Le Quatuor Bozzini, les Plaisirs du Clavecin et l’Orchestre de l’Agora présentent la musique d’Alexandre David, né en 1989. Le Montréalais a étudié, entre autres, en Europe et a bénéficié d’une résidence d’artiste au Hellerau de Dresde. C’est suite à cette résidence que son Quatuor à cordes est né, une œuvre nerveuse qui pulse d’effets microtonaux, de vibrations spectrales et de miroitements coloristiques variés. Plastiquement parlant, l’expression musicale de David est pointraitiste et abstraite, bien campée dans l’école de musique contemporaine avant-gardiste. Cela dit, la personnalité du jeune compositeur est forte et affirmée. Inutile de dire que les Bozzini sont des interprètes exceptionnels qui portent la musique de David à son maximum de potentialité expressive.
Nanimissuat Île-tonnerre est une pièce écrite pour l’ensemble Plaisirs du clavecin, formé de Caroline Tremblay à la flûte-à-bec, Marie Nadeau-Tremblay au violon, Camille Paquette-Roy au violoncelle et Johanne Couture au clavecin. S’ajoutent pour cette pièce de nature vocale, Virginie Mongeau, soprano, William Duffy, contreténor, Arthur Tanguay-Labrosse, ténor et Clayton Kennedy, baryton. Nanimissuat Île-tonnerre est une incarnation musicale de textes de l’autrice innue Natasha Kanapé-Fontaine. Dans le premier des deux textes mis en musique, Je suis l’île, les techniques vocales étendues intégrées au discours expressionniste et souvent dépouillé du compositeur, créent un plan sonore dans lequel les mots de Kanapé-Fontaine deviennent des onomatopées qui donnent l’impression d’être viscéralement issues d’un terroir très ancien, primordial. Ce qui se comprend, car l’île en question est essentiellement celle de la Tortue, telle qu’on nommait le continent nord-américain chez les premiers peuples.
Je suis ma grand-mère, deuxième poème de ce diptyque vocal, rappelle plutôt une forme de plainchant historique, coloré par des frémissements de flûte-à-bec et de clavecin, dans un phrasé hachuré, un peu à la manière de Morton Feldman. En ce qui me concerne, Nanimissuat Île-tonnerre est une œuvre de très haute tenue, peut-être un chef-d’œuvre authentique. Exigeant, certes, mais très impressionnant.
Photogrammes est la pièce-titre de l’album et elle est conçue pour l’Orchestre de l’Agora (en format relativement réduit, quand même, soit une vingtaine de musiciens) et son chef Nicholas Ellis. On y retrouve certains gestes spectraux entendus dans le Quatuor, mais l’abstraction tonale prend un peu de recul ici, du moins occasionnellement.
Du point de vue de David, Photogrammes est une revisite de souvenirs musicaux prégnants, imprimés émotionnellement dans son esprit. Le résultat est une série de réminiscences musicales classiques (romantiques) ou même pop sur coussin d’accords atonaux et soutenus. Imaginons un rêve éveillé, surréaliste, où des images parcellaires issues du passé apparaissent, se superposent, se fusionnent de façon kaléidoscopique, puis disparaissent.
Un album marquant, mettant de l’avant une jeune voix majeure de la musique savante d’ici.