Mong Tong : Parfaitement paranormal

Entrevue réalisée par Rupert Bottenberg

Le duo taïwanais Mong Tong est profondément fasciné par les fantômes folkloriques et l’étrange ésotérisme chinois de l’île où il habite ainsi que par l’iconographie internationale de la paranoïa érigée en système. Les deux frères prennent des fragments insolites de faits réels ou imaginaires qu’ils trouvent et les mêlent à du funk psychédélique, du synthwave, du rock progressif et des collages audio inquiétants, le tout mijotant dans un bouillon doom-metal miasmique à souhait. PAN M 360 a correspondu avec les frères afin de pouvoir percer certains des mystères de leur nouvel album, Mystery.

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Photos : 張實伶

Du paléolithique jusqu’à sa population du Gaoshan, en passant par les vagues successives d’immigration et de colonisation, Taïwan recèle de nombreux sédiments historiques, dont certains sont plutôt sombres. Ce pays insulaire, petit mais d’une importance vitale, est également incroyablement complexe en raison de son statut politique et de ses croyances sacrées.

En visite au célèbre temple Longshan, situé dans la capitale, Taipei, on tombe sur une espèce de foire comme on en trouve dans les centres commerciaux pour se nourrir, mais où l’on peut obtenir des bénédictions divines de tout un éventail de divinités bouddhistes, taoïstes et populaires.

Il n’est donc pas surprenant que Taïwan ait un folklore aussi riche – avec en particulier ses fantômes vengeurs – et qu’il compte autant d’étranges spécimens.

On retrouve beaucoup de cet univers sur Mystery, le nouvel album du duo, paru sur Guruguru Brain, le label de musique underground asiatique dirigé par le Japonais Kikagaku Moyo. Mong Tong, ce sont les frères Hom Yu et Jiun Chi (qui répondent ici le plus souvent d’une seule voix, en raison de difficultés linguistiques, ou peut-être de quelque effroyable lien psychique fraternel… qui sait ?)

« La voix dans Chakra est celle d’un journaliste célèbre qui parlait des extraterrestres et des chakras dans l’hindouisme, révèle Mong Tong à propos du premier extrait de l’album. Grosso modo, c’est une chanson destinée aux amateurs d’émissions de télé sur les extraterrestres et de théories du complot ! »

D’autres merveilles poussiéreuses et inquiétantes se cachent dans les sillons de Mystery, comme les éléments qui composent le deuxième extrait, Jou-tau.

« Au début, nous avons échantillonné la voix off du film du Roi singe », explique Mong Tong en référence à la production taïwanaise Heavenly Legend de 1999, l’un des innombrables récits sur le demi-dieu simiesque Sun Wukong au cinéma, à la télé ou en bandes dessinées. « La chanson est composée de riffs d’orgue de Chi, d’improvisations à la guitare et d’une ligne de basse funky de Yu. »

Puis, il y a A Nambra, qui suggère que quelque part dans l’un des nombreux niveaux du Diyu (l’enfer chinois), il y a une piste de danse décente.

« A Nambra est notre tube disco-funk ! Les lignes de basse funky des années 70 sont nos préférées, nous avons donc mis au point notre propre version du disco-funk. Nous avons ajouté les synthés pour voir ce que ça donnerait. »

In the K. Court, pour sa part, évoque subtilement une certaine formation prog-rock des années 70, dont la mention ravit Mong Tong.

« Content que quelqu’un ait enfin trouvé la référence à King Crimson ! Dans nos spectacles, nous combinons toujours cette chanson avec 21st Century Schizoid Man pour surprendre le public, ça vaut le coup ! »

Une sélection de couvertures de livres sur la page Instagram de Hom Yu

Revenons à la folie des théories du complot et à la célébration par Mong Tong de ce qu’elles étaient avant Internet, lorsque les livres de poche à sensation, les magazines d’un goût douteux et la propagande distribuée par courrier en étaient la principale plateforme. Tout cela était accompagné d’une incroyable esthétique visuelle qui reste inégalée dans le genre, surtout quand on considère la médiocrité graphique des barbouilleurs d’aujourd’hui. Taiwan, de son côté, avait elle aussi son lot de ces croyances marginales à cette époque.

« À Taïwan dans les années 80 et 90, il y avait des magazines qui parlaient de fantômes, de taoïsme et d’OVNI, et publiaient des photos surnaturelles. Des décennies plus tard, ces thèmes ne sont plus populaires, la plupart de ces livres sont disparus et on ne peut en trouver que dans certaines librairies d’occasion. Nous avons passé beaucoup de temps à en chercher. Nous avons choisi quelques-unes de nos couvertures de livres préférées et les avons mises sur la page Instagram de Hom. »

La pochette de Mystery est un hommage à cet univers, et elle-même est une sorte de puzzle, un message secret codé à déchiffrer. Pressés de fournir des indices, les frères ont offert pour toute réponse cette phrase cryptique. « Il y a une théorie du complot qui s’appelle Q33 NY, c’est tout ce que nous pouvons dire ! »

L’automne dernier, quelques mois avant la sortie de Mystery, Mong Tong a lancé un mini-album et un livre intitulé Music From Taiwan Mystery, sorte de guide touristique du riche répertoire des bizarreries occultes de Taïwan. Il était même accompagné d’une vidéo étonnante (voir plus haut), débordant de rituels de magie noire et de kung-fu surnaturel. De toute évidence, la musique de Mong Tong se prête on ne peut mieux à l’interprétation visuelle (voir ci-dessous, maintenant, la vidéo de 717).

« Nous aimerions expérimenter avec n’importe quelle forme d’art ! En fait, nous faisons tout nous-mêmes, ce qui nous permet de mettre des éléments taïwanais que nous aimons dans notre musique, nos vidéos, nos pochettes, etc. Nous prévoyons sortir un deuxième Taiwan Mystery, un mini-album pour les plantes, et peut-être même, un jeu vidéo. Tout est possible! »

Mong Tong n’est qu’une des nombreuses activités obscures auxquelles les frères se livrent. Ceux-ci ne se font pas prier pour en parler, tout comme de la scène underground taïwanaise dont ils font partie.

« Dope Purple est un groupe de noise et de rock psychédélique, confie Jiun à propos d’un de ses autres projets, principalement influencé par Acid Mothers Temple et Les Rallizes Dénudés. Nous avons sorti un disque sur Senko Issha, un label taïwanais pour les amateurs de noise et d’improvisation libre. Mong Tong a aussi collaboré avec des labels comme Future Proof et Karma Detonation Tapes. Tous deux comptent de grands artistes et publient des cassettes de bonne qualité.

« Je joue de la guitare et du synthétiseur dans Prairie WWWW, un étonnant groupe de rock psychédélique expérimental, ajoute Hom. Vous devez absolument écouter notre dernier album, Pán (oui, comme dans PAN M 360 !). Il y a aussi des artistes sous le label Lonely God, dont Scattered Purgatory, FORESTS et Prairie WWWW, qui font du rock expérimental et de la musique électronique que vous allez très certainement aimer ! »

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