Surtout, ne vous fiez pas à la première pièce : un piano très approximatif avec une voix mal assurée, comme si la chanteuse était ivre. Une minute et dix secondes plus tard, vous embarquez dans un univers poétique et musical hors du commun.
Kara Jackson a grandi à Oak Park, près de Chicago, une rare ville de banlieue américaine multiraciale et voulue comme telle. À l’âge de dix-neuf ans, elle a remporté le prix du Jeune poète national. La voici qui embrasse la musique, sans négliger la poésie pour autant.
La trame musicale est surréaliste : à partir d’accords de guitare assez simples, toujours en fingerstyle, se tisse une instrumentation folle, faite de montées de cordes, de cuivres, de guitare Pedal Steel, de synthés et de guitares électriques parfois distordues. Tout cela crée une atmosphère quasi théâtrale, très efficace.
Kara Jackson a vingt-cinq ans, mais à l’entendre et la lire, on pourrait penser qu’elle a l’expérience de Joni Mitchell. D’ailleurs, son timbre de voix plutôt grave n’est pas sans rappeler celui de la Joni plus âgée. Maturité précoce?
La pièce titre, Why Does The Earth Give Us People To Love (Pourquoi La Terre Nous Donne Des Personnes À Aimer), est une ode funéraire à sa meilleure amie, décidée trop tôt d’un cancer. Sur Dickhead Blues (Le Blues Du Salopard), elle envoie promener un de ses ex de façon très chirurgicale. En paroles, la jeune poétesse ne fait pas dans la dentelle.
C’est un album à écouter avec un casque, pour en saisir la profondeur et la sensibilité.
Mon histoire de blanc privilégié vieillissant n’a rien à voir avec celle d’une jeune artiste noire extrêmement douée.
J’ai trouvé cet album tout simplement bouleversant.