Voici une rencontre explosive entre l’un des ensembles de musique savante les plus originaux du continent américain et l’un des musiciens afro-américains les plus avant-gardistes de sa génération.
Alarm Will Sound est un orchestre de chambre basé à New York (Brooklyn), très engagé dans la musique contemporaine savante, avec à son actif des créations d’œuvres de Steve Reich, de John Adams, de Michael Gordon et de Wolfgang Rihm, entre autres. L’ensemble ose plonger régulièrement dans les eaux stimulantes de la diversité en collaborant avec des artistes d’autres genres musicaux, tels l’électro, l’art-rock progressif, le jazz et les musiques savantes non-occidentales.
Tyshawn Sorey est un batteur et compositeur associé à l’avant-garde jazz. En ce sens, il est un héritier direct de pionniers qui l’ont précédé tels Roscoe Mitchell, Wadada Leo Smith, Richard Muhal Abrams, Anthony Braxton, Ornette Coleman et bien sûr George Lewis, tromboniste et figure précieuse de ce mouvement exploratoire. Comme eux, Sorey utilise une démarche qui l’amène à tisser des liens forts avec la musique écrite classique et contemporaine.
C’est ce qu’on voit et entend ici sur For George Lewis, un album fait de deux pièces on ne peut plus différentes l’une de l’autre : la bouillonnante Autoschediasms (dont la nature aléatoire permet d’en avoir deux versions très différentes ici) et l’éponyme For George Lewis, un hommage contemplatif de 53 minutes ininterrompues à l’endroit du grand tromboniste, compositeur, improvisateur, électroacousticien.
Autoschediasms a été créée spécialement pour Alarm Will Sound et est, comme le dit Sorey lui-même, un point de rencontre situé précisément à ‘’cet endroit où la frontière entre musique écrite et improvisée s’évanouit totalement’’.
Une énergie viscérale extraordinairement directe en ressort. On est frappé par l’immédiateté des actions et des interventions des musiciens, habitués aux partitions rigoureusement (et complexement) rédigées. Ils sont ici amenés à improviser selon des critères précis savamment coordonnés par Sorey à la direction. Il se dégage des deux mouvements de l’œuvre une explosion de couleurs, de rythmes, de lignes, de traits, de points et de textures atonales rendues franchement excitantes par le dégagement d’énergie cinétique communicative de l’expérience.
Pour les musiciens élites de Alarm Will Sound, parait-il, l’exercice a été à la fois exubérant et épuisant. Ils ont été poussés dans les derniers retranchements de leur capacité de concentration, d’ingéniosité, de technique et de virtuosité.
À l’opposé des Autoschediasms, For George Lewis se déploie sur 53 minutes dans une lenteur méditative presque mystique. La pièce, rigoureusement notifiée, prend sa source dans un minimalisme atonal et finement tissé bien plus inspiré de Webern que de Reich ou Glass. Si vous êtes familiers et attirés par la musique de Morton Feldman, vous tomberez sous le charme de cet hommage d’une placidité envoûtante.
Je ne saurais être plus enthousiaste envers cette parution qui documente une facette importante de la création musicale afro américaine et avant-gardiste d’aujourd’hui.