C’est l’histoire à la fois fausse et véridique d’une rivalité entre deux divas exceptionnelles. Pas Sandrine Piau et Véronique Gens, qui sont des amies dans la vie. Cette ‘’rivalité’’ là n’a jamais existé. Plutôt celle de deux divas hors normes du 18e siècle, Madame Saint-Huberty et Madame Dugazon (oui…). Mais encore… on en doute. Rivales dans la vie? Peut-être, mais on ne le sait pas. Rivales sur scène, par styles, théâtres et promoteurs interposés? Ça oui! L’une, la mezzo Saint-Huberty, était abonnée aux rôles dramatiques, héroïques et même grandiloquents. De plus, elle était la vedette de l’Opéra, la grande institution officielle de Paris. Quant à elle, la soprano Dugazon, était l’étoile d’un répertoire plus léger, celui de l’Opéra-Comique, compétiteur de l’autre, et dans lequel on entendait Gluck, Grétry, Dalayrac. L’antichambre de l’opérette à venir, en somme. Les affiches les montraient dans toute leur splendeur et on se battait pour attirer le public le plus nombreux selon que l’on créait un nouveau rôle pour l’une ou pour l’autre.
Cela dit, dans la vie, les deux femmes se ressemblaient plus qu’elles ne s’opposaient. Les deux ont eu des vies tumultueuses, très modernes vues de notre 21e siècle émancipé. Elles se sont vite séparées de leurs maris ennuyeux et ont eu de nombreuses aventures (la Dugazon avec ce que Paris offrait de jeunes hommes, la Saint-Huberty avec les jeunes recrues de l’Opéra, qu’elle tenait à ‘’former’’ intimement, ce qu’elle ne cachait nullement d’ailleurs, et qui faisait scandale dans la bonne société de l’époque. Elles ont librement laisser s’épanouir leurs fortes personnalités et leur indépendance à une époque où cela était rarement exprimé par des femmes.
La musique? Le programme choisi est un bouquet de passages virtuoses ou notoirement ardus de différents opéras présentés dans l’un ou l’autre des deux principaux théâtres lyriques sous le régime de Louis XVI, puis celui de la République, à la veille et après la Révolution. On y rencontre des favoris tels Gluck et Grétry, mais on y fait des rencontres intéressantes comme Sacchini, Edelmann, Monsigny. On est aussi heureux d’entendre des perles comme ce Demophoon de Cherubini et la Clemenza di Scipione de Johann-Christian Bach.
Gens et Piau s’amusent et laissent présumer comment un concert réunissant les deux divas historiques aurait pu résonner. Le soprano aérien, mais bien soutenu, de Piau est limpide et ondoyant. Le mezzo de Gens est généreusement velouté et toujours aussi intimant de vérité et de force.
Excitant soutien de Julien Chauvin et de son Concert de la Loge.