Au sujet de la réprobation de Kendrick au Super Bowl LIX

par Alain Brunet

Suis tombé par hasard sur une critique acerbe du spectacle de la mi-temps du Super Bowl, signée Jean-Charles Lajoie alias JiC, un animateur et chroniqueur de sport que je respecte – plus précisément, je visionne assez souvent son show quotidien à TVA Sport. Vif, intelligent, expérimenté, connaisseur, grande gueule, très bon showman sur un plateau de télé, très bon communicateur.

Or… qui dit grande gueule dit parfois débordement et impertinence. À ce titre, JiC devrait la fermer sur le hip-hop, à tout le moins exprimer humblement une opinion défavorable en tant que profane plutôt que se vautrer dans le ton péremptoire de sa très mauvaise chronique publiée cette semaine dans le Journal de Montréal. J’invite tous les fans de musique à lire cette tartine anti-rap.

« Mais nous sommes en droit de nous attendre sur la grande scène de la mi-temps du Super Bowl à une prestation plus spectaculaire. Personnellement, j’ai envie d’une mise en scène éclatante et éclatée, d’effets visuels et pyrotechniques, j’ai envie que ce soit plus gros que gros. J’ai aussi envie que ce soit inclusif »

Inclusif? Ah bon?!!

« Exclus » du party, JiC et tant de Blancs de son âge (la cinquantaine et plus) n’ont pas encore pigé que le hip-hop domine outrageusement la musique pop occidentale depuis deux décennies. Que la majorité des Occidentaux kiffent ce style sans forcer. Que le hip-hop existe depuis la fin des années 70… Allô ? Que Kendrick Lamar ne donne pas un mauvais spectacle parce qu’il rappe, néanmoins entouré d’artistes d’exception, de Samuel Jackson en Oncle Sam au crip walk de Serena Williams sur la tombe symbolique de Drake ou encore au chant suave de SZA.

Ça te dit quelque chose SZA, JiC? Les Grammys attribués à la chanteuse ne suffisent pas pour te sentir inclus, toi qui connais sûrement Bruuuce, Robert Plant ou Metallica ? Pas capab le rap? Si tu ne te tiens pas au courant de la pop culture totalement dominée par la soul, le R&B et le hip-hop, on peut comprendre que tu ne te sentes pas dans la même game… et, somme toute, on peut aussi comprendre que tu es un pur ignorant de la pop culture de masse telle qu’elle est aujourd’hui. Oui, j’en beurre un peu épais mais ta croûte mérite d’être badigeonnée généreusement comme l’aurait suggéré naguère la pub de Velveeta… Je te l’accorde, personne n’exige que tu ne t’y retrouves pas mais…un ignorant qui s’exprime avec autorité et grandiloquence sur une telle tribune médiatique, ça devient très ordinaire.

Ben oui, JiC, tu la connais Lady Gaga, tu l’as entendue avec feu Tony Bennett et peut-être même avec Bruno Mars la semaine dernière aux Grammys. ÇA c’est inclusif n’est-ce pas? Mais pas un seul mot sur les superbes artistes néo-orléanais, invités avant le kick-off, que sont Terence Blanchard, Jon Batiste, Trombone Shorty, Lauren Daigle et Ledisi, dont certains sont venus quelques fois nous visiter à Montréal… dans des salles pleines. Alors que Lady Gaga, dont tu fais l’apologie avec raison, est désormais connue des nonagénaires sur ce continent.

Mais pourquoi s’exprimer haut et fort sur l’art lorsqu’on ne connaît qu’une seule artiste au programme du halftime show au SB?

L’animateur et chroniqueur renchérit : « Depuis que la NFL a cédé le contrôle de ses mi-temps du Super Bowl à Jay-Z, j’ai davantage l’impression de subir un 13 minutes de propagande que de vivre un moment de défoulement collectif au cœur du plus gros party de football sur la planète. »

Alors là, c’est de l’immense n’importe quoi côté JiC.

Si Bruce Springsteen y avait chanté quelques-unes de ses chansons très engagées politiquement, je gage un 10 qu’il aurait trouvé ça très cool. Alors que Kendrick, un des meilleurs auteurs du rap actuel (sauf son entêtement à jouer cette game ridicule de testostérone avec Drake… qui avait néanmoins ouvert les hostilités), est accusé de propagande. De surcroît, par un homme blanc qui ne connaît visiblement rien de son œuvre magistrale. Biais inconscient? Ben oui, JiC, je serai probablement étiqueté woke du haut de mes 67 ans. Ben pour dire…

Maniaque de NFL, j’ai personnellement visionné le SB dimanche dans un salon accueillant et chaleureux, exclusivement peuplé d’hommes sexagénaires et septuagénaires blancs. Des gars de ma génération que j’aime sincèrement et que je fréquente depuis des décennies. Or, certains d’entre eux ont eu la réaction de JiC. Un de mes amis m’a même demandé de répondre à la question: « pourquoi du hip-hop au Super Bowl?  » Alors? Je me suis d’abord gardé une petite gêne. Je peux fort bien comprendre, accepter et respecter ce ressenti, il vaut mieux éviter d’antagoniser et casser l’ambiance. Dans une réunion d’amis, pour un si petit détail de la vie, vraiment pas de quoi en faire un plat. Mais je confesse avoir été incapable de me retenir quand un autre très cher ami a affirmé qu’il s’agissait du pire halftime show de l’histoire du SB.

Ah ouin? OK. Quand on n’aime pas trop le hip-hop, on peut légitimement exprimer son mécontentement… même jusqu’à rendre un tel verdict ?

Le ton de cette réprobation aurait été probablement différent en compagnie de nos enfants et nos amis des générations plus jeunes, la vingtaine, la trentaine, la quarantaine… À la décharge de mes potes, leurs propos furent quand même beaucoup moins intenses que celui de l’animateur Louis Lacroix, qui a tweeté avoir vu des gangs de rue prendre le contrôle de sa télé, faisant référence du spectacle de la mi-temps. Le pauvre homme s’est excusé depuis d’avoir formulé de telles inepties racistes.

Eh non, ce ne fut peut-être pas le meilleur halftime show… mais certainement pas le pire. Pas les meilleurs effets 3D mais certainement pas les pires. Peut-être pas les meilleures chorégraphies, pas les pires.

Quant au rap, aux textes de Kendrick dont les détracteurs ignorent la qualité exceptionnelle, force est de rappeler aux profanes qu’il un des plus brillants auteurs populaires que les USA aient engendrés depuis 30 ans.

Sa posture éditoriale au halftime show du SB était l’occasion d’une critique au coeur de ce divertissement, sans pour autant bouder le plaisir d’y être. La propagande, ce n’est pas ça du tout.

Qui plus est, Kendrick s’entoure des musiciens et beatmakers parmi les plus allumés sur la Côte Ouest et plus encore. Et je témoigne qu’il a donné parmi les plus grands shows de hip-hop présentés dans les arénas et stades de ce monde.

Alors quand un communicateur blanc keb (exactement comme je suis) exprime une telle ignorance, un tel mépris, j’ai honte. Mais je te pardonne, JiC, je t’aime encore aujourd’hui. Tu ne savais pas ce que tu faisais, comme l’a déjà dit un autre JC en d’autres circonstances.

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