Les Felice Brothers forment une hardie confrérie, ce sont sans doute les plus dignes représentants du courant folk-rock que j’appellerais « Catskills gothique ». Le fait qu’ils en soient les seuls représentants n’enlève absolument rien à leur mérite. On ne doit surtout pas confondre les Felice Brothers avec leurs frères d’americana Pernice Brothers, qui eux sont du Massachusetts. Le quatuor compte dans ses rangs les frérots Ian et James Felice, le premier à la guitare et au micro principal, le second aux multi-instruments et aux renforts vocaux, ainsi qu’une sœur et un frangin de musique, soit Jesske Hume à la basse et Will Lawrence à la batterie. Au rayon des invités, on trouve deux musiciens du groupe Bright Eyes, soit le réputé guitariste Mike Mogis, qui gère ici la pedal steel, et le trompettiste Nathaniel Walcott, qui exécute la goûteuse partition qu’on entend sur Jazz on the Autobahn.
From Dreams to Dust, huitième opus de la troupe, a été enregistré à Harlemville, NY, dans une église du 19e siècle retapée par Ian Felice. Ce qui s’insinue dans le système auditif de l’auditeur, ce sont des mélodies et des rythmes folk-rock bien huilés, de l’americana de qualité A avec adéquation parfaite du rugueux et du délicat. Rayon paroles, les frères Felice se trouvent dans la cohorte de tête de leur génération. Grand-papa Bob fait sentir son inextinguible influence, notamment dans To-Do List et Celebrity X, qui sont toutes les deux construites selon les règles édictées par Dylan dans Desolation Row. Dylan s’était inspiré du grand cirque fellinien, les Felice ont puisé dans la Cour des Miracles dylanienne, les influences se transmettent et se transmutent.
Pour alterner entre le farfelu et le tragique, la fratrie Felice étoffe ses textes de judicieuses allusions culturelles. Ainsi, dans Inferno, on entend « Who’s that riding on the banks of the Rio Grande – It’s Jean-Claude Van Damme », puis « Who’s that singing in the land of the falling rain – I think it’s Kurt Cobain ». We Shall Live Again est un chant d’espoir qui évoque grandement le I Shall Be Released du susmentionné grand-papa Bob. Puisque 2021 n’est pas 1968, toutefois, et que l’espoir d’aujourd’hui n’est plus celui d’alors, les Felice ont nappé leur chanson de sauce douce-amère, comme l’illustrent les extraits « Remember Hegel, that beautiful son of a bitch », « Marcel Proust, you thought he ruled the roost » ou encore ma préférée, « From Francis of Assisi – to the fans of AC/DC – We shall live again ». Dans Be at Rest, éloge funèbre aussi loufoque qu’émouvant, le défunt héros aurait été coincé deux mois dans une toile de Brueghel l’Ancien. La peinture qui illustre la pochette n’est pas du maître flamand, elle provient d’un artiste inconnu et s’intitule Winter Sunday In Norway Maine. J’aimerais bien rester pris dedans pendant quelques heures, à écouter From Dreams to Dust.