Je viens d’écouter le balado pour commémorer 10 ans de la coopérative Culture Cible, qui réunit les plateformes Atuvu.ca, Sors-tu.ca, Le Canal Auditif, Bible Urbaine et Baron Mag. Certaines de ces plateformes éprouvent actuellement de très graves problèmes financiers, à tel point que Sors-Tu et Le Canal Auditif pourraient même envisager fermer boutique ou réduire considérablement leurs activités à l’orée de 2025. C’est sérieux.
Le balado de Culture Cible raconte la décennie de son existence. Marc-André Mongrain (Sors-tu), Louis-Philippe Labrèche (Le Canal Auditif) et Arnaud Nobile (Atuvu) y relatent leur émergence et leur mutualisation en coopérative, afin de partager des services administratifs, de développer des services de rédaction et de maximiser leur circulation en l’additionnant pour ainsi vendre de la pub.
Pour expliquer le contexte dans lequel ils ont émergé et évolué, ils évoquent de la mort de Voir et la complémentarité de leurs plateformes avec un monde médiatique traditionnel (La Presse, le Devoir, Radio-Canada) peu enclin désormais à couvrir exhaustivement la diversité des propositions artistiques au pays. Toutefois, ils ne parlent pas de l’arrivée de PAN M 360 il y a 5 ans dans l’environnement numérique, sans compter les autres petites plateformes de la même constellation – Écoute donc ça, Feu à volonté, Ludwig Van, etc. Mais bon, dans le contexte, on peut comprendre et excuser cette omission consciente ou inconsciente.
En bref, on y rappelle que les acteurs Culture Cible se sont constitués en coopérative pour mutualiser leurs services et pour maximiser leurs revenus publicitaires, vu la circulation quintuplée de leurs usagers, et donc un marché publicitaire potentiellement attractif. Ce modèle d’affaires a plutôt bien fonctionné pendant un moment, on a alors observé de l’optimisme chez les propriétaires de ces plateformes – il faut préciser ici que ces sites web unifiés en coop sont à but lucratif et enrichissent d’abord leurs propriétaires si argent il y a bien sûr, comme c’est le cas de toute entreprise privée.
On y comprend surtout que ces efforts louables de mutualisation des plateformes en question résultent de plusieurs réflexions sur la professionnalisation des plateformes indépendantes, aussi du développement visionnaire de Data-Coop par Arnaud Nobile pour ainsi maximiser le référencement de nos contenus en partageant les métadonnées des éventuels participants.
Mais… depuis la pandémie, les revenus publicitaires de Culture Cible se sont mis à chuter, le développement de la coopérative a été freiné, la production de contenus n’a pas progressé comme elle aurait dû (sinon ralenti), sauf peut-être le développement de Data-Coop Culture par Arnaud Nobile. Avant que cette dernière initiative ne porte fruit, il pourrait ne plus avoir de Culture Cible pour en bénéficier et en faire bénéficier ses éventuels adhérents. La dernière année fiscale a été très éprouvante, à tel point que la tragédie serait à l’horizon pour certains. D’où l’alarme sonnée cette semaine.
Nous, de PAN M 360, croyons ferme à la mutualisation de ces initiatives de médiation culturelle (interviews, recensions, analyses, etc.) via les médias culturels indépendants. Leur mutualisation est essentielle à leur pérennisation. Dans le contexte actuel, une « saine concurrence » dans un environnement médiatique aussi ingrat, n’est vraiment pas un gage de réussite pour les nouveaux médias que nous sommes. Et c’est pourquoi nous souhaitons tisser des liens pour construire un environnement propice à la croissance avec nos alliés de Culture Cible, même si nous ne faisons pas partie de cette coopérative.
Depuis ses débuts, en fait, PAN M 360 réfléchit au modèle de mutualisation qui permettra la consolidation et l’expansion de ces initiatives porteuses d’avenir. Depuis deux ans, d’ailleurs PAN M 360 a tenu plusieurs discussions de rapprochement avec les acteurs de Culture Cible afin de faire évoluer ce dossier. Afin d’amorcer ce processus de mutualisation des plateformes indépendantes, des demandes de subvention ont été acheminées par notre organisation au Conseil des Arts du Canada après avoir obtenu notre éligibilité au terme d’un long processus. Subvention refusée au printemps dernier. Pendant de temps, Culture Cible demandait une aide complémentaire au ministère du Patrimoine Canadien pour mener à bien ce projet ambitieux. Subvention aussi refusée. Après quoi… retour à la survie et à la précarité.
Plus tôt cet automne, PAN M 360 et Culture Cible avaient l’intention d’organiser sans subventions un grand rassemblement des plateformes culturelles indépendantes pour y lancer le processus de mutualisation, au-delà d’une simple association. Force est d’observer que cela risque de ne pas se produire.
Voilà qui est TOTALEMENT inacceptable.
Rappelons que l’aide publique à la culture existe entre autres pour la production de musique, de cinéma et de télé, pour des périodiques culturels imprimés destinés à des publics extrêmement spécialisés et donc à rayonnement restreint – ce qui est tout à fait défendable en ce qui nous concerne. Grosso modo, si vous créez ou produisez ou encore écrivez des pavés très spécialisés sur une forme d’art, vous êtes subventionné. Alors pourquoi eux et pas nous ??? Pourquoi ces plateformes nous incluant cumulent ensemble des centaines de milliers d’ouvertures de leurs contenus en ligne, dont une portion importante est consommée à l’étranger (allo découvrablité !) n’ont droit qu’à des pinottes du financement public ?
Il faut ici insister: sans subventions fédérales et provinciales, sans crédits d’impôts, les acteurs québécois et canadiens de la culture ne pourraient fonctionner comme ils l’ont fait depuis des décennies. Notre cinéma et notre télé n’existeraient pas ou si peu, idem pour les écrivains et leurs éditeurs qui seraient en très mauvaise posture pour passer les mois nécessaires à la rédaction de leurs manuscrits… on en passe et des meilleures.
Par voie de conséquence, ce laxisme ou cette ignorance des pouvoirs publics en matière de culture en ligne contribue indirectement à tuer dans l’œuf nos initiatives passionnées et courageuses. Que les principales plateformes de Culture Cible soient au bord du gouffre en est une triste démonstration.
À l’évidence, le modèle d’affaires des plateformes indépendantes au Québec comme au Canada doit aussi passer par un soutien public permanent à leur fonctionnement, comme c’est le cas de TOUT le secteur culturel – formation, création, production, diffusion. Croire que les médias traditionnels pourront de nouveau assurer cette médiation comme ils l’ont fait depuis les années 50 est un leurre et un manque de vision pour le développement et le rayonnement de notre culture.
Pour assurer la découvrabilité de cette diversité dont tout le monde parle dans le secteur culturel, le vieux monde des médias n’y pourra pas grand-chose. L’avenir d’un nouvel écosystème numérique, juste et équitable, appartient plutôt aux grappes organisées et cohérentes de la médiation culturelle, à la circulation maximisée des contenus spécialisés en ligne. Le sauvetage provisoire des médias traditionnels ne changera aucunement la donne – bien qu’il soit souhaitable à court terme, si ce n’est que pour maintenir la production de ses artisans compétents et rigoureux.
Or, pendant qu’on soupèse en haut lieu le bien-fondé de nos initiatives, des artisans cruciaux de Culture Cible sont au bord du gouffre. Pour nos alliés que sont Le Canal Auditif, Sors-tu.ca et Atuvu.ca, cela pourrait donc être catastrophique. Éventuellement, cela pourrait être aussi tragique pour PAN M 360, dont le modèle d’affaires est différent – nous sommes un OBNL, personne n’est propriétaire de quoi que ce soit, nos minuscules bénéfices résultant surtout de nos partenariats avec l’écosystème musical sont partagés entre nos artisans, le reste de la cagnotte étant investi dans le produit et assurant le paiement des frais fixes.
À PAN M 360, notre croissance est réelle mais ô combien modeste… et pourrait être stoppée à tout moment si l’écosystème de la musique cessait d’y contribuer dans un contexte où l’argent public venait à fondre dans les budgets de nos partenaires. Qui serait alors coupé illico dans leurs dépenses? Je vous le donne en mille.
Voilà pourquoi une aide d’urgence est nécessaire à la survie de Culture Cible et aussi à celle de PAN M 360, les acteurs les plus importants de cette jungle médiatique, protagonistes auxquels se joignent de plus petits joueurs ayant droit au chapitre.
Aujourd’hui, nous compatissons avec nos alliés de Culture Cible qui souhaitent d’abord sauver leurs peaux et… nous nous inquiétons tout autant de notre propre sort, à court et moyen termes.
Un seul mot en conclusion : solidarité.