Depuis plusieurs années, les fans de chanson hors-piste s’intéressent au travail de Liz Harris, mieux connue sous le pseudo Grouper, évocation (cynique? satirique?) du Group, secte inspirée des enseignements du philosophe et mystique Gurdjieff, à laquelle sa famille était liée. On ne connaît pas les croyances actuelles de cette douée musicienne, compositrice et chanteuse de la côte Ouest états-unienne, mais on peut présumer que Grouper a préféré l’art des sons aux dogmes sophistiqués pour y construire un monde singulier, incertain, où oscillent les états d’âmes entre l’apaisement et l’inquiétude, entre la quête de pureté et l’assomption d’impureté, entre la volonté de vivre et de disparaître, entre le désir de s’affirmer publiquement et de se fondre dans le décor. Peintre du paradoxe intérieur, Grouper poursuit une œuvre à la fois foisonnante et instable, où la fragilité triomphe immanquablement dans toute sa beauté. Ce 12e album studio ne nous en apprend pas davantage sur les formes mises au point au fil du temps : folk aérien, ambient, drone, bruitisme. Les arrangements uniques de l’artiste en sont sa marque de commerce, il faut absorber son œuvre comme un continuum, fleuve apparemment tranquille… qui bouillonne dans ses profondeurs. Liz Harris retourne ainsi à ses matériaux de base, l’épisode minimaliste du piano droit au service de sa voix cristalline (albums Ruins et Grid of Points) est bel et bien derrière elle: les guitares et l’électronique soutiennent ici des mélopées angéliques qui ne survolent pas exactement le paradis.
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