Dès les premiers instants de Actually, You can – dix-huitième album de Deerhoof – la voix de miel de Satomi Matsuzaki susurre quelque chose à propos de tomates qui poussent alors qu’en fait, ce sont des oignons qu’on a semés. Après cette entrée en matière agricole et a capella, déferlent les guitares tonitruantes de John Dieterich et Ed Rodriguez ainsi que les rythmiques follement furieuses du batteur Greg Saulnier. Ce magma de bruit se transmute peu à peu en une mélodie, celle d’un aria de Georg Friedrich Haendel alors que la chanteuse fredonne un texte qui fait autant référence à la descente du Christ aux Enfers qu’à un essai de l’auteure et militante Maya Angelou. Ouf! Dire que nous n’en sommes qu’à la première au programme! D’autres surprises attendent l’auditeur qui osera s’embarquer dans cette montagne russe postmoderne comme cette version déconstruite de La Bamba jouée par les guitares enfiévrées sur Scarcity Is Manufactured. Le mortier qui unit les pierres disparates de cet édifice biscornu, c’est le jeu de batterie virtuose de l’infatigable Saulnier. Ce dernier est d’ailleurs le véritable maître d’œuvre du disque puisque, pandémie oblige, il a dû amalgamer les différentes parties musicales sur fichiers que lui ont envoyé les autres membres du groupe éparpillés un peu partout sur le globe. Qualifiant lui-même son approche de « DIY baroque », il a conçu une suite musicale foisonnante où alternent de réjouissants capharnaüms sonores et des morceaux plus calmes d’où émergent de fort belles mélodies. Marchant dans les pas de Beefheart et de Zappa, Deerhoof nous livre son rock mutant depuis maintenant plus d’un quart de siècle. Après une année 2020 au cours de laquelle il a fait paraître pas moins de trois albums, le groupe fait preuve d’une vitalité impressionnante sur ce nouvel opus qui déborde de sève et d’énergie.
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