L’heure est aux regrets pour Taylor Swift lorsque débute the 1, entrée en matière de l’album Folklore : des papillons noirs volettent autour de ses vaines amours, des marteaux font vibrer délicatement des cordes métalliques. C’est Aaron Dessner qui appuie parcimonieusement sur les touches et qui a programmé la cadence électronique, tandis que son frère Bryce était affecté à l’orchestration. Ces deux-là sont les architectes sonores de la formation spleen-rock de pointe The National. Miss Swift a visé juste en faisant appel à la fratrie Dessner pour créer son opus melancholicus.
Car la mélancolie est le fil conducteur de Folklore, un recueil de seize chansons dont neuf ont été composées conjointement avec Aaron Dessner et quatre avec Jack Antonoff, collaborateur de longue date de dame Swift. L’aura publique de cette dernière ayant la vastitude que l’on sait, il est difficile d’adopter une posture d’écoute méditative. Après avoir réitéré deux ou trois fois, cependant, le musicophile reconnaît la qualité de ce qu’il a ouï. Comme l’avait écrit la critique Jessica Hopper en 2012 à propos de Swift, mais aussi de Grimes et de Lana Del Rey, leur ambition et leur désir d’être comprises ne rendent pas leur art moins pur.
Rayon textes, les mots font mouche. Taylor Swift use fructueusement de l’écriture franche et économique, telle une Hemingway de la pop. Les thèmes forment un condensé du catalogue universel : amertume (my tears ricochet, mad woman), infidélité (illicit affairs), amours adolescentes (august, betty, cardigan), fragilité (mirrorball), désir de vivre sereinement, syndrome post-traumatique et grand-papa à Guadalcanal en 1942 (epiphany), évocation de la créatrice et mécène Rebekah Harkness (the last great american dynasty), maturité (peace) et relation délétère (hoax). La pudeur règne encore dans le macrocosme pop de miss Swift, quoiqu’un peu moins qu’auparavant.
Les musiques sont rodées au quart de tour, on ne vous apprendra pas que miss Swift est indubitablement très douée en matière de mélodies mémorables. Seven est conçue de manière assez inusitée, au regard du corpus Swift : à des couplets sous forme de complainte fluide et éthérée, Taylor greffe un refrain pop sautillant. exile, composée avec William Bowery et Justin Vernon, alias Bon Iver, est une ballade obsédante qui pourrait servir de modèle dans les écoles de composition-écriture.Si vous êtes de ces swiftophiles qui croient que Red, mirifique album lancé en 2012, constitue l’étalon de mesure, sachez que Folklore pourrait changer tout ça.