Le début d’une intégrale d’un corpus spécifique associé à un.e compositeur.trice est toujours excitant : il y a la promesse d’une nouvelle vision dudit corpus, et peut-être même de la découverte d’oeuvres auxquelles on porte moins attention en temps régulier, mais là, parce qu’un artiste que l’on admire s’y plonge, on plonge avec lui. J’espère que ce sera le cas ici, car je sais que David Jalbert a son lot d’admirateurs.trices (à raison, et j’en suis un!), et que les sonates pour piano de Prokofiev (9 au total), bien qu’un ensemble très important du piano du 20e siècle, demeurent encore des trésors cachés pour plusieurs. Une autre raison (la meilleure) de suivre David dans cette aventure, c’est que si ce premier volet est indicateur du reste, cette intégrale sera hautement satisfaisante.
David Jalbert a choisi la voie chronologique naturelle pour amorcer le tout. On a donc droit ici aux quatre premières sonates du compositeur, soit celles de sa »période russe », qui se termine en 1918, aux lendemains de la Révolution bolchévique, après quoi il ira vivre en Europe de l’ouest et aux États-Unis, pays où son style évoluera sensiblement. Ici, c’est le jeune Prokofiev qu’on entend, celui encore imprégné de Romantisme (la première sonate), mais qui démontre déjà plusieurs caractéristiques de sa maturité, avec ces harmonies grinçantes mêlées d’élans lyriques émouvants et surtout de rythmes puissamment martelés, évocateurs d’une modernité industrielle naissante et déjà envahissante. La deuxième sonate en donne plusieurs beaux exemples dans des passages inspirés, bien qu’encore un brin naïfs. Celle-ci, d’abord agitée, indécise, voire troublée, évolue vers une finale athlétique plus optimiste, déjà très prokofievienne.
Les troisième (op. 28) et quatrième (op. 29) sont des jumelles conçues presque en même temps, mais chacune possède une personnalité qui fait contraste avec l’autre. L’op. 28 est franche et exubérante alors que l’op. 29 est en demi-teinte et en retenue, avec une modernité harmonique mieux affirmée. On est clairement sur le seuil d’un nouveau langage pour le compositeur qui s’apprête à fuir son pays natal. Mais ça, ce sera une autre histoire, dans le prochain volume on imagine.
David Jalbert est un pianiste élégant qui n’a pas peur de retirer les gants blancs, et on aime ça! Il sait également nuancer habilement les jaillissements sonores pour en faire ici des efflorescences tranquilles, là des éruptions volcaniques (comme dans la musculaire Suggestion diabolique, op 4 no 4, l’une des quatre pièces autonomes qui complètent de belle façon le programme). Bien entendu, Sviatoslav Richter demeure encore dominant dans ce répertoire, et Trifonov est une valeur sûre dans une version plus récente, mais il est certain que David Jalbert se taille ici une place heureuse. Il offre une voix canadienne qui saura résonner au-delà des frontières avec panache et conviction.
Le livret, rédigé par Georges Nicholson, est un délice de lecture stimulante et de propos intelligents.
Une question vient par contre bémoliser ce dithyrambe : pourquoi diantre le titre de l’album, sur la couverture, est-il en anglais seulement? Après tout, Atma est un label canadien.