En préparant le repas de samedi, fin PM, j’ai bien aimé la conversation entre Jean-Charles Lajoie et mon animatrice préférée à la radio de la SRC, Marie-Louise Arsenault. Puisque tout peut (effectivement) arriver, je fus le premier étonné que mon coup de gueule, écrit spontanément pour PAN M 360, ait fait ce chemin. Soit jusqu’à la défense publique de l’arrosé et la démonstration concluante de sa culture personnelle. Qui plus est, sur un ton résolument radio-canadien.
Franchement, je ne connaissais pas la vie privée de JiC ni ses inclinations pour l’art, mais son niveau de langue me permettait tout de même de déduire que non, JiC n’avait rien d’un inculte. Ignorant du rap ? Oui, d’entrée de jeu… mais moins que ressenti, réflexion faite au terme de cet entretien. Cela impose une suite et une fin de mon côté.
En direct samedi, JiC nous a révélé entre autres avoir fréquenté le milieu de la danse contemporaine au début de sa vie adulte, un peu comme l’a déjà fait Jean-Luc Mongrain, pas si populiste qu’il n’y paraît.
J’ai aussi observé qu’il était plus favorable et sensible au rap qu’il ne le laissait entendre dans sa chronique que j’ai vertement critiquée. Dans cet échange très sympa avec Marie-Louise, il nous a raconté avoir été sensibilisé au phénomène Kendrick Lamar par le biais de ses fils, et qu’il a aimé sincèrement sa prestation… quoique peu inclusive contrairement à la vedette de son titre, Lady Gaga.
N’ayez crainte, je ne veux ni avoir le dernier mot ni m’éterniser sur ces joutes écrites ou verbales entre deux perceptions. Je ne kiffe pas la pratique compulsive de ce spectacle de la polémique médiatique, néanmoins utile dans certains contextes comme celui-ci.
Alors revoyons la construction du texte en question, que j’avais lu attentivement (ben oui JiC) avant de m’en dissocier publiquement.
D’abord le titre exagéré, sauf pour tant de Blancs anti-rap qui ont ouvertement et bruyamment haï le halftime show: Lady Gaga a surclassé Kendrick Lamar. Il faut rappeler que le titre d’un texte en oriente la lecture, en transforme la perception. Je parle en connaissance de cause: tout au long de ma carrière, j’ai ragé maintes fois pour m’être fait imposer par un pupitreur un titre spectaculaire et trompeur. Or, JiC n’a pas soulevé ce problème, alors présumons qu’il assume son titre.
Maintenant, si ce titre est sciemment choisi, tout ce qui suit prête à interprétation :
« Pas que l’icône de Compton, émancipé à partir de cette banlieue pauvre de Los Angeles ait été mauvais, au contraire. »
JiC laisse peut-être entendre que Kendrick Lamar a fait un très bon show, mais le titre qui le précède teinte ce propos d’ironie. Et ce qui suit renforce cette impression :
« Mais nous sommes en droit de nous attendre sur la grande scène de la mi-temps du Super Bowl à une prestation plus spectaculaire. Personnellement, j’ai envie d’une mise en scène éclatante et éclatée, d’effets visuels et pyrotechniques, j’ai envie que ce soit plus gros que gros. J’ai aussi envie que ce soit inclusif. Depuis que la NFL a cédé le contrôle de ses mi-temps du Super Bowl à Jay-Z, j’ai davantage l’impression de subir un 13 minutes de propagande que de vivre un moment de défoulement collectif au cœur du plus gros party de football sur la planète. »
Ça devient alors plus agaçant.
Si on suit cette logique, Kendrick Lamar devrait se transformer en artiste plus léger et plus divertissant parce qu’il est au SB. Biais…
Pour la plupart de ses détracteurs minoritaires en Amérique, visages pâles qui abhorrent le hip-hop (dont moult Kebs de souche, force est de constater) et clament que cette performance était incompréhensible et carencée en effets spéciaux, et donc « 13 minutes de propagande » imbuvables.
Après avoir soufflé le chaud, voici le froid côté JiC, fin renard qui sait plaire à ses fans sportifs majoritairement anti-rap et aussi à certains qui reconnaissent ses goûts réels et donc sa posture paradoxale qui suit :
« Comprenez-moi bien. L’énoncé de Kendrick Lamar dimanche soir était fantastique. Sa phrase « La révolution sera télévisée, vous avez choisi le bon moment, mais pas le bon gars » valait à elle seule le quart d’heure. Et que dire de sa charge martelée à l’endroit de son rival Drake qu’il accuse d’être pédophile, Not Like Us au cours de laquelle est apparue en « C.R.I.P. walk » la légendaire Serena Williams, enfant chérie de Compton à l’instar de Lamar mais aussi… ex petite-amie de Drake ! »
Même avec cette insistance, avec à l’appui la paraphrase de Kendrick inspirée de Gil Scott Heron (the revolution won’t be televised) , on ne comprend pas trop bien le chroniqueur d’entrée de jeu.
J’en conclus que JiC a trippé sans ironie (après ses éclaircissements chez Marie-Louise) mais considère que l’occasion n’était pas propice à un tel coup d’éclat de Kendrick dans un contexte historique hallucinant. L’arrivée de Trump, les USA coupés en deux, le monde libre coupé en deux, un climat international devenu soudain explosif.
Alors pourquoi ne pas simplement applaudir une telle intervention du plus brillant rappeur de sa génération?
Exécutée devant le président Trump qui aurait déserté le spectacle, sur une des plus grandes plateformes imaginables pour un tel exercice. Wow ! Pas assez inclusif et pas assez divertissant pour l’occasion ? Ben voyons.
Cela étant dit, JiC reconnaît la finesse de Kendrick, ce qui en diminue sensiblement le niveau d’ignorance après ses explications radio-canadiennes, alors que ma première perception en était une de moquerie subtile sur le fameux rapper, d’où ma propre exagération sur le coup, je m’en confesse.
Et donc je crois maintenant ce qu’il affirme :
« Sur le fond, par son éditorial puissant Kendrick Lamar a confirmé son statut d’icône du hip-hop. L’histoire retiendra qu’il en a même assez fait pour pousser Donald Trump à quitter le stade durant sa prestation, de quoi faire l’envie de Kamala Harris. »
OK, bien reçu mais…
« Premier rappeur à assurer seul la mi-temps d’un match du Super Bowl, sa performance fut toutefois loin de celle du collectif mené par Dr. Dre et Eminem qui ont tout cassé en 2022. »
Vraiment?
Fan fini de NFL, je visionne les mi-temps du SB depuis l’enfance, lointaine époque des fanfares se déployant sur le terrain. Pour le LIX, en tout cas, je n’ai pas vu de chorégraphies plus convenues que les précédentes. Je n’ai pas vu Samuel Jackson voler le show comme JiC l’affirme. Je n’ai pas été en manque d’effets spéciaux vu la teneur de l’intervention. J’y ai plutôt applaudi une véritable dramaturgie, une construction cohérente, un art pleinement maîtrisé.
Voilà pourquoi la conclusion de JiC, qui justifie le titre de son texte, m’a mis encore plus en ta.
« …déployant toute l’émotion et la puissance de sa voix devant des citoyens de tous les horizons, des héros du quotidien, Lady Gaga a incarné ce que doivent être les États-Unis d’Amérique : unis, inclusifs, rassembleurs.Un grand moment de télévision qui m’a donné envie de revoir la superstar de 5 pieds 2 pouces faire vibrer la planète dans un prochain spectacle de la mi-temps ! »
Euh…non. J’aime bien Lady Gaga mais on ne peut la comparer à Kendrick, pas plus qu’on puisse comparer Barbra Streisand à Bob Dylan… a complete unknown il va sans dire.
Alors si on réclame plus de légèreté au halftime show, on n’invite pas Kendrick et on n’invite pas des artistes populaires de ce type. Bien sûr, on ne peut se farcir autant de substance à chaque SB, mais cette fois était à mon sens idéale, tout compte fait. Et plus j’y pense, plus je crois que cette performance sera retenue au contraire parmi les plus importantes en six décennies de SB.
J’insiste : il est très rare que la substance artistique d’un tel niveau d’excellence arrive à produire un tel impact subversif et ainsi catalyser la réflexion de ses adhérents et opposants, un peu à l’image des divisions profondes qui rongent les sociétés occidentales en cette ère chaotique qui s’amorce. Ce 13 minutes de Kendrick s’avère un authentique grower : plus on y pense, meilleur il devient.
Bon, ne nous acharnons pas… après explications supplémentaires de notre communicateur vedette qui s’est fort bien expliqué sur la question après coup (sauf évidemment avoir supposé que je n’avais lu que le titre de son texte haha!), je me plais à croire que le chroniqueur sera de plus en plus d’accord avec moi sur cette question. Sans ironie, je te le dis, JiC.