Disons-le d’emblée, Grave of a Dog est un grand album d’un tout nouveau groupe, issu de la rencontre de trois noms imposants des scènes hard expérimentales : Lee Buford, batteur de The Body, Kristin Hayter, alias Lingua Ignota, et Dylan Walker, chanteur de Full of Hell. Ceux-ci collaborent toutefois depuis quelque temps déjà : aussi a-t-on vu deux albums de Full of Hell et The Body, des apparitions de Buford et Walker sur Caligula de Lingua Ignota, et la pareille sur le dernier album de The Body, I Have Fought Against It, But I Can’t Any Longer, où l’on retrouve, spécialement sur Can Carry No Weight, certains éléments annonciateurs du présent album. L’enregistrement de Grave of a Dog s’est échelonné de 2017 à 2019, au même moment que ces collaborations croisées. Une étape a été franchie avec la création d’un groupe en bonne et due forme, qui s’avère mû par une intention artistique aussi cohérente que percutante.
Kingscorpse, pièce inaugurale, s’ouvre sur les voix a cappella de Hayter et Walker, délivrant de toutes leurs forces une mélodie à laquelle se mêlent des beats puissants, laissant ensuite place au chant guttural de Walker. L’ensemble aurait pu être écartelé entre ces esthétiques diverses, mais plutôt que de confondre, il envoûte. Une profonde connexion trouve ses racines à même les affects élémentaires de la musique hard : rédemption momentanée, et désolation. Les rythmes sont minimalistes, d’inspiration hip-hop ou industrielle, mis à part des pièces à grand déploiement usant de montées sonores sans merci.
The Ocean of Mercy est à n’en pas douter en lice pour la meilleure pièce de l’année. D’abord procession rythmée par les incantations de Walker, l’orgue et quelques craquements organiques d’instruments, la voix souveraine de Hayter surgit pour nous livrer, en guise d’oraison funèbre à la Terre, les vers du poète anglais Robert Burns :
Farewell to the mountains, high-cover’d with snow
Farewell to the straths and green valleys below
Farewell to the forests and wild-hanging woods
Farewell to the torrents and loud-pouring floods.
Hayter, mûre de sa formation classique, nous gratifie de sa virtuosité dans le clair comme dans l’obscur : sa voix rend l’effroi, la force et la reddition dans un même souffle. Il faut l’entendre sur Love Is Dead, All Love Is Dead, pièce terminale, où sa puissance vocale devient râle, pour s’éteindre progressivement, hachurée par le traitement des bandes.
En somme, un album épique en forme de traité eschatologique hardcore. On en redemande!