L’an dernier, la philadelphienne Camae Ayewa, alias Moor Mother, avait déjoué les attentes avec Black Encyclopedia of the Air, excellent opus qui la voyait mettre de côté les sonorités abrasives et les rythmiques chaotiques sur lesquelles elle couchait sa poésie afin d’adopter une approche musicale plus près du hip-hop et de la soul. Il s’agissait du premier album qu’elle publiait sous étiquette Anti-. Le second, intitulé Jazz Codes, est présenté comme un épilogue à cette œuvre, mais en fait, il s’agit de beaucoup plus. L’artiste militante y porte cette nouvelle approche encore plus loin. Les couleurs éclatantes de l’œuvre picturale chamarrée qui orne la pochette du disque reflètent bien le paysage sonore plus atmosphérique, voire plus soyeux, qui se déploie à mesure que les pièces qu’il renferme se succèdent.
Le point de départ de l’album est un recueil de poésie avec lequel Ayewa désirait rendre hommage aux figures ayant marqué l’évolution d’un genre musical qui lui est cher : le jazz. Son collaborateur, le réalisateur suédois Olof Melander, lui a fourni des trames sonores influencées par la note bleue et son travail a tellement inspiré l’activiste qu’elle l’a développé jusqu’à ce que le disque prenne forme. Une horde d’instrumentistes d’horizons variés a ensuite été convoquée afin de mettre la main à la pâte : la harpiste Mary Lattimore, le saxophoniste Keir Neuringer, le pianiste jazz de renom Jason Moran, le trompettiste Aquiles Navarro, la flûtiste free Nicole Mitchell, la cantatrice soprano d’origine irakienne Alya Al Sultani, les rappeurs Akai Solo et Yungmorpheus, les artistes Fatboi Sharif et Thomas Stanley ainsi que les chanteuses Melanie Charles, Orion Sun, Justmadnice et Wolf Weston. Avec tout ce beau monde à bord, on pourrait redouter un résultat final décousu, mais il n’en est rien. L’apport de chacun s’intègre à l’œuvre élaborée par Ayewa et Melander sans emmêler le fil conducteur qui la traverse. Ce fil, c’est l’histoire du jazz, véhicule que s’est donné le peuple afro-américain pour exprimer sa douleur et son désarroi face aux injustices qu’il a connues. C’est au tour de Moor Mother de saisir le verbe et de le brandir bien haut car la lutte n’est malheureusement pas terminée.