de Aut’Chose, avec en plus du membre original Jacques Racine (décédé le 18 septembre dernier), s’ajoutaient feu Denis « Piggy » D’Amour et Michel « Away » Langevin de Voivod, Vincent Peake de Groovy Aardvark et Joe Evil de Grimskunk, la musique d’Aut’chose prenait tout d’un coup une dimension dépassant la caricature qui avait fini par remplacer l’original. Lucien brillait carrément, fier de présenter cette version d’Aut’chose, fier d’être encore là et fier d’être à sa place, au devant de la scène avec un micro dans les mains.
Il était sorti de sa passe « vendeur de char ». Enfin. Et il saisissait la chance qu’il avait d’avoir ces musiciens avec lui, il était toujours Francoeur mais avec une coche moins prétentieuse. Et qu’il fut avec des musiciens que je considérais de ma gang aidait aussi.
J’ai donc donné une autre chance à Aut’chose, en commençant par le début et bang, tout se place. Je comprends le choc de l’époque et de l’influence que ça a eu sur la suite du rock au Québec, musicalement au diapason du rock tripeux de ces années et surtout, avec un frontman unique qui a donné toute sa saveur à la discographie d’ Aut’chose.
Habité d’un idéal presque naïf quant au rock’n’roll et de son importance, le personnage choque autant, sinon plus, en entrevue que sur disque ou sur scène, ce qui moussera la personnalité de Francoeur au détriment éventuel du groupe. Mais la graine était semée, et pour le meilleur et pour le pire, l’effet Francoeur s’est fait sentir depuis.
C’est à la parution du livre L’Évolution du heavy métal québécois en 2014 que je rencontre vraiment Lucien pour la première fois. Comme mon regard sur lui avait changé et quand il sentait qu’on l’aimait, Francoeur laissait la place à Lucien, ça a cliqué.
Quelques mois plus tard, je décide de changer le nom du trophée remis aux GAMIQ, jusque là nommé Panache, par celui de Lucien. Parce qu’il méritait qu’on souligne son apport à l’histoire du rock au Québec, particulièrement pour son influence sur ce qui allait devenir la scène alternative, avec Voivod bien sûr mais aussi Groovy Aardvark, Grimskunk, Gatineau, Galaxie et quantité d’autres mais surtout pour son attitude qui, à mon avis, a été aussi fondamentale dans l’érection de sa légende que sa poésie ou la musique qui l’a porté. Parce que c’est ça qui a fait la différence. Et qui la fait encore, c’est ce qui explique le succès, ou non, d’un artiste plus qu’un autre. Bref, je trouvais que ça incarnait bien l’idée derrière le GAMIQ.
Il n’a pas été le premier mais il a été celui dont on parlait. Parce qu’il était unique, que le timing était bon et qu’il a saisi l’occasion. C’est une chimie difficilement atteignable, même lui a souvent failli à retrouver cet état de grâce mais au début des années 70. Cette fois, Francoeur était sur son x et y a bâti un monument qui se tient toujours debout.
Parce qu’au-delà d’une discographie ou de littérature, c’est surtout de son influence qu’on se rappellera dans l’histoire du Québec. Ça ne tient pas à des premières places aux palmarès ou des trophées sur la cheminée mais à une œuvre qui a marqué son époque et inspiré la suite de l’histoire. Y’a pas tant d’artistes qui peuvent se vanter de ça. Lucien Francoeur oui.
Photo Camille Gladu-Drouin