Le livret de l’album Ice Door se lit comme l’exposé d’un théorème de mathématiques abstraites. C’est que l’Espagnol Juan J. G. Escudero est compositeur mais aussi chercheur aux croisements de la musique, des mathématiques et de la physique. S’il peut de toute évidence expliquer en profondeur ce qui relie une de ses partitions avec la courbure du rayonnement photonique de certaines étoiles à périodicité variable, pour le commun des mortels, ça ne présuppose en rien l’intérêt de la musique résultante. Et même si, pour un infatigable curieux comme moi, cela est fascinant, même sans rien y comprendre, je demeure conscient que pour ceux et celles comme vous qui lirez cette critique, la seule question qui compte sera : c’est de la bonne musique ou pas?
Objectivement, oui, c’est de la très bonne musique. Les principes la sous-tendant sont certes extraordinairement complexes, et, en toute honnêteté, la suprême originalité du produit final assez alambiquée, mais la plasticité sonore est agréable. La trame générale est constituée de crépitements aléatoires se comportant comme des jaillissements de particules plus ou moins volumineuses, plus ou moins durables, plus ou moins actives. Nous sommes ainsi plongés dans une mer texturale primitive, pré-cambrienne, faite de milliers de micro-organismes se mouvant et se manifestant, pour disparaître aussitôt, devant nous.
Voilà la visualisation/vulgarisation la plus honnête que je puisse offrir à partir d’une musique rigoureusement abstraite et avant-gardiste. Sur les six pièces au programme, quatre sont strictement électroniques et deux largement acoustiques. Celles-là sont tout à fait réjouissantes, car on prend plaisir à imaginer ces instrumentistes se battre avec acharnement pour rendre vivantes ces partitions frémissantes, quelque part entre Feldman et le spectralisme.
Excellent album de musique pour oreilles averties et audacieuses.