Bien que dans un étrange effet de ralenti, on est emporté par ce monumental hommage à la puissance physique ET métaphysique du monde, tel que représenté par l’Étatsunien John Luther Adams (à ne pas confondre avec le post-minimaliste John Adams, tout court). Grandiosement, mais lentement, l’orchestre d’Adams respire et expire, vibre, illumine, mue et se transforme, comme s’il se faisait le porte-voix de la Terre entière, tel un seul et unique organisme vivant.
Pendant près d’une heure, on est submergé par une sonorité digne d’un tsunami en slow-motion. La symbolique est d’autant plus forte que, enregistré pendant la pandémie, l’ensemble a été divisé en cinq constituants fondamentaux : le cordes, les vents, les cuivres, les percussions et un chœur. Aucun sous-groupe n’a pu entendre l’autre pour des raisons évidentes. Qui plus est, la partition est ainsi construite que chaque musicien de chaque groupe est invité à jouer une partie de la partition à sa convenance. Aucune performance ne sera donc jamais la même qu’une autre. Sila : The Breath of the World devient ainsi une fabuleuse métaphore contre l’isolement et en faveur de la résilience humaine. Chacun de son côté, des dizaines d’artistes ont fini par créer une œuvre collective aussi bien performative que sonore et musicale. Dans la collectivité, l’individualité peut exister.
Seize « nuages harmoniques » fondés sur les seize premières harmoniques d’un si bémol grave constituent la base de l’œuvre. Ne s’y meuvent que des notes soutenues, en crescendos-decrescendos qui s’entrelacent habilement. À travers des nuages continuellement métamorphosés, des éclaircies scintillantes apparaissent et laissent traîner leurs rayons qui se mettent à ondoyer et danser à leur tour.
Sila vient de l’inuktitut et signifie « Le vent et le climat, les forces de la nature, mais aussi, plus métaphysiquement, la conscience que nous avons du monde et celle que le monde a de nous ». Le sens est holistique et vise une Totalité transcendante, parfaitement connectée à ce qu’on entend.
Voilà un chef-d’œuvre qu’il faudra absolument voir et entendre sur scène un jour. Fascinant, obsédant, ensorcelant, séduisant, bouleversant.