Mai 1968. Pendant que des manifs d’étudiants sèment la pagaille et une grève générale paralyse Paris, l’Allemand Peter Brötzmann et sept musiciens réalisent dans une boîte de jazz (aujourd’hui une discothèque) de Bremen Machine Gun, un enregistrement d’un radicalisme qui fera date. D’abord parce qu’il s’agit sans doute du premier groupe véritablement européen – outre Brötzmann, on y retrouve deux Allemands, les contrebassistes Peter Kowald et Buschi Niebergall, un Anglais, le saxophoniste Evan Parker, deux Néerlandais, le saxophoniste Willem Breuker et le batteur Han Bennink, un Suédois, le batteur Sven-Ake Johansson, et un Belge, le pianiste Fred van Hove, tous des musiciens qui en sont encore à leurs premières armes –, mais aussi et surtout parce que ce Machine Gun est d’une férocité inouïe. Dès la première salve des trois saxos, on est soufflé, et le niveau d’énergie se maintient à ce niveau, l’aiguille solidement arrimée dans le rouge, jusqu’à la fin.
Pour souligner le 50e anniversaire de ce jalon du free jazz, Brötzmann a convié son compatriote le pianiste Alexander von Schlippenbach et son vieux comparse Han Bennink à la même boîte en mai 2018 pour un petit concert en trio. Le résultat a tellement plu aux trois musiciens qu’en plus de publier le concert, ceux-ci continuent depuis à se produire en trio. Bien entendu ledit résultat n’a rien à voir avec la force de frappe ahurissante de l’octet de jadis, mais les trois compères n’ont à peu près rien perdu de leur fougue et ils s’entendent comme larrons en foire. Bennink brille particulièrement, sans trop cabotiner. La qualité d’enregistrement est sensiblement la même qu’il y a 50 ans, mais ça ne fait rien, il y a de l’ambiance!