État critique

par Claude André

On ne peut porter un jugement sur le travail des autres sans qu’il n’en coûte rien.

Récemment, sur une page Facebook alimentée par une comédienne célèbre, on s’offusquait du fait que le quotidien La Presse accorde désormais des notes sur 10 à des œuvres théâtrales.

Comme il fallait s’y attendre, des collègues comédiennes et comédiens de la célébrité en question ajoutèrent leur grain de sel, certains affirmant même que les journalistes culturels devraient se contenter de présenter les œuvres sans donner leur opinion.

Les confondant ainsi avec des relationnistes de presse.

S’ensuivit une chronique dans La Presse rédigée par un desdits journalistes culturels qui évoqua la fameuse tirade au sujet des critiques, ces « ratés sympathiques », de la sublime chanson Ordinaire de Charlebois, écrite par Mouffe.

Il s’agit là d’un débat qui revient ponctuellement dans l’espace public, à l’image – prenons un exemple au hasard – du respect ou non des vestiges du colonialisme britannique, comme prêter serment ou non au monarque de la part d’un nouvel élu québécois… Suivez mon regard.

Bref, cette histoire des critiques critiqués m’a rappelé cette vieille boutade, pas fausse du tout, qu’aimait citer mon vieux pote Tabra : « Les journalistes parlent de ce qu’ils ne connaissent pas et gardent pour eux ce qu’ils savent. »

Malgré la mondanité apparente des choses, le critique, comme le syndicaliste ou le politicien, doit hélas apprendre à vivre dans l’adversité et dans l’ingratitude permanente.

Voire la haine, parfois. Un artiste a déjà tenté de me coincer dans les toilettes d’un bar pour m’apprendre à bien critiquer un jour, ou était-ce une nuit? Qu’importe.

« La critique, c’est le bagne à perpétuité », disait Aragon…

Au nom de quelle légitimité, de quelle justice immanente ces plumitifs ont-ils le droit de se prononcer, d’appliquer une sentence, sur le travail d’un artiste? Voilà bien le sempiternel reproche qui nous est adressé. Mais, paradoxalement, aucune requête à ce jour n’a jamais, ou si peu, été formulée dans le cas contraire.

Étrange, n’est-ce pas? Non, pas tout à fait. J’ai eu le privilège de rencontrer des artistes qui portaient un jugement plus sévère à l’égard de leurs dernières œuvres que ne l’avait été la critique elle-même.

Je me souviens d’avoir lu dans une bio qui lui est consacrée que le grand Leonard Cohen, dans le cadre de ses travaux à l’université du temps où il était étudiant à New York, avait choisi de déconstruire et de massacrer une œuvre. Laquelle? The Spice-Box of Earth, un recueil de ses propres poèmes! Ah! Le bel humour juif!

N’étant pas en reste, Jean Leloup, sachant son film tourné au Vietnam très mauvais, avait invité le public lors d’un festival à une séance de projection durant laquelle les spectateurs pourraient littéralement lancer des tomates sur l’écran!

Tout cela demande de l’humilité et du courage. De la foi en sa destinée, oserions-nous dire si nous n’avions pas croisé ces pauvres malheureux qui tapissent l’antichambre d’un destin lequel, hélas, ne sera jamais le leur.

Vous savez, ces éternelles victimes qui imaginent des complots. Ces incompris qui râlent contre les journaleux, lesquels ne deviendront crédibles que le jour où ils parleront d’eux. Et de façon élogieuse, il va sans dire.

Voyez-vous, comme critique, il est parfois pénible de porter la destruction d’une chimère.

Heureusement, il y a aussi des gens touchés par la grâce. Ceux dont les « critiqueurs » ont envie de parler. Ces artistes sur qui tant d’espoirs sont fondés. Ceux-là, pas de quartier. Car un commentaire qui semble assassin à court terme peut, malgré les larmes et les remises en question, être l’élément catalyseur d’une œuvre foisonnante à plus longue échéance.

« Et la légitimité dans tout ça », dites-vous encore?

Une seule, croyons-nous : la passion. Véhémente. « Une honnêteté critique n’a pas de sens; ce qu’il faut, c’est la passion sans contrainte, feu pour feu », l’a si justement énoncé Henry Miller.

Il n’y a pas de codes. Ni de règles. On connaît tous des chanteurs qui faussent, d’autres qui balbutient. La question n’est pas là. Nous parlent-ils? Voilà ce qui importe. D’ailleurs, au fil des ans, les critiques de métier, et ce, sans consultation et malgré leurs personnalités, énoncent très souvent un propos similaire à l’égard des œuvres auxquelles ils et elles s’attardent. Ce sont les gardiens du temple.

« Mais de quel droit s’arrogent-ils une certaine légitimité à porter un jugement sur un métier qu’ils n’exercent pas? », dites-vous encore. Nous pourrions parler de démocratie, de liberté d’expression ou simplement dire que celui qui n’a jamais lu un commentaire sur le site Rotten Tomatoes avant de visionner une série sur Netflix leur lance la première salve de chips au vinaigre.

Cela dit, nous ne retiendrons que ces superbes mots du journaliste et cruciverbiste français Max Favalelli, qui répondit un jour à un jeune auteur s’étonnant de le voir chaque semaine juger les pièces des autres, alors qu’il n’en avait jamais écrit une : « Mon jeune ami, je n’ai jamais non plus pondu un œuf de ma vie. Et pourtant, je m’estime mieux qualifié qu’une poule pour juger de la qualité d’une omelette! »

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