Certains albums vous surprennent parfois par le degré d’originalité dont ils font preuve, du fait que nous n’avions aucune attente particulière à leur égard et que la compositrice nous était inconnue. Ce faisant, je révèle un grave manquement de ma part, moi qui devrait faire mieux, car Kamala Sankaram est une figure qui remue efficacement les habitudes de la scène new yorkaise depuis quelques années déjà. Je reconnais ici mon retard et effectue un mea culpa en vous engageant fortement à plonger deux oreilles attentionnées à son univers musical totalement unique. On y est brassé dans un mixeur stylistique ou les techniques instrumentales sont aussi bien inspirées de la musique savante contemporaine que des musiques populaires de tendance groove (R’n’B, hip-hop, Funk). Vous me direz que cela se fait déjà. Oui, mais l’approche de Sankaram est à nulle autre pareille et, surtout, elle y ajoute sa voix (car elle est aussi chanteuse) dans des interventions souvent onomatopéiques tracées sur des ossatures déhanchées. Sankaram possède une technique très étendue (elle s’est de toute évidence régulièrement frottée à Ligeti).
Les œuvres ici présentées procèdent d’un tronc conceptuel commun, lié à la question des changements climatiques. Elles sont toutes écrites pour voix, électronique et percussions (tout un éventail maîtrisé avec soin par Brian Shankar Adler) et expriment un certain degré d’inquiétude, mais essentiellement tempéré par beaucoup d’optimisme. Certaines pièces ont le caractère d’une proposition jazz (Crescent), d’autres sont plus suggestives, voire expressionnistes, comme A Brief History of Progress, qui débute avec des intonations gospel, mais se dissout dans une sorte d’horreur ressentie et portée par des susurrements diaboliques triturés électroniquement. Il y a aussi trois versions de Heat Map (1990-2000, 2000-2010, 2010-2020) ou la nomenclature des moyennes de température mondiale nous projette au visage l’incontestable aggravation du réchauffement global.
Kamala Sankara me fait penser à Meredith Monk dans cette fusion High art/Low art avec la voix, l’électro et l’acoustique. L’album est complété avec une pièce pour voix, électronique et quatuor à cordes, 5 Rasas. Une intro mélancolique, comme un thème de film, se métamorphose en quelque chose de beaucoup plus étrange, mais beau, inspiré du concept d’états émotionnels pratiqués dans l’art indien. Séduisant et fascinant.
Le Washington Post l’a décrite comme ‘’l’une des plus excitantes compositrices d’opéra au pays’’. Je n’ai aucune difficulté à le croire. Un de ses opéras s’intitule Miranda: The Steampunk Murder Mystery Opera. Je suis déjà intrigué et attiré.
Je vais donc de ce pas explorer ses autres compositions, ce que vous devriez faire également, après avoir écouté cet album, bien sûr.