Chanson francophone / Électronique

Gainsbourg : le mot exact

par Claude André

De passage à Paris, alors que j’avais encore en tête l’hommage rendu à l’homme à tête de chou par la formation Strictly Gainsbourg au Verre Bouteille, situé sur le Plateau Mont-Royal, à Montréal, j’ai évidemment saisi l’occasion de visiter l’expo qui lui est consacrée au Centre Georges Pompidou jusqu’au 3 septembre.

Il est frappant de constater, pour le quinqua que je suis, à quel point le précurseur Gainsbourg appartient à une époque qui ne pourrait plus avoir cours aujourd’hui, tant la doxa a changé.

Notamment en raison de la culture de l’annulation, dont les principaux soldats ne sauraient supporter de laisser la voix libre à certaines de ses provocs, comme La Marseillaise en version reggae (appropriation culturelle, alors que l’objectif était justement de décloisonner l’hymne français), brûler un billet de 500 francs à la télé (il aurait pu le donner à des nécessiteux, pardi!) ou propos disgracieux à l’endroit de Catherine Ringer qui, non seulement lui a pardonné, mais n’a pas hésité à interpréter l’une des plus belles reprises du classique Je suis venu te dire que je m’en vais .

« Il se souciait beaucoup de ce que les gens ressentaient et pensaient lorsqu’on le critiquait. Tellement de choses l’ont beaucoup blessé. Notamment les attaques antisémites qui l’ont visé. Durant la Seconde Guerre mondiale, où il a dû porter l’étoile jaune, mais aussi, bien après, en 1979 quand sa réinterprétation reggae de La Marseillaise lui a valu d’être accusé de vouloir faire de l’argent avec l’hymne national », rappelait sa fille Charlotte dans une entrevue accordée au Guardian1 en 2019.

Dans une ère où les « progressistes » ont souvent raison, mais souvent torts aussi, certains semblent confondre une approche morale, qui est en fait un retour à des valeurs élisabéthaines qui s’ignorent, et progrès social.

Nombre de ces parangons de vertu ont l’air d’ignorer que l’art a aussi vocation à transgresser certains tabous et à déranger, plutôt que de conforter. Gainsbourg faisait les deux. Et avec un doigté encore inégalé.

Étoile jaune

Peut-être parce qu’il était un fils d’immigrant ayant porté l’étoile jaune (Guimbard sur ses faux papiers) , le jeune Ginsburg, influencé en cela par Boris Vian qui avait surmonté sa timidité pour monter sur scène, sut manier la langue française de façon exceptionnellement ludique, voire jubilatoire.

C’est aussi ce que nous rappelle cette expo, modeste sur le plan du contenu, mais néanmoins fascinante. Ainsi, pour Gainsbourg, il s’agissait d’abord et avant tout de trouver le titre d’une chanson. « Le mot exact”, qui est aussi le nom de l’exposition, et le gros du travail était effectué, puisqu’il articulait ensuite son texte autour.

Passé maître dans le maniement de la langue et de l’allitération (« […] j’avoue, j’en ai bavé pour vous […] »), Gainsbourg était aussi un musicien accompli et, s’il a qualifié la chanson d’art mineur dans une célèbre dispute télévisée avec Guy Béart, il l’a sans doute transformée en art majeur.

Inspiré par les célèbres doubles littéraires du 19e siècle, que l’on retrouve chez Maupassant, Oscar Wilde ou Edgar Poe et qui figurent dans sa bibliothèque, Gainsbarre « a brouillé les pistes en incarnant un chanteur narrateur ambigu », nous rappelle l’expo. Faisant ainsi figure de visionnaire en regard des médias de masse à une époque où il pressentait leur pouvoir s’amplifier.

Amateurs de poésie latine autant que de théâtre élisabéthain, les poètes favoris de l’artiste demeurent Rimbaud et Baudelaire, mais il avait aussi un penchant pour les écrits provocateurs du marquis de Sade, les romantiques et, notamment, les symbolistes. Fort de sa culture avec un grand C, l’artiste ne dédaignait pas pour autant la pop culture et dans sa maison bientôt musée de la rue Verneuil, il s’entourait de bios de musiciens, de romans policiers, de bédés, de livres d’art, de photos et de cinoche, marquant ainsi « sa création dans un vaste réseau d’intertextualité ».

Noceur invétéré, ce dandy trash qui se parfumait au Van Cleef & Arpels collectionnait les cartes de membres de boîtes de nuit, mais aussi les autographes de célébrités rencontrées au hasard de ses pérégrinations nocturnes, dont celle de Muhammad Ali, et ne conservait souvent que la page dédicacée des livres qui lui étaient offerts.

En espérant que cette expo se déplace sous le ciel du Québec, je ne saurais trop vous recommander de surveiller le prochain spectacle de Thibaud de Corta, Bruno Rouyère, André Désilets, Valéry St-Gelais, Pascal Gingras et la pétillante figure sixties Rose-Marie dans un prochain spectacle au Verre Bouteille ou ailleurs. 

Salut, vieille canaille.

Crédit photo: Christian Simonpiétri pour le Centre Pompidou

POUR EN SAVOIR PLUS LONG SUR L’EXPO CONSACRÉE À GAINSBARRE, C’EST ICI

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