Samedi soir dernier, la ville grouillait d’une foule emmitouflée, attirée par l’effervescence de la Nuit Blanche. Comme une colonie en mouvement, on se faufile à travers la frénésie sonore du DJ set sur la place des Festivals avant de bifurquer vers l’Agora Hydro-Québec, de l’autre côté de Maisonneuve. Là, dans la pénombre, le public s’est disposé en grand colimaçon au cœur du dôme de 32 haut-parleurs pour écouter les sons et vibrations des œuvres du grand marathon musical qui clôt ces deux semaines intenses de la 12e édition de Montréal/Nouvelles Musiques.
Produit par le Groupe de Recherche-création sur la Médiatisation du Son (GRMS) en collaboration avec Hexagram, cet événement promet une grande nuit immersive.
D’ailleurs, ce marathon musical a dû faire naître plusieurs nouvelles passions acousmatiques puisque nombreux sont les néophytes qui, curieux par la programmation de la Nuit Blanche, se sont joints temporairement aux initiés, se laissant porter par l’expérience, avant de reprendre leur course dans la nuit montréalaise.
Pour l’occasion, pas moins de 25 œuvres étaient au programme, dont de nombreuses créations. Les premiers sons résonnent vers 19h30 avec Exercices in Estrangement (Vietnam Radio) de Sandeep Bhagwati, une œuvre qui explore l’étrangeté du monde à travers une série d’exercices poétiques. Dans celui-ci, elle interroge la façon de vivre en tant que personne déracinée.
Puis, un deuxième bloc s’ouvre une heure plus tard, mettant en lumière sept pièces de compositeur·rices autrichien·nes dont la plupart étaient parmi nous ce soir.
Parmi les œuvres présentées, Brandung IV de Katharina Klement déploie des articulations sonores continues, tissant des jeux de matières sonores denses, parfois granuleuses, évoquant des entrechoquements et des mouvements de liquides. Dans Mosaic de Martina Claussen, on assiste à une construction sonore où des timbres réalistes sont sculptés progressivement dans la matière et où le son se construit continuellement. Avec Inner outer self-variance and my deranged disembodied voices de Enrique Mendoza, l’expérience devient plus troublante avec une immersion dans l’expérience des hallucinations auditives, où l’on ne sait parfois plus si les sons viennent de l’œuvre ou de notre voisin de chaise, créant un certain vertige sensoriel.
Après une courte pause, la soirée se poursuit avec un bloc de trois œuvres intégrant une dimension visuelle.
La première, Point Line Piano de Jarosław Kapusciński, projette sur grand écran la vision en temps réel du casque de réalité virtuelle porté par l’interprète. Dans cet espace numérique, il dessine des formes qui interagissent avec le son. La répétitivité de la performance et le retour constant à des tableaux vides rendent l’expérience quelque peu statique. Par ailleurs, l’impact des gestes sur la musique m’ont semblé demeurer flous.
Vient ensuite Fluyen de Valentina Plata, une œuvre contemplative qui met en parallèle les tunnels artificiels creusés par l’homme et les grottes d’eau souterraines naturelles du Mexique.
Enfin, Third State de Mike Cassidy et Kristian North se présente comme l’œuvre la plus convaincante. Cette pièce pour trois lasers, à la manière d’un oscilloscope, donne à visualiser les sons. Les timbres se dessinent à travers la complexité des figures lumineuses ainsi que la superposition des couleurs qui engendre de nouvelles sonorités.
Puis, retour à la formation acousmatique avec un long bloc de neuf œuvres. La spatialisation assurée par Kasey Pocius était au point, impressionnante, complétant les dynamiques et les narrativités des œuvres. Parmi les œuvres présentées, Friction of Things in Other Places de Rodrigo Sigal et Mambo de Francisco Colasanto s’alliaient particulièrement bien avec le contexte d’écoute par leurs emprunts aux sonorités populaires, folkloriques et rythmes latins.
Vers minuit et demi, j’ai fini par tirer ma révérence. Après plus de quatre heures d’immersion acousmatique, Montréal et ses fourmis de la Nuit Blanche m’ont rappelé.
La soirée s’est poursuivie, avec encore deux blocs à venir. Cinq créations y étaient programmées, mais elles resteront, pour moi, enveloppées de mystère…