Loin de moi l’idée, par ce titre, de diminuer la qualité des prestations offertes hier par les artistes invités lors du (désormais) classique concert de Noël éclectique de l’Orchestre métropolitain et Yannick Nézet-Séguin. Mélissa Bédard en impose dans Glory Alleluia et le Minuit, chrétiens. Sa voix de contralto ample et très juste, sans fioritures inutiles, s’est agréablement démarquée. Kim Richardson fait de même avec d’autres classiques comme Noël blanc ou I’ll be Home for Christmas. Et puis la sensation lyrique de l’heure, Élizabeth St-Gelais nous a offert les Anges dans nos campagnes et un Sainte Nuit (en innu) plutôt réussis. Un très beau duo avec Michel Rivard aussi, avec un Gens du pays bien senti. Ce dernier a également offert C’est dans la famille, initialement un peu fragile, mais authentique.
Taurey Butler, M. Charlie Brown Christmas à Bourgie, avec les excellents Wali Muhammad à la batterie et Morgan Moore à la contrebasse, y est allé de jolies envolées jazz au piano (pas de Charlie Brown, cela dit. C’est réservé pour l’autre salle) dans quelques titres traditionnels du répertoire, et le violoniste trad David Boulanger nous a lancé un très agréable Petit concerto pour Carignan et orchestre d’André Gagnon, avec Oleg Larshin, premier violon de l’OM. Contrastes bien maîtrisés entre les solos ‘’classiques’’ de Larshin et trad de Boulanger, échos modernes de Yehudi Menuhin et de Jean Carignan, pour qui l’œuvre a été composée. Un vrai chef-d’œuvre miniature, qui était accompagné par un autre incontournable de Dédé : un extrait de son album Noël de 1992, la chaleureuse et doucement mélancolique Ronde des bergers. Je n’avais jamais porté attention à ce détail auparavant, mais les solos de cor y sont redoutables! Même le toujours parfait Louis-Philippe Marsolais l’a appris à ses dépens (Oh, à peine un accroc. Mais dans son cas, c’est rarissime). Bien entendu, la finale a été assurée par tout le monde en même temps, communion indispensable qui s’est incarnée par le classique de Beau Dommages/Michel Rivard : 23 décembre. Grande réussite rassembleuse écuménique à l’image du Québec à la fois ‘’de souche’’ et coloré par sa diversité moderne. Bravo.
Bref, tout le monde était à la hauteur, et plus encore. La bonne humeur régnait, Yannick dirigeait avec son habituel pep, les musiciens de l’OM souriaient amplement, la scène et la Maison symphonique dans son ensemble brillaient de mille couleurs, dans une ambiance molletonnée et invitante. Chapeau bas, donc. Mais, la raison pour laquelle je tenais à inscrire le nom d’Antoine Gratton dans mon titre, c’est que le lien suprême entre tous les morceaux, toutes les prestations, tous les styles musicaux évoqués dans cette messe laïque et musicale, l’unifiant qui a permis de passer presque deux heures, sans entractes et sans véritables longueurs, bien accrochés au déroulement, cet indispensable secret de la réussite, ce sont les arrangements d’Antoine Gratton.
L’auteur-compositeur-interprète qui s’est un temps fait appeler A Star, est également depuis quelques années un très habile arrangeur pour des concerts pop symphoniques. Hier, il a fait flèche de tout bois grâce à l’originalité des partitions qu’il a réalisées pour l’orchestre et le chœur qui accompagnaient ainsi avec brio les prestations ci-haut mentionnées. Peu importe que les airs soient archi connus, Gratton sait parsemer ses arrangements de multiples surprises pour les oreilles, qu’elles soient harmoniques, coloristiques ou rythmiques. Je prends un exemple parmi d’autres : ce contrepoint entre les clochettes de l’orchestre et les clappements de mains des choristes dans un passage de My Favourite Things. Réjouissant.
L’arrangeur est trop souvent oublié dans ce genre d’événement, mais il ne le faut pas, et surtout pas dans le cas de ce concert qui aurait pu virer à la litanie de mélodies sirupeuses enchaînées interminablement, s’il eut été d’autres plumes moins créatives. Des milliers de soupers de dinde, de tourtière et d’atocas se ressemblent un peu partout au Québec pendant les fêtes. Mais il y a parfois un.e chef.fe en cuisine, caché.e derrière ses chaudrons, qui réussit à réinventer la sauce et unifier le tout de façon assez originale pour qu’on la remarque. Et cela sans tomber dans une témérité exagérée qui laisserait un goût amer à l’expérience. Dans des cas comme celui-là, invitons cette personne à la table et honorons-la (ce qui a d’ailleurs été fait sur scène hier).
Ne doutons pas un seul instant qu’il y aura une édition 2025.