Bluegrass d’avant-garde? Musique contemporaine roots? Folk de chambre? Qu’est-ce que joue exactement le collectif EZRA? Vous aurez probablement deviné que la réponse est un peu tout ça. Ils sont quatre, à la base : Jesse Jones (guitares et voix), Jacob Jollif (mandoline), Max Allard (banjo) et Craig Butterfield (contrebasse). Ces gars de Oberlin, Ohio, adorent s’amuser avec les codes et les genres musicaux. Mais, vraiment, s’amuser. Jones a toutes sortes d’instruments inventés à sa disposition. On peut d’ailleurs les entendre sur cet album : un xaphoon, un chaladoo, un daxophone, un mandocello et d’autres, joués par un des deux artistes invités pour l’enregistrement, Mark Stewart de Bang on a Can. L’autre compagnon de cette route trad complètement pimpée, c’est Xak Bjerken, qui joue du piano normal et jouet, mais surtout, un instrument longtemps resté à l’état d’idée et de mythe : l’orgue-synthétiseur microtonal Rothenberg de Robert Moog!
Il faut que je vous raconte : Dans les années 1960, le mathématicien et théoricien musical David Rothenberg conceptualise un instrument de musique électronique fait de 478 touches capables de jouer des octaves divisées en 31 parties égales, autant de microtons. L’instrument devait être fabriqué par Robert Moog, ce qui a été fait en partie, mais jamais de façon à pouvoir être fonctionnel. En 2022, la veuve de Rothenberg a fait don de l’instrument au Center for Historical Keyboards de l’Université Cornell. Là, le spécialiste en instruments électroniques Travis Johns a décidé de le créer pour de bon, en s’appuyant sur des éléments technologiques d’aujourd’hui qui rendent la faisabilité de l’aventure possible. En octobre 2023, pour la première fois de l’histoire, cet instrument a pris vie dans un concert.
Il n’en fallait pas plus pour allumer la flamme de l’inspiration de Jesse Jones, qui a tout de suite vu le potentiel d’intégration de cette bibitte sonore dans un projet d’album. Et voilà Earth to EZRA, une proposition sonore souvent déroutante, mais tout aussi dansante et colorée par un folk simple et authentique. Le parcours des quelque 50 minutes de l’album vous fera passer des chemins de terre du Midwest aux studios d’artiste d’un loft new yorkais, and back again…. Certes, des épisodes d’impro libre et aléatoire témoignent de la facette avant-gardiste du groupe, mais ça reste étonnamment souriant. Avis aux artistes expérimentaux : c’est possible d’éclater les formes sans faire grincer des dents! Cela dit, pour toute l’emphase mise dans les communications de presse avant la sortie de l’album sur ce fameux Moog-Rothenberg ressuscité. Sa présence dans la fabrique sonore reste essentiellement discrète. Tant qu’à faire j’en aurais pris beaucoup plus.
Je connaissais peu ce groupe, mais l’impressionnante qualité musicale et technique de tous les interprètes présents l’a désormais inscrit sur mon radar.
Que se passerait-il si l’on mettait un synthétiseur Moog microtonal unique en son genre et un inventeur d’instruments fou au milieu d’un groupe de bluegrass progressif ? Voici la réponse, et elle est vraiment l’fun.
Jesse Jones, guitares/voix
Jacob Jolliff, mandoline
Max Allard, banjo
Craig Butterfield, contrebasse
Invités :
Mark Stewart, xaphoon/chaladoo/daxophone/guitare/mandocello/percussion/voix
Xak Bjerken, pianos/orgue Moog-Rothenberg