Bien avant Madonna, Suzy Solidor, la sulfureuse icône des années 1930

par Claude André

Si l’on associe dans l’imaginaire collectif les premières célébrations de masse de la beauté à Marylin Monroe et la mise en marché de l’audace féminine à Madonna, la mise en avant de l’homosexualité font davantage référence à des figures plutôt masculines, comme Freddie Mercury ou Elton John. Cependant, il y eut en France une pionnière qui embrassa ces trois concepts à la fois, et ce, dès… les années 30!

Née en 1900 à Saint-Malo et décédée 83 ans plus tard à Cagnes-sur-Mer, Suzy Solidor sut s’imposer au point de devenir la grande figure iconique des Années folles. Avant-gardiste, elle obtient son permis de conduire à l’âge de 16 ans, chose très rare pour une femme à l’époque, ce qui la conduisit à s’engager comme ambulancière quelques mois avant l’armistice de la Première Guerre mondiale.

Une attitude de frondeuse anticonformiste qui caractérisera toute sa vie. Ou plutôt ses mille vies, faudrait-il dire.

Dotée d’une beauté sculpturale et athlétique, cette future artiste, née d’une fille-mère, sut très vite utiliser les arts visuels, peinture et photographie, pour créer sa propre légende.

C’est ainsi qu’elle fut, non seulement portraiturée deux fois plutôt qu’une par Francis Bacon, mais aussi plus de 200 fois notamment par, excusez du peu, Jean Cocteau et Tamara de Lempicka, dont le tableau d’inspiration cubiste de 1933, intitulé Portrait de Suzy Solidor et conservé au château-musée Grimaldi de Cagnes-sur-Mer, est devenu très célèbre.

Dans ce musée d’art moderne et contemporain, l’exposition temporaire Suzy Solidor, une vie d’images présente des portraits, des archives et, surtout, le fruit de récentes recherches dans divers fonds photographiques qui ont permis de découvrir plus de 300 clichés, dont plusieurs nus, qu’il est loisible d’admirer jusqu’au 6 novembre. « Je suis plus à peindre qu’à plaindre », disait avec humour celle que l’on surnomma « la Madone des matelots » pour ses chansons de marins.

Partie de Saint-Malo pour Paris à l’âge de 20 ans afin d’y embrasser une carrière dans le mannequinat, Suzy Solidor fait la rencontre de l’antiquaire Yvonne de Bremond d’Ars qui l’initie à l’art et à la vie mondaine, et avec laquelle elle vit une relation amoureuse pendant 11 ans.

Émancipée sur tous les plans, elle est une habituée des plages de Deauville, où elle se rend en maillot à paillettes pour le plus grand plaisir des photographes de tout acabit.

Elle a 33 ans lorsqu’elle ouvre son premier cabaret, « La Vie parisienne”. Succès immédiat auprès d’une clientèle homosexuelle mais pas seulement. Celle qui s’est lancée dans la chanson se démarque par sa voix grave, « qui vient du sexe » comme le dira son ami Cocteau, et sa coiffure à la garçonne qu’elle teindra en blond en plus d’épiler ses sourcils et de sensualiser ses lèvres charnues d’un rouge vif.

Queer avant la lettre, ses amours se vivent au grand jour, ou plutôt à la grande nuit, dans son établissement nocturne où se croisent Cocteau, Marlene Dietrich, Joseph Kessel ou Charles Trenet, qu’elle lancera sur scène. Si elle ne dédaigne pas les garçons, elle a un penchant plus marqué pour les demoiselles. Comme en témoigne cet extrait de sa sulfureuse chanson « Ouvre » :

Ouvre tes jambes, prends mes flancs
Dans ces rondeurs blanches et lisses
Ouvre tes deux genoux tremblants
Ouvre tes cuisses

Ouvre tout ce qu’on peut ouvrir
Dans les chauds trésors de ton ventre
J’inonderai sans me tarir
L’abîme où j’entre

Dans son cabaret fréquenté par de nombreux officiers allemands pendant l’Occupation, elle interprète en version française la célèbre chanson allemande de « Lili Marleen », et ce, au grand plaisir des nazis, mais aussi des Alliés par la suite.

En plus de chansons d’amour dont certaines sont composées par Marguerite Monnot, la célèbre complice de Piaf. 

C’est probablement parce qu’elle chanta à station Radio-Paris, une antenne collabo, et aussi qu’elle y lut un texte insultant pour le roi d’Angleterre, que Suzy Solidor fut traduite devant la commission d’épuration des milieux artistiques, à la Libération.

Exil et retour

On lui infligea un simple blâme accompagné d’une interdiction d’exercer pendant cinq ans en dépit, paraît-il, du témoignage favorable de quelques résistants.

Elle s’exila aux Etats-Unis, puis revint à Paris en 1954, y ouvrit le cabaret « Chez Suzy Solidor » près des Champs-Élysées, avant de se retirer six ans plus tard sur la Côte d’Azur.

Celle qui fut aussi actrice et romancière ouvrit un cabaret à Cagnes-sur-Mer, qu’elle décora de 224 de ses portraits. Il y a 50 ans cette année, elle en offrit à sa ville d’adoption une quarantaine, que l’on peut voir dans cette expo temporaire. Il est d’ailleurs assez fascinant de comparer les styles artistiques qui se côtoient face à un même et unique modèle.

En France, Susy Solidor aura ouvert la voie à Catherine Lara, Juliette et, plus près de nous, Aloïse Sauvage et Hoshi. Au Québec, si d’autres chanteuses penchent aussi pour les amours saphiques, la chose semble encore plutôt discrète, mise à part Safia Nolin. Il faut dire que même 90 ans après les tabous brisés par Suzy Solidor, plusieurs ont encore du mal à vivre et laisser vivre, comme en témoignent les nombreuses et déplorables insultes et menaces de mort reçues sur les réseaux asociaux par l’excellente Hoshi. Cela dit, rendons à Suzy ce qui revient à Solidor en termes de courage, d’intuition et d’avant-gardisme éclairé. 

Suzy Solidor, une vie d’images

Jusqu’au 6 novembre 2023

Château-musée Grimaldi

Cagnes-sur-Mer

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