Il y a beaucoup de références à la télévision dans la musique de chez nous (et d’ailleurs). Du Violent seul de Charlebois à la Bonne soirée de Plume, en passant par les Big Shoes de Montréal Transport Limité ou le Lipsync de Trafic d’influence, par exemple. Le petit écran contamine l’inspiration, et puis ce n’est plus seulement le titre d’une émission, un slogan publicitaire, ou la musique d’un commercial de bière qui trouvent leur chemin dans nos chansons, mais bientôt ce sont des extraits sonores qui sont utilisés, des citations directes. Le travail à partir de voix préenregistrées (qui n’étaient pas toutes repiquées de la télé dans ce cas précis) a inspiré à René Lussier le chef-d’œuvre du genre : Le trésor de la langue.
C’est dans la voie ouverte par Lussier en 1989 que s’est engagé le contrebassiste et compositeur Hugo Blouin en 2018 avec un projet pour le moins étonnant : Charbonneau ou les valeurs à’ bonne place. Il utilisait alors des repiquages des archives de la Commission Charbonneau, un défilé d’amnésiques dont les témoignages, aidés par le montage, deviennent de véritables poèmes dada. Le premier volume de l’œuvre a reçu le Lucien « Album jazz de l’année » lors du Gala Alternatif de la Musique Indépendante du Québec (GAMIQ, 2018) et l’Opus du « Concert jazz de l’année » lors de la remise des prix du Conseil québécois de la musique en 2019. Un second volume est paru en février 2022, tout aussi décapant que le premier. Les vidéos qui accompagnent l’album valent vraiment le détour, pour se bidonner et, surtout, pour ne pas oublier.
Hugo Blouin récidive cette année avec « Sport national », qui, comme l’indique bien son titre, est consacré à documenter le monde fascinant du hockey, « de Maurice Richard à Marie-Philip Poulin ». Et en effet, tout y passe. Blouin se sert d’extraits de reportages télévisés, mais souvent sans utiliser l’archive d’origine, faisant plutôt chanter les « textes » par l’excellente Julie Hamelin, qui livre sur un ton suave toute l’absurdité des lignes empruntées à des entrevues de joueurs, des lignes ouvertes ou des descriptions de matchs. La voix principale est appuyée par celles de Céline Bélair et David Cronkite, dont les contributions sont aussi très importantes. On trouve aussi parmi les invités Caroline Dardenne (commentaire), Jérôme Dupuis-Cloutier (trompette) et Blaise Margail (trombone), ainsi que Jean Derome au sax et à la flûte, sur deux titres.
René Lussier, qui se prêtait au jeu avec un superbe solo de guitare sur La belle grosse chaîne (Charbonneau, volume 2) n’est pas de la partie, mais son ombre plane sur l’ensemble du projet, non seulement par le traitement des voix « musicalisées », mais aussi parce que son groove très spécial est bien présent, et ce dès le départ avec la pièce titre, dans laquelle le claviériste Jonathan Turgeon brille de tous ses feux. Attaboy, sur le thème de la « série du siècle », est un autre bel exemple de lussierologie.
On n’en tient pas rigueur au compositeur, au contraire, parce que le résultat est du grand art et qu’il offre ainsi un bel hommage au travail de précurseur de Lussier. Ajoutons enfin que le contrebassiste se garde quelques beaux moments (magnifique solo dans God is Canadian ) et soulignons aussi l’implication de Julie Houle (tuba), de Jean-Philippe Godbout (batterie), d’Alex Dodier (sax et flûte) et d’Olivier Niquet, qui a mis son nez dans le texte de Ça sent la coupe.