Les noms de William L. Dawson (1899-1990) et d’Ulysses Kay (1917-1995), deux Afro-Américains, précisons-le, ne sont pas de ceux que l’on entend habituellement dans le répertoire canonique de la musique savante occidentale. Il est donc de très bon augure que le prestigieux Orchestre symphonique de la radio de Vienne, sous la baguette du chef Arthur Fagen, s’attarde à des œuvres orchestrales de ces compositeurs qui, aux côtés des William Grant Still, Florence Price, Margaret Bonds et autres, ont façonné le développement de la musique classique afro-américaine des XIXe et XXe siècles.
Pièce centrale de l’album, la Negro Folk Symphony de Dawson, créée en 1934 au Carnegie Hall par Leopold Stokowski, fait usage du modèle symphonique romantique tout en mettant de l’avant des mouvements où s’insère un motif récurrent introduit par le cor et qui évolue sous forme de diverses variations au fil de l’œuvre. En citant plusieurs hymnes spirituels afro-américains fragmentés (sauf dans le deuxième mouvement), Dawson unit d’une certaine façon deux mondes dans une narration musicale évoquant le déracinement (The Bond to Africa), l’espoir (Hope in the Night) et la résilience (O, Le’ Me Shine, Shine Like a Morning Star!)
Plus prolifique que Dawson qui a orienté l’essentiel de sa carrière dans le chant choral, notamment en formant l’excellente chorale de l’Institut Tuskegee, Ulysses Kay offre un style dont les sonorités néoclassiques mordantes, presque schönberguiennes, tranchent avec le lyrisme idiomatique de son aîné. Dans ses Fantasy Variations, Kay surprend en présentant le résultat final des variations au début et le thème principal à la fin. Umbrian Scene, au contraire de son titre, n’évoque pas les paysages pittoresques de l’Italie. Son caractère est plutôt sombre et intrigant.
Avec ce qui est seulement le troisième grand enregistrement de la Negro Folk Symphony (1963, 1992), maestro Fagen et l’orchestre viennois livrent une performance élégante et poignante d’un répertoire éclatant et varié. Dans un contexte où nous sommes plus que jamais amenés à nous interroger sur un manque de diversité et où l’existence d’une telle musique doit être relevée, cet album arrive à point.