Le problème de Thomas de Hartmann, et qui pourrait expliquer pourquoi il est sombré dans l’oubli après sa mort, est qu’il a passé une partie de sa vie à promouvoir la musique de l’autodidacte Georges Gurdjieff, un mystique qui a écrit (avec l’aide de Hartmann) beaucoup de musique évanescente de tendance ésotérique. Bien avant la mode actuelle du néoclassicisme reposant et du crossover à saveur world, Gurdjieff faisait de l’exotisme orientalisant (de couleur principalement arménienne) et pratiquement pré New Age, ce qui a eu l’heur de déplaire à l’establishment ‘’sérieux’’ de la musique savante d’après-guerre, et de nuire fortement à la renommée de son partenaire, De Hartmann, un compositeur tout ce qu’il y avait de solidement formé. Le fait qu’il ait été Ukrainien de naissance a peut-être aussi nui car la culture spécifiquement ukrainienne a été volontairement diluée dans celle de l’URSS du 20e siècle. De Hartmann a ainsi été relégué loin derrière des figures plus célèbres comme Prokofiev et Chostakovitch.
Quoiqu’il en soit, cet album jette un pavé dans la mare en osant une réhabilitation de Thomas De Hartmann en tant que compositeur d’étoffe plutôt que de ‘’faire-valoir’’ de Gurdjieff. Au programme, deux concertos substantiels, écrits dans un langage résolument romantique.
Des deux, c’est celui pour violon (créé en 1943) qui est le plus consistant. Ici, le Romantisme inhérent à la plume de De Hartmann est substantiellement amplifié par des passages harmoniquement modernes et une musculature orchestrale affirmée qui n’auraient pas déplus à Prokofiev. Ce que l’on remarque de ce compositeur c’est la force narrative d’une musique construite avec ferveur. Du premier mouvement, la peinture d’un monde vaste et riche de détails, au Menuet fantasque très ludique, en passant par l’Andante magnifiquement chantant puis le Finale Vivace bouillant d’intensité, De Hartmann présente une oeuvre vivante et pleinement méritante d’une vie active au concert. Joshua Bell maîtrise parfaitement ce genre de répertoire et d’univers sonore, et il est brillamment appuyé par l’Orchestre ukrainien sous la direction fébrile de Dalia Stasevska.
Le Concerto pour violoncelle date de 1935. Il s’appuie sur des signatures harmoniques et des inflexions juives. Moins audacieux que celui pour violon, il ne manque pas pour autant de très beaux détails d’écriture coloristique, comme le début de l’Andante central, qui est également l’un des beaux mouvements lents que je connaisse de n’importe quel concerto. Portez-y attention : la mélodie poignante a quelque chose de la Prière de Bloch, également pour violoncelle. Les deux mouvements extérieurs sont séducteurs et engageants, particulièrement le Finale allegro ma non troppo, sous forme de rondo pastoral souriant. Le violoncelliste montréalais Matt Haimovitz, de confession juive, semble prendre très à coeur cette musique méconnue mais qui ressemble à un petit trésor caché. Dennis Russell Davies dirige avec précision et beaucoup d’attentions aux détails l’Orchestre symphonique MDR de la Radio de Leipzig.
L’enregistrement de ce concerto était déjà sorti en Europe l’an passé, mais son couplage avec celui pour violon pour en faire un album complet est tout récent.
Deux emballantes découvertes à écouter attentivement si vous aimez les orchestrations foisonnantes et les belles mélodies.