La critique a de bon ce qu’elle permet à celui qui crée de s’améliorer. Ou pas. Parfois, elle revêt plutôt de sa capacité à exprimer précisément, avec ses propres mots, ce que l’on ressent à l’écoute d’un morceau, mais elle n’est pas un moyen d’apporter un jugement irrévocable. Elle me paraît d’autant plus délicate lorsqu’il s’agit d’une musique sans paroles. Elle me paraît encore plus délicate, lorsqu’il s’agit de l’EP Haven de Guillaume Poncelet.
Son premier album néoclassique, 88, publié en 2018, était un premier aveu de soi, une palette douce d’émotions. Ici, le pianiste et compositeur promet dans cet EP d’y trouver refuge. On ne présente plus en France les artistes pour lesquels il travaille (Ben Mazué et Gaël Faye, entre autres). Mais on ne parle jamais de celui qui donne corps à leurs textes, habille leur voix par les sens qu’il éveille (les morceaux qui m’ont le plus touchée étant L’ennui des après-midis sans fin, de Gaël Faye, et Des nouvelles de Ben Mazué). Alors voilà, pourquoi il est moins évident d’en parler.
Les accords mineurs de son piano, dont le son est légèrement arrondi par la sourdine, influencent selon moi surtout le corps. Libre à soi de sentir quelle partie de ce dernier s’anime et s’émeut. Libre à soi de sentir traverser cette vague, cet élan doux et tendre, ou bien moins tendre peut-être, dans le ventre ou dans la gorge, ou peut-être ailleurs. Libre à soi enfin, de sentir la caresse de son toucher, dans sa proposition toute en retenue.
On pourrait inventer beaucoup d’histoires à propos de chacun de ces morceaux. Concernant Souls, Guillaume évoquait le mystère des rencontres et de leur évidence, dans un tourbillon matérialisé par une pluie de notes. Le morceau Let Go a mille façons d’être compris. À moi, il me dit que la nuit, trouver son refuge et s’abandonner, est la meilleure des solutions, quand tout le poids du monde pèse sur ses épaules. Il me dit aussi que ce qui traîne et leste la poitrine peut facilement s’apaiser, et qu’il y a toujours un autre sur qui compter.
Mais oui, je ne parlerai pas de technique, mais seulement de mécanique du corps, enclenchée par les doigts du pianiste. Autrement, je préfère me taire et laisser les sons se dérouler.