Dans l’album Jamadevi, l’artiste sonore Lynn Nandar Htoo mêle habilement un travail rythmique pulsé avec la profondeur d’un paysage sonore bien construit. Compositions poétiques autour du coup d’État qui a mis la société birmane sous le joug de l’armée en 2021, les sept morceaux démontrent également la richesse de la contre-culture qui émerge souvent des endroits dont on entend peu parler.
Effectivement, on en connaît cruellement peu sur le Myanmar (anciennement Birmanie), hormis les nouvelles tragiques qui percent à l’occasion nos écrans. Pourtant, l’ancienne capitale Yangon est le lieu d’une scène bien vivante de musique expérimentale. Et les parutions qui en émergent, comme le présent enregistrement, ne laissent pas à désirer.
D’emblée, les trames sont composées d’enregistrements de terrain et d’échantillons qui, dématérialisés, évoquent l’ailleurs, sans pour autant nous dire où nous sommes, ni ce que l’on entend. La pièce ‘Serene’ est-elle construite à partir de sons de gamelan indonésien, ou plutôt de hsaing waing birman, autre orchestre de gongs Sud-est asiatique? L’abstraction des sons, une fois traités et travaillés en studio, mitige la certitude que l’on peut ressentir çà et là durant l’écoute. Chose certaine, on entend bien les sources sonores changer d’une piste à l’autre, ce qui ajoute à la variété des ambiances dans lesquelles Jamadevi plonge son auditoire. Les morceaux demeurent assez courts, ce qui freine davantage de développement formel et consigne chaque titre à un seul tableau musical. Compact et digeste, l’album est annonciateur d’un parcours intéressant pour Htoo.
Pour les oreilles occidentales, Lynn Nandar Htoo propose une œuvre résolument contemporaine, qui n’est pas sans satisfaire à une certaine soif de l’inconnu chez les mélomanes les plus cosmopolites. Mais pour le milieu artistique birman et, plus largement, pour la société du pays, Jamadevi fait partie de l’expression plus large d’un traumatisme et d’un mécontentement politique.