Depuis vendredi 1er mars dernier, tout le catalogue détenu par Universal Music Publishing Group (UMPG), soit l’une des 3 majors de la musique, n’est plus disponible sur Tik Tok. Environ 4 millions de chansons n’y bénéficient plus d’une licence active.
Mon ado a remarqué que beaucoup de chansons avaient disparu de son feed, sans trop comprendre. Ma progéniture me permet de suivre les trends de TikTok, voilà une partie de la pertinence de la procréation: s’actualiser.
Ce n’est pas tant la disparition d’Irving Berlin qui a retenu l’attention de Béatrice, on s’en doute, mais plutôt l’absence de Billy Ellish, SZA, Justin Bieber, Drake, Bad Bunny et Taylor Swift.
L’impact est majeur. Pour UMPG comme pour Tik Tok et c’est une histoire de gros sous, mais pas que cela. À terme, ce qui est en jeu est la valeur de la création artistique et sa protection dans le contexte où l’intelligence artificielle se développe à une vitesse vertigineuse.
Il faut savoir que Tik Tok investit massivement en intelligence artificielle. L’entreprise a fait l’acquisition en 2019 de la start-up Jukedeck, spécialisée dans la création de musique générée par l’IA et libre de droit. Dans les années qui ont suivi, elle a embauché massivement pour développer cette nouvelle division.
Produire de la musique générée par l’IA pourrait permettre à TikTok d’opérer sans avoir des contrats de licence avec Sony, Warner et Universal. Elle épargnerait alors sur les droits d’auteurs qu’elle verse aux artistes et aux compagnies qui les représentent. Mais elle pourrait aussi repousser du revers de la main les prétentions de ce trio dans le cadre des négociations actuelles: obtenir, en plus des droits de licence, une part des revenus publicitaires que génère Tik Tok.
Beaucoup d’argent.
L’argumentaire de UMPG et ses comparses se défend. Les vidéos produits sur TikTok perdent de leur impact, de leur saveur et de leur capacité d’engagement quand on en retire la musique. UPMG veut donc sa part du gâteau. Mais l’histoire ne dit pas si, advenant que la major mette la main sur un pourcentage des revenus publicitaires de TikTok, elle partagerait une partie de ces gains avec les artistes de son répertoire.
Pour l’instant, UMPG présente son combat comme étant celui du protecteur des droits d’auteur contre le dragon de l’intelligence artificielle.
Dans une note envoyée aux artistes le 29 février, elle argue que Tik Tok refuse de donner la garantie qu’elle n’entraînera pas ses modèles d’intelligence artificielle avec les œuvres de ses artistes. Alors que pour faire du “Billy Eilish, l’IA doit écouter du “Billy Eilish » pour ensuite être en mesure d’en reproduire la facture. L’intelligence, même artificielle, a besoin d’un professeur.
L’enjeu est réel. Immense. Il pose toute la question du droit d’auteur sur la planète I.A. Un débat qui s’étend au-delà de l’univers musical. Le New-York Times a entamé des poursuites judiciaires, en décembre dernier, contre Open AI (la compagnie mère de Chat GPT) pour utilisation non autorisée de son contenu pour entraîner Chat GPT. Encore là, pour ne pas dire n’importe quoi, Chat GPT et ses semblables doivent apprendre de journalistes qui se sont tapés le travail du terrain, de la vérification de faits.
Tik Tok compte plus de 1,2 milliard d’utilisateurs, majoritairement âgés de moins de 35 ans.
L’âge où l’on écoute beaucoup de musique, mais surtout où l’on en découvre beaucoup.
Et si le contenu des majors venait à disparaître de TikTok, alors remplacé par des artistes indépendants, forcément vulnérables sur la question de la propriété intellectuelle, et de la musique généré par l’IA ? Ne serait-ce pas (un autre) changement majeur dans l’industrie musicale ?