Un Noël baroque avec Arion | Quand la vielle à roue réveille l’esprit des fêtes
par Judith Hamel
Dimanche après-midi, l’orchestre baroque Arion se produisait devant une salle bien remplie à la salle Bourgie, proposant un programme consacré aux Noëls français, suisses et allemands. Dans une instrumentation mêlant cordes, clavecin, théorbe et basson, trois solistes — à la flûte, au hautbois et à la vielle à roue — sont venus enrichir ce concert où se succédaient des airs de Noëls baroques, tantôt bien connus, tantôt obscurs.
Le concert s’est ouvert avec l’extrait « Où s’en vont ces gais bergers » de la Simphonie des Noëls de Michel-Richard Delalande, un choix d’air familier qui a donné un ton enjoué au concert.
Mathieu Lussier a ensuite présenté la première soliste, Tobie Miller, une joueuse de vielle à roue virtuose réputée. Alors qu’il l’annonçait, c’est plutôt le flûtiste Vincent Lauzer qui est entré en scène, déclenchant un rire franc du public. Ce moment léger a été suivi par le Concerto no 4 « Noëls suisses » de Michel Corrette, une pièce pour flûte à bec et ensemble qui, dans un mélange d’espièglerie et de virtuosité, a permis à Vincent Lauzer de briller par son expressivité.
« C’est marrant, ça sonne comme la flûte à bec, la vielle à roue », annonce Mathieu Lussier en référence à sa coquille. Cette fois, Tobie Miller entre véritablement en scène pour interpréter une œuvre de Nicolas Chédeville, le Concerto « Les Plaisirs de la Saint-Martin ». Cette pièce célèbre la Saint-Martin qui autrefois apportait des célébrations presque aussi importantes que la fête du Saint-Nicolas. Bien que l’œuvre soit de Chédeville, celui-ci aurait probablement eu des problèmes de droits d’auteur aujourd’hui puisqu’il emprunte largement ses matériaux de Vivaldi.
Puis, le troisième soliste, Daniel Lanthier au hautbois, a offert une interprétation du Concerto a 5 con oboe obligato de Bonaventure Gilles. Son jeu habité et expressif donnait envie de se retrouver sur scène à leurs côtés. La musique semblait palpable tant l’énergie du soliste et des musicien·nes était communicative.
Avant l’entracte, l’ensemble a interprété sept airs de Noël de Charpentier, clôturant ainsi la première partie du concert. Mathieu Lussier en a profité pour inviter le public à glisser un disque d’Arion dans leurs bas de Noël cette année. Une suggestion qui donne envie d’opter pour une bande-son baroque pour les festivités de cette année !
Pendant l’entracte, des projections éducatives ont offert des informations sur l’accord des instruments baroques, sur la fabrication des instruments d’époque et sur le répertoire présenté. Un beau moyen pour contextualiser leur démarche artistique et enrichir l’expérience du public.
Au retour, Vincent Lauzer a repris la scène avec le Concerto n° 5 « Noël allemand » de Michel Corrette. Le mouvement lent captait par sa délicatesse, tandis que l’Allegro, avec ses syncopes rythmiques, apportait une touche ludique.
C’est ensuite au tour de Tobie Miller de revenir sur scène. Après nous avoir parlé un peu de l’histoire de la vielle à roue, elle interprète le Concerto « L’Hiver » de Nicolas Chédeville, une œuvre magnifique, notamment pour son Largo, qui place l’instrument soliste à découvert et qui permet d’entendre toutes les subtilités du jeu de la vielle à roue.
Finalement, l’orchestre a interprété Les Saturnales de François Colin de Blamont, un compositeur peu joué, mais apprécié de l’ensemble. Ce morceau, tiré des Symphonies des Fêtes grecques et romaines, recréait parfaitement l’atmosphère festive de ces célébrations antiques, menant le concert vers sa conclusion.
Avec un chapeau de Noël sur la volute de la contrebasse et sur la tête de Mathieu Lussier, le concert s’est achevé sur un rappel surprenant : Minuit Chrétien. Ce n’est pas tous les jours qu’un public chante « Peuple debout » accompagné d’une vielle à roue!
Laissez-vous émouvoir par l’intensité expressive d’un ensemble de violoncelles. Un quatuor de l’OSM vous propose des transcriptions et des œuvres originales du répertoire romantique français, de Chopin à Offenbach, combinant les sonorités à la fois graves et veloutées de leurs instruments.
Surrender to the expressive intensity of a cello ensemble. A quartet of cellos from the OSM performs transcriptions and original works from the French Romantic repertoire, from Chopin to Offenbach, combining the deep, velvety sounds of their instruments.
OSM : Le célèbre Quintette « La truite » de Schubert
par Rédaction PAN M 360
Le raffinement et l’humeur badine qui régnaient dans les salons viennois teintent le Quintette de Schubert, plus particulièrement le quatrième mouvement, une suite de variations sur son célèbre lied « La truite ». Contemporain de Schubert, George Onslowa laissé une importante production de musique de chambre, truffée de petits bijoux à découvrir. Ce concert sera l’occasion d’entendre le pianiste Godwin Friesen, lauréat du Concours OSM 2022.
The elegance and lighthearted humour of Vienna’s salons rise to the surface in Schubert’s Quintet, particularly its fourth movement, a suite of variations on the composer’s celebrated lied “The Trout.” His contemporary George Onslow’s bounteous chamber music output is a cornucopia of little gems to discover. This concert also provides an opportunity to hear pianist Godwin Friesen, winner of the 2022 OSM Competition.
C’est Mozart qui a donné ses lettres de noblesse à la clarinette en composant deux chefs-d’œuvre pour son ami et frère en franc-maçonnerie, Anton Stadler. Les chambristes de l’OSM vous les proposent aux côtés de variations de Beethoven sur un thème de La flûte enchantée.
Mozart elevated the clarinet to an unprecedented standard with two masterpieces composed for his friend and fellow Freemason Anton Stadler. These will be performed by chamber musicians of the OSM, alongside Beethoven’s variations on a theme from The Magic Flute.
Les Violons du Roy | Émotions et plaisir avec une voix tranchante pour Bach
par Alexandre Villemaire
Le public a remplit la salle Bourgie le vendredi 11 octobre pour venir assister au concert des Violons du Roy, le premier de la saison 2024-2025 de l’ensemble dans la métropole qui marque le début des célébrations de son 40e anniversaire.
Dans leur discours d’introduction, tant Caroline Louis qu’Olivier Godin, les dirigeants de la salle Bourgie ont souligné l’apport important de l’ensemble et rappelé le long partenariat qui unit la salle et les Violons du Roy, notamment par l’interprétation de l’intégrale des cantates de Bach, qui a occupé leur programmation respective durant les huit dernières années et fait vivre des moments musicaux d’une grande intensité. Le programme de la soirée y faisait d’ailleurs un petit clin d’œil. Bernard Labadie, fondateur et directeur musical de l’orchestre de chambre de 1984 à 2014, s’est également adressé au public pour souligner cette grande aventure folle et ce « petit miracle » que sont les Violons du Roy. Le chef a également remercié une des membres fondatrices, la violoniste Nicole Trotier, qui prenait sa retraite après ce concert qui se conclura par une autre interprétation au Palais Montcalm le 12 octobre. La table était donc mise pour une soirée riche en émotion et en plaisir. Et c’est exactement dans cet esprit que les musiciens des Violons du Roy ont donné ce concert.
Divisée en deux parties, chacune était introduite par un concerto grosso de Händel. Exécutées avec énergie et vivacité, ces interprétations d’œuvres instrumentales concertantes, en plus de démontrer le jeu des musiciens et la palette de couleur sonore de l’orchestre, ont servi de préludes aux deux cantates pour alto de Bach qui mettaient en vedette le contre-ténor britannique Hugh Cutting. Ancien élève du St. John’s College de Cambridge, le jeune artiste lyrique est le premier contre-ténor à remporter le prix Kathleen Ferrier (2021) et à obtenir le titre d’artiste de la nouvelle génération de la BBC (2022 à 2024). Un des défis d’une voix comme celle de Cutting réside dans la projection et on peut dire qu’à ce niveau, le jeune chanteur s’illustre particulièrement avec une grande puissance vocale, contrôlée et qui vient compléter l’amplitude du son de l’orchestre. Il s’illustre notamment par la clarté de ses exécutions. Sa prononciation allemande est précise et le discours, tant musical que textuel, qu’il tresse est limpide. Son agilité vocale a été mise de l’avant dans le deuxième aria de la cantate Geist und Seele wird verwirret [L’esprit et l’âme sont confondus]. L’air “Gotte hat alles wohlgemacht” [Dieu a tout fait parfaitement] propose un dialogue entre l’orgue et la voix, soutenu par le continuo. La ligne vocale rivalise avec des vocalises de haut vol que Cutting livre avec une performance sentie et admirable, mais où l’on sentait parfois qu’il arrivait à la fin de ses phrases légèrement au bout de son air, donnant l’impression que la phrase est incomplète et éclipsant les finales de certains mots. La projection des surtitres en fond de scène venait pallier ces légères imperfections qui, dans l’ensemble, ne sont jamais venues altérer le sens de la performance. Le jeu de Mélissande McNabney à l’orgue est également à souligner pour la dextérité de son interprétation dans des lignes tout aussi exaltées que celles interprétées par Cutting.
D’un caractère serein et pastoral, la deuxième cantate de la soirée Vergnüte Ruh, beliebte Seelenlust [Bienheureuse paix, bien aimée béatitude] a mis en valeur le timbre feutré et cristallin de Hugh Cutting. Moment particulièrement expressif, l’aria “Wie jammern mich doch die verkehrten Herzen” [Qu’ils me font donc pitié, ces cœurs dévoyés] est un dialogue épuré exempt de toute basse continue où les instruments à cordes (violons 1-2 et alto) jouent à l’unisson avec la voix et un orgue à deux claviers. Bourgie ne possédant pas un tel instrument, deux orgues positifs ont été requis sur scène pour cette pièce. Assurée par Mélissande McNabney et Tom Annand, ce jeu de claviers distinct a permis de mettre en valeur l’intrication des lignes vocales et instrumentales, pétri d’accords tendus, accentuant le caractère plaintif et d’affliction de cet air.
Les Violons du Roy et Bernard Labadie ont trouvé en ce jeune Britannique la voix de Bach idéale pour leur programme. Investi sur scène, intelligent dans son interprétation avec une voix agile, ample et sonore, Hugh Cutting a fait une première apparition remarquée empreinte d’émotion, de clarté et de raffinement ; des éléments que le public de la salle Bourgie lui a rendus par une longue ovation.
Découvrez une nuit de passion et de mystère avec deux maîtres viennois du romantisme tardif, où les émotions se transforment en musique envoûtante, de Schoenberg à Johanna Müller-Hermann. Les deux œuvres au programme appartiennent au romantisme tardif, et leurs auteurs, tous deux viennois, ont étudié auprès d’Alexander von Zemlinsky. La nuit transfigurée de Schoenberg s’inspire d’un poème de Dehmel qu’elle traduit par une musique dramatique et passionnée. Quant à Johanna Müller-Hermann, très célèbre à son époque, c’est une musicienne à découvrir; ses œuvres possèdent une grande richesse harmonique et mélodique.
Discover a night of passion and mystery with two Viennese late-Romantic masters, where emotions are transformed into spellbinding music, from Schoenberg to Johanna Müller-Hermann. The two works on the program belong to the late Romantic period, and their composers, both Viennese, studied with Alexander von Zemlinsky. Schoenberg’s Transfigured Night is inspired by a poem by Dehmel, and translates it into dramatic, passionate music. As for Johanna Müller-Hermann, very famous in her day, she is a musician worth discovering; her works possess great harmonic and melodic richness.
Le Quatuor Molinari souligne le 20e anniversaire du décès de Guido Molinari en interprétant des œuvres inspirées de ses toiles et de ses sculptures, ainsi que l’ultime quatuor d’Anton Webern, son compositeur préféré. Des projections d’œuvres du grand peintre québécois accompagneront le concert.
The Molinari Quartet marks the 20th anniversary of Guido Molinari’s death by performing works inspired by his paintings and sculptures, as well as the ultimate quartet by Anton Webern, his favorite composer. Projections of works by the great Quebec painter will accompany the concert.
Le formidable jeune contre-ténor anglais Hugh Cutting, nommé « BBC New Generation Artist » en 2022, retrouve le chef fondateur des Violons du Roy, Bernard Labadie. Ils célèbrent les 40 ans de l’orchestre dans un programme comprenant deux des plus belles cantates de Bach pour voix soliste, ainsi que deux concertos grossos de Handel.
The formidable young English countertenor Hugh Cutting, named “BBC New Generation Artist” in 2022, reunites with Les Violons du Roy’s founding conductor, Bernard Labadie. They celebrate the orchestra’s 40th anniversary with a program featuring two of Bach’s finest cantatas for solo voice, plus two Handel concertos grossos.
Les Violons du Roy | Rêves et expérience sonore d’une nuit d’été
par Cédric Picard
Seul au micro, avant même l’entrée en scène de l’orchestre, Nicolas Ellis nous invite au rêve. Pas le rêve enfantin et ludique, mais bien le Rêve (avec un grand R) sous toutes ses facettes, qu’elles soient joyeuses ou tragiques, pleines d’espoir ou de déception. Avec humour, il suggère que l’on mette de côté tout rêve en lien avec les voitures de course considérant la pollution sonore due aux événements du Grand Prix Formule 1 ayant lieu tout près de la Salle Bourgie ce soir-là. Sur ce, les musiciennes et musiciens des Violons du Roy prennent place sur la scène pour créer une véritable expérience musicale.
Dès le début, on sent qu’il ne s’agira pas d’un concert typique. D’abord, plusieurs chaises sur scène sont ostensiblement vides, puis, la musique débute sur des sons électroniques qui donnent l’impression d’une forêt pleine de vie. Par la suite, l’ensemble entre en jeu et la soprano Andréanne Brisson Paquin se fait entendre, mais au fond du balcon de la salle. À peine a-t-on le temps de vivre pleinement cet espace sonore, une création de la compositrice Claudie Bertounesque, que la Fantaisie sur un thème de Thomas Tallis de Ralph Vaughan Williams en émerge sans interruption. Dès lors, on découvre le deuxième élément inusité de ce concert : neuf musiciennes et musiciens de l’ensemble sont eux aussi installés au balcon de la Salle Bourgie. Ce sont les neuf interprètes qui composent le deuxième orchestre de la célèbre œuvre. Le comble est que l’acoustique de la Salle Bourgie est si parfaite que, si on ne connaissait la position de ces musiciens (c’était mon cas, étant assis au parterre), on aurait juré que le son provenait de quelque endroit dissimulé sur scène. Le moment était particulièrement enchanteur.
Les performances musicales des musiciennes et musiciens des Violons du Roy n’ont pas fait exception à la réputation de l’ensemble qui se démarque par la qualité constante de ses interprétations à travers tous les styles. Des mélodies expressives et flottantes de Vaughan Williams au folklorisme déjanté de Kilar, tout passe à merveille. Mention spéciale à la soprano Andréanne Brisson Paquin qui transmet avec brio la charge émotive des paroles de Golijov par la flexibilité et la puissance remarquable de sa voix.
Après le concert, il m’est resté l’impression d’avoir vécu une expérience singulière, quelque chose de plus grand qu’une simple performance musicale. L’inclusion des trois interludes commandés spécialement pour faire le pont entre les œuvres, le choix de jouer Vaughan Williams de manière antiphonale et l’ordonnancement des œuvres au programme de la plus lyrique à la plus frénétique, ce sont là l’évidence d’une attention particulière dans la conception de l’expérience musicale. Je dois avouer que j’ai été convaincu. J’aurais toutefois retiré l’entracte qui scindait maladroitement en deux parties les chansons de Golijov. Le fil conducteur aurait été beaucoup plus apparent s’il n’était pas coupé. Une autre opportunité manquée, à mon avis, est l’intégration plus ou moins habile des illustrations de Frédéric Ellis. Bien qu’elles soient magnifiques, elles n’ont pas énormément contribué à l’expérience de concert. Ceci étant dit, elles n’y ont rien retiré non plus, donc je ne leur en tiens pas rigueur.
L’idée de faire sortir le concert classique de son cadre rigide n’est pas nouvelle, mais la manière dont Nicolas Ellis et les Violons du Roy l’ont exécutée est louable. Ce concert a été un exemple parfait de ce qu’il est possible de faire lorsqu’on s’interroge réellement sur l’expérience qu’on offre en tant que musicien classique et qu’on laisse aller sa créativité et celle des créatrices et créateurs d’aujourd’hui. Mon seul hic: j’en veux cent fois plus! J’ai foi que cette approche nous en mettra plein l’ouïe dans les prochaines saisons des Violons du Roy et dans les prochaines œuvres de nos compositrices et compositeurs canadiens.
Entretien avec Claudie Bertounesque
J’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Claudie Bertounesque à la suite du concert pour en apprendre plus sur sa pratique artistique. La compositrice s’est dite choyée par l’amour qu’elle a reçu de la part des Violons du Roy dans le contexte de cette création. Étant spécialisée en composition de musique à l’image, ce genre de commande hautement spécifique fait fleurir sa créativité. D’ailleurs, elle m’a révélé que l’écoute des œuvres à l’origine de ses interludes lui a rappelé la couleur bleue, une belle coïncidence considérant que c’est la couleur prédominante des illustrations de Frédéric Ellis. Elle m’a aussi appris l’origine de la musique électronique contenue dans cette œuvre, soit, entre autres, le son d’une lampe à gaz qu’elle a enregistré́ dans un chalet qu’elle a visité et le cri d’un geai bleu qu’elle a ensuite manipulé pour produire des sons ressemblant au coassement d’une grenouille ou à la stridulation de criquets. J’invite les amateurs de musique électroacoustique à entendre Le chant des bélugas, une autre pièce de la compositrice commandée par Nicolas Ellis et l’Orchestre de l’Agora.
Le violoniste virtuose de renommée mondiale Kerson Leong rejoint les lauréats de concours internationaux, le pianiste ukrainien Illia Ovcharenko et le Barbican Quartet, dans un mélange époustouflant de virtuosité, de passion et d’éclat.
World-renowned violin virtuoso Kerson Leong joins international competition winners, Ukrainian pianist Illia Ovcharenko and the Barbican Quartet, in a breathtaking blend of virtuosity, passion and brilliance.
6 femmes, 3 opéras et une belle soirée de création
par Frédéric Cardin
La création féminine est foisonnante et ratisse large, si l’on se fie aux trois nouvelles œuvres lyriques présentées (partiellement) à la salle Bourgie hier soir. Trois opéras qui, ensemble, couvrent un large spectre du langage musical contemporain et savant. En effet, la soirée de création, intitulée Fables et légendes – Opéra d’aujourd’hui, était parfaitement équilibrée entre une œuvre rigoureusement atonale, une autre fondamentalement mélodique et consonante, et une troisième quelque part à mi-chemin. Chaque opéra est le fruit de la collaboration entre deux femmes, une compositrice et une librettiste. Les trois œuvres étaient partiellement mises en scène, la salle Bourgie (et probablement aussi les moyens financiers des organisatrices) ne permettant pas de scénographie complète.
C’est le duo formé d’Analia Llugdar, compositrice et d’Emné Nasereddine, librettiste (à qui on peut ajouter Alice Ronfard à la dramaturgie), qui avait l’honneur de lancer la soirée. Je suis fille de la fille est la mise en musique d’extraits du recueil La danse du figuier de Nasereddine, prix Émile-Nelligan en 2021. Je me permets de citer un commentaire du jury qui a accordé le prix à Emné Nasereddine, à propos de La danse du figuier :
Dans une méditation sur ses origines, la poète Nasereddine évoque trois figures de femmes : celle de la grand-mère, Téta, celle de la mère, Fadwa, ainsi que celle de la fille, Emné. Après la mort de sa mère, Emné dresse un constat lapidaire : « les femmes de mon pays meurent avant d’écrire ». Ce terrible constat motive sans nul doute la poète à désobéir à sa grand-mère, qui l’invitait à se trouver un mari. En choisissant plutôt de devenir écrivaine, n’en déplaise à la grand-mère, Nasereddine connaît plusieurs défis. Une fois arrivée à Montréal, la poète évolue sur un territoire où il n’y a pas de « senteurs familières ». C’est la poésie qui lui permettra de tracer son propre chemin dans son pays d’accueil, afin d’y semer les parfums du Liban.
La musique de Llugdar ne se veut pas descriptive de quelques origines ethnoculturelles que ce soit. Elle est rigoureusement atonale, faite d’écartèlements timbraux et de rythmes morcelés. Accompagnée uniquement d’une flûte (Josée Poirier) et de percussions (Krystina Marcoux), la soprano Andréanne Brisson Paquin a offert une prestation bien incarnée et, surtout, vocalement impressionnante. La partition de Llugdar est exigeante : envolées lyriques abruptement interrompues, onomatopées variées et roucoulements qui doivent être projetés puissamment. Un passage m’a particulièrement marqué : celui où le personnage principal semble retourner dans sa mémoire pour évoquer sa grand-mère, Téta, qui prépare le thé. Les sonorités percussives sur les mots thé, théière, Téta, tasse, etc. sont amusantes et très bien articulées par Andréanne. Une parenthèse (définie ostentatoirement en entrée et en sortie par des attaques d’une rare violence des percussions – Krystina Marcoux, excellente) qui faisait du bien dans un produit total plutôt sévère. Tel qu’indiqué plus haut, il s’agissait d’un extrait de quelque vingt minutes d’une œuvre totale qui doit en faire une quarantaine. Aucune date n’a été évoquée pour la création complète.
Je suis fille de la fille – cr.: Kevin Calixte Josée Poirier (g); Andréanne Brisson Paquin (c); Krystina Marcoux (d)Je suis fille de la fille – cr.: Kevin Calixte Andréanne Brisson Paquin
Je passe maintenant au deuxième opéra de la soirée, une sorte de fable symbolique à la fois loufoque et sérieuse : Raccoon Opera, des frangines Rebecca et Rachel Gray. Oui, un opéra mettant en scène un… raton laveur comme l’un des personnages principaux. En vérité, l’animal ressemble plutôt à un symbole, celui d’une force qui nous attire vers le conformisme, un peu comme le rhinocéros de Ionesco. Mais, le livret de Rachel (Rebecca est la compositrice), ne lévite pas dans la métaphysique pour autant. Il s’agit d’une histoire assez plébéienne d’une millénariale qui en arrache dans un appart miteux de Toronto et qui en arrache encore plus avec le proprio, de toute évidence une personne viscéralement insensible. La jeune femme qui s’appelle Erin n’est pourtant pas rancunière. Elle désespère sur l’état de sa vie, mais demeure résignée, apathique. Puis, le raton laveur arrive et l’amène à se révolter, à être fâchée! L’extrait présenté hier s’est arrêté au moment où Erin, gonflée à bloc par l’animal, se crinque et se transforme émotionnellement.
La musique de Rebecca oscille entre un lyrisme affirmé qui contraste fortement avec l’œuvre précédente. L’orchestre, de loin le plus étoffé des trois opéras de la soirée (six musiciens et un chef), offre souvent un contrepoint pointilliste et grinçant, mais pas que. À certains moments, il prend des atours plus chaleureux. C’est Raccoon qui stimule cette dualité, car c’est un personnage à la fois rassurant pour Erin, mais aussi, on le sent, dangereux et manipulateur. À quelles fins? On le saura si jamais l’œuvre a la chance d’être créée dans son entièreté. Des projections vidéo de taches de café, de spaghettis métamorphosés en visage à la chevelure ébouriffée, et autres incongruités apportent un complément visuel associé à la vie spartiate de jeune adulte en appartement (beaucoup trop cher).
J’ai beaucoup aimé ce mariage de commentaire social actuel (la crise du logement) et de réflexion plus large sur ses répercussions émotionnelles, matérialisées par la symbolique absurdiste du raton, facteur de conformisme rageur (là aussi, très actuel) et héritier d’une riche tradition littéraire.
Raccoon Opera – cr.: Kevin Calixte Rebecca Gray (g); Erin Wieser (d)Raccoon Opera – cr.: Kevin Calixte Rebecca Gray (g); Erin Wieser (c); Christophe Gaudreault (d)
La soirée s’est terminée avec la dernière des trois propositions, probablement aussi l’œuvre la plus accrocheuse et la plus attractive. Nanatasis, d’Alejandra Odgers à la musique et Nicole O’Bomsawin au livret, peut même être qualifié d’opéra ‘’pour toute la famille’’. Au programme, trois légendes abénakises, dont, on le comprendra, une seule était présentée hier.
L’histoire est celle d’un guerrier abénaki (Kl8sk8mba) qui part vers le Grand Nord afin de résoudre l’énigme d’un hiver qui ne finit plus et qui empêche le peuple de semer et récolter de quoi survivre. Le personnage sera amené à rencontrer Pebon (l’Hiver) et à le convaincre, avec l’aide de Niben (l’Été), de lâcher prise une partie de l’année, engendrant ainsi le cycle des saisons.
Des trois, Nanatasis est l’opéra qui a bénéficié des plus belles largesses en termes de costumes. Pebon et Niben sont très beaux, caractérisés par d’immenses visages fait de papier colorés, de rubans et autres artifices, harnachés au-dessus des chanteurs qui les interprètent. Pebon est chanté par la basse William Kraushaar, magnifique et parfaitement campé avec ce timbre riche et profond, d’une irrésistible rondeur. Odéi Bilodeau est bonne, également, en Niben. Le ténor Mishael Eusebio incarne vocalement Kl8sk8mba, qui est également doublé dans ses déplacements par une marionnette.
La musique d’Alejandra Odgers est tonale, mélodique et accessible. Elle fait appel, adéquatement et même habilement, à des tropes associés à la musique autochtone, mais aussi à ceux de son pays d’origine, le Mexique (le personnage de Niben lui permet cela). L’orchestration est économe (une flûte et des percussions), mais bien colorée. On imagine sans mal Nanatasis partir en tournée et plaire à un très large public. D’ailleurs, c’est le seul des trois ouvrages lyriques qui possède une date de création complète, en 2025 à Montréal. J’ai très hâte et, d’après les commentaires entendus après la soirée, le public présent aussi.
Nanatasis – cr.: Kevin Calixte Odei BilodeauNanatasis – cr.: Kevin Calixte Mishael Eusebio (g); Andrew Gaboury (d)Nanatasis – cr.: Kevin Calixte William KraushaarNanatasis – cr.: Kevin Calixte Nicole O’Bomsawin
On doit remercier chaleureusement toutes les équipes derrière cet important travail de renouvellement de la chose opératique : l’organisme Musique 3 femmes, à l’origine du projet, Le Vivier et Sixtrum percussions.
Bravo, bravo, et merci.
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