On ne peut commencer l’année 2024 sans vous causer du triomphe de Jean-Michel Blais et l’Orchestre de l’Agora : deux Maisons symphoniques à guichets fermés pour boucler la boucle du chapitre Aubades, album de JMB consacré à la musique de chambre dont la matière était exécutée devant public par plus ou moins une cinquantaine de musiciens de l’Agora sous la gouverne de Nicolas Ellis.
Avec en prime le persillage concluant d’œuvres complémentaires signées Philip Glass (Opening, Closing), Claude Debussy (Passepied), Érik Satie (Gymnopédie no 3, arr. Debussy), Benjamin Britten (Playful Pizzicato), Bedřich Smetana (Ma Vlast), Sergueï Rachmaninov (fondu dans une pièce de JMB), Max Richter(Spring no 1, inspirée de Vivaldi et impliquant le grand orgue Pierre-Béique joué par JMB), Yann Tiersen (J’y suis jamais allé) ou même Yanni (Santorini), ces Aubades, musiques du petit matin en mode symphonique contribuent à définir les standards les plus élevés du néoclassicisme.
Entrelarder de grands compositeurs du passé aux compositeurs néoclassiques d’aujourd’hui est une pratique de plus en plus prisée, force est d’observer. Pour le public conquis au néoclassicisme, cette pratique est louable à n’en point douter. Or, pour le public féru des périodes romantiques et modernes, c’est peut-être autre chose, car les plus grands compositeurs de notre époque ne sont pas tous post-minimalistes ou platement consonants, comme c’est le cas des néoclassiques en majorité absolue.
Quoique…
Jean-Michel Blais, un pianiste de talent n’ayant pas complété sa formation et revenu à la musique au terme d’un louable parcours humanitaire, était doué pour la composition et sensible aux enjeux stylistiques de son époque. Ainsi, il n’a pas systématiquement adopté ses connaissances de la musique romantique ou impressionniste à une forme easy listening de musique classique. Ses injections de musique électronique l’avaient déjà positionné dans une classe à part. Puis la pandémie l’a conduit à se pencher sur l’écriture orchestrale, nous voilà au cœur de ce processus dont le principal intéressé se dégage lentement de l’exercice de style.
On l’avait observé il y a quelques années lorsqu’il avait assuré la première partie de l’Islandais Ólafur Arnalds à la Maison symphonique, nourrissant pour certains et soporifique pour d’autres. C’est aujourd’hui encore plus concluant. JMB est désormais un artiste consacré. Et sa personnalité attachante, empathique, drôle et sans prétention ne nuit certainement pas à son succès populaire.
L’arrangeur François Vallières a parfaitement saisi ces musiques consonantes en leur conférant un lustre plus contemporain, et ce sans déroger aucunement de la tradition classique pré-contemporaine. Rappelons qu’il remplit fort bien cette mission auprès d’Angèle Dubeau et l’ensemble à cordes La Pietà depuis plusieurs années, il poursuit cette œuvre notamment auprès de JMB avec le soutien fervent de l’Orchestre de l’Agora et son chef Nicolas Ellis.
Ce très bel orchestre, d’ailleurs, ne cesse de progresser dans cohésion, dans ses exécutions ou dans l’efficience de ses sections et de ses solistes. On l’a d’ailleurs observé vendredi chez les bois et les cuivres. Les parties de cordes n’étaient pas particulièrement mises à l’épreuve, sauf le mouvement Playful Pizzicato, deuxième mouvement de la Simple Symphony de Britten entièrement joué en pizzicato par les cordes (pincées, sans archet).
Et… de toute cette mouvance, Jean-Michel Blais n’est-il pas un des musiciens québécois ayant favorisé les meilleurs accommodements entre musique classique consonante et création contemporaine ? Snobée par les mélomanes rompus à la « grande musique », cette approche n’est certes pas la panacée de la musique contemporaine, mais n’est pas non plus un chemin menant systématiquement à la facilité et à l’édulcoration.
Crédit photo: Ludovic Rolland-Marcotte