Sans vouloir comparer directement les œuvres de ces deux artistes québécois, posons la question : Jean-Michel Blais est-il à notre époque ce que feu André Gagnon fut à la sienne? Ce dernier fut un bon interprète, supérieur à la moyenne des pianistes pop de sa génération, il avait des notions de musique classique et s’imposait dans le milieu de la musique populaire. André Gagnon enregistrait ses compositions originales pour le piano… devenues progressivement des musiques de chambre vernies de pop culture.
Alors? Non-non, pas de comparaisons directes! Et oui, les plus jeunes ont parfois l’impression qu’André Gagnon était un tantinet ringard alors que dans les années 60 et 70, la perception de son art était tout autre, c’est-à-dire une fine combinaison de très bonne pop et de musique instrumentale de qualité. Bien entendu, les outils et les référents de ladite musique sérieuse sont plus vastes du côté des compositeurs néoclassiques. Le parallèle s’arrête donc ici.
Écoutons maintenant ces musiques de chambre ficelées par notre Jean-Mi, bon pianiste et compositeur allumé, devenu très populaire sur l’entière planète néo-classique comme on le sait. Exécutées par une douzaine d’instrumentistes chevronnés (cordes, bois et piano) sous la direction du jeune maestro Nicolas Ellis, ces onze pièces réunies sous le thème Aubades constituent la progression naturelle de l’artiste québécois, qui nous avait plutôt habitués à des arrangements hybrides, entre postminimalisme et électro. Nous avons ici des musiques tonales assorties de mélodies consonantes, comme on en trouve sur tant de bandes originales pour le cinéma ou la télé.
Très présentes dans ce nouveau corpus original, les circonvolutions harmoniques, très tonales et très glassiennes en certains moments (ex-assistant de Philip Glass, Alex Weston a d’ailleurs œuvré sur cet album québécois), s’inscrivent dans la grande mouvance postminimaliste à laquelle souscrivent plusieurs compositeurs de musique instrumentale. Angèle Dubeau en a d’ailleurs fait une spécialité en en réunissant plusieurs sur ses enregistrements récents (Pulsations et Immersion), dont Jean-Michel Blais lui-même, ainsi qu’Armand Amar, Dario Marianelli, Ludovico Einaudi, Ólafur Arnalds , Remo Anzovino, Uno Helmersson, Valentin Hadjadj, Max Richter, Bate Devon, Alex Baranowski, Craig Armstrong, Peter Gregston, Yann Tiersen, Abel Korzeniowski, feu Jóhann Jóhannsson et Dalal. Chose certaine, JMB n’a rien à envier à ses collègues internationalement réputés.
Rappelons en outre que les œuvres de ces compositeurs ont un impact majeur, car elles se rapprochent à la fois des musiques classiques des périodes postromantique et prémoderne, régulièrement évoquées dans les musiques de films grand public, aussi des musiques minimalistes ou postminimalistes que kiffent tant de hipsters, lorsqu’ils souhaitent écouter des compositions plus substantielles que les chansons de leurs artistes ou groupes préférés. En somme, ce que Jean-Michel Blais propose ici est une sorte de comfort food néoclassique de bon aloi, œuvre instrumentale typique de la période actuelle, mais dont les traits distinctifs ne sautent pas aux oreilles. Mais bon, présumons que ce n’est pas le but de l’exercice. Rappelons en outre qu’une aubade est un concert donné à l’aube pour quelqu’un, devant sa demeure. Vraiment pas le moment de se prendre la tête…