Big Thief a toujours constitué une énigme, pour moi. Ce groupe est dirigé par l’auteure-compositrice Adrianne Lenker, qui affectionne les chansons poétiques d’une honnêteté totale. Bien que la quantité de mots puisse étourdir l’auditeur, les refrains sont faciles à retenir. De plus, malgré leur divorce, Lenker et le guitariste Buck Meek – les deux principaux auteurs-compositeurs –, demeurent amis et continuent de créer des chansons ensemble. Des groupes ont cessé d’exister pour bien moins que ça.
C’est peut-être le mélange d’indie-folk, d’americana et, parfois, de rock direct qui attire de telles foules aux concerts de Big Thief. Ou peut-être est-ce le désir de vivre un moment de vulnérabilité avec une si grande auteure-compositrice.
Quoi qu’il en soit, c’est ce qui s’est passé en ce lundi de Pâques 2022, lorsque des milliers de personnes ont envahi la salle de l’Olympia, un bâtiment décoré comme un vieux cinéma où sont projetés des films de série B chinois, avec ses murs rouge vif et ses colonnes au centre de la scène.
Je crois que personne ne s’attendait à ce qu’une artiste comme Kara-Lis Coverdale (désormais établie à Montréal) assure la première partie. Ses paysages électroniques et cinématographiques ont toutefois ravi l’auditoire. Sa prestation n’avait pas de frontières, en matière de genres; certains moments ressemblaient à un film du Studio Ghibli ou à une sorte de Jugement dernier infernal.
Elle n’a pas dit un mot, mais a créé et vécu avec nous des moments de pur bonheur sonore. Bien que les spectateurs ont quelque peu bavardé pendant sa prestation. Adrianne Lenker a d’ailleurs fait une déclaration à ce sujet, il y a quelques jours, sur Instagram. Cela ne visait pas que le concert de Montréal, mais les premières parties en général.
Dans la vidéo, Lenker rappelle aux spectateurs que, lorsque quelqu’un se produit sur scène, il importe d’être attentifs, d’écouter ou, à tout le moins, de se taire pour que les autres puissent écouter; sinon mieux vaut aller voir ailleurs.
Lenker n’a pas tort. Tout le monde était silencieux pendant la prestation de Big Thief, à l’exception du tonnerre d’applaudissements entre les chansons. Et le programme, sublime, était surtout axé sur le gigantesque nouvel album Dragon New Warm Mountain I Believe in You, mais comprenait aussi quelques anciens morceaux de Masterpiece et de Capacity.
« Comment aimez-vous Montréal? » a crié un fan après Black Diamonds, la première chanson.
Lenker a doucement répondu « J’adore Montréal » et a commencé à raconter, à voix basse, une histoire où elle et quatre amis s’étaient rendus du Minnesota à Montréal en quelques jours. Ils avaient pris le volant chacun leur tour et ne s’étaient accordé qu’une journée en ville, ce qui leur avait permis de « tout faire en une journée ».
J’avais déjà vu Big Thief au Levitation, à Austin. C’était bien, mais pas mal moins impressionnant que le concert de Montréal, qui était beaucoup plus électrique. Lenker et Meek changeaient de guitares entre les chansons pour obtenir des accords et des sons plus intéressants; ils sont également très doués en solos de guitare presque atonaux, qui semblent émaner d’un pur courant énergétique. Adrianne Lenker, en particulier, était incroyable à regarder lors de son solo distordu de sept minutes pendant Not. Voilà pourquoi on aime assister aux concerts : pour vivre nos chansons préférées, mais aussi pour voir les artistes se surprendre eux-mêmes en direct.
Le concert « officiel » a pris fin avec la chanson Certainty, extraite du dernier album. Puis, Big Thief nous a fait quatre chansons en rappel. D’abord la très ludique Spud Infinity où Noah Lenker, frère cadet d’Adrianne, jouait de la guimbarde. On a aussi pu entendre les incontournables Masterpiece et Mary.
Ce fut donc un concert mémorable. Big Thief a même joué une toute nouvelle chanson, Happy With You, ce qui signifie que le groupe nous prépare sans doute un nouvel album ou microalbum. Tout juste après le très touffu Dragon New Warm Mountain I Believe in You. Prolifique, vous dites?