Voici un joli panorama de la production néo-classique d’Igor Stravinsky. Attention, rien à voir avec le style néoclassique actuel, porté par Ludovico Einaudi, Jean-Michel Blais ou Alexandra Streliski. Le néo-classicisme stravinskien puise moins dans la notion d’accessibilité (via une simplicité harmonique presque pop) que dans un retour à la forme architecturale (concerto, sonate, suite, etc.) héritée de la période baroque et classique. Ce retour aux sources s’est, oui, accompagné aussi d’un retour à certains traits harmoniques et tournures tonales moins exigeantes, rappelant le Baroque ou le Classique haydnien. Mais, bien sûr, Stravinsky n’y a jamais plongé dans une perspective d’effacement de la modernité, durement acquise. Le résultat est une synthèse stylistique tout à fait originale et dont l’on célèbre encore aujourd’hui les grands titres qui en sont sortis.
Le Concerto pour violon, les Suites pour orchestre 1 et 2 et Apollon Musagète programmés ici sont parmi les meilleurs exemples de ce style déployé par Stravinsky, puis imité par plusieurs autres, au tournant des années 1920-1930. On aurait facilement pu ajouter le néo-baroque Pulcinella et quelques autres trésors du corpus du compositeur, mais le choix qui a été fait pour cet album de très belle tenue est cohérent dans sa vision anti-pastiche du néo-classicisme stravinskien.
Le programme est également appréciable en ce sens qu’il juxtapose des œuvres fortement contrastées en termes sonore et timbral. Le Concerto, pétillant d’énergie et coloré excentriquement par l’utilisation abondante et brillante des vents, est dans un monde totalement opposé à celui des extraits du ballet Apollon Musagète, expansif et amplement déployé à travers ses belles et longues lignes de cordes soutenues. Entre les deux, les Suites pour orchestre nos 1 et 2, dans la lignée des Suites de Bach, mélangent habilement les caractères à travers huit mouvements (quatre chacune) inspirés d’autant de danses plus modernes que leurs ancêtres baroques (telles la Polka, la Valse, la Balalaika, etc.). Aussi dans la liste, le truculent Scherzo à la russe, un cadeau de Stravinsky pour Paul Whiteman et son orchestre jazz.
Même si le Canadien James Ehnes n’apparaît que dans le Concerto, c’est son nom qui est en exergue sur la pochette de l’album, témoignant ainsi de son statut de grande star du violon international. Le violoniste au timbre d’alto (un son rond, ambré et d’une grande profondeur) dessine finement et avec ferveur énergique les phrases des quatre mouvements du Concerto. L’expressivité qu’il insuffle à l’œuvre dépasse peut-être le canevas idéal d’un espace sonore se voulant, justement, anti-romantique. Mais je me vois mal faire la fine oreille ou jouer au snob puriste devant une très convaincante lecture de ce chef-d’œuvre. Le soutien apporté par Davis et son splendide orchestre est compréhensif et approprié en général, bien qu’une certaine dichotomie apparaisse parfois entre son approche ultra-précise de l’orchestration et le jeu plus emphatique de Ehnes.
Aucun risque de divergence dans les autres pièces au programme. Le BBC Phil resplendit et s’amuse avec les partitions de Stravinsky. La prise de son Chandos est riche, chaleureuse et très naturelle.