M/NM: Karnevalszeit et Mascarade, œuvres « carnavalesques » d’un autre type, signées Jean Lesage

Entrevue réalisée par Jean-Frédéric Hénault-Rondeau
Genres et styles : musique contemporaine

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Deux nouvelles créations du compositeur québécois Jean Lesage seront entendues cette semaine dans le cadre de Montréal/Nouvelles Musiques. Inspirées par la thématique du carnaval, ce sera d’abord la pièce Karnevalszeit qui sera jouée à la Salle Pollack de l’Université McGill le jeudi 23 et vendredi 24 février par l’orchestre de l’université, sous la direction d’Alexis Hauser. 

Mascarade, une œuvre pour accordéon solo, sera ensuite présentée le samedi 25 février – et gratuitement, de surcroît – à l’Institut Goethe de Montréal. Celle-ci sera interprétée par nulle autre que l’envoûtante accordéoniste serbe Snežana Nešić, qui est la commanditaire de l’œuvre.

PAN M 360 s’est entretenu avec le compositeur pour en apprendre davantage sur ces nouveautés à son répertoire, mais aussi pour discuter plus largement de sa poétique musicale infusée de postmodernisme, perspective qui nourrit depuis plusieurs décennies sa démarche artistique. C’est à l’Université McGill, où il occupe le poste de professeur de composition et d’orchestration, qu’il nous a reçu. 

PAN M 360: Sur votre site web, en entête de la section intitulée « poétique musicale », apparaît une citation d’Umberto Eco qui réfère au postmodernisme. Quelle importance cet auteur revêt-il pour vous ? 

JEAN LESAGE : La première chose que j’ai lue de lui était L’œuvre ouverte, qui traite de tout ce courant des années 60 où les compositeurs sentaient le besoin de donner plus de liberté à l’interprète avec des partitions qui laissaient le choix à un certain parcours. Il n’y avait pas de chronologie déterminée du matériau musical. Au fil des années je me suis intéressé à sa vision du postmodernisme et de l’intertextualité, c’est-à-dire de faire une œuvre d’art qui parle d’autres œuvres d’art, d’écrire de la musique qui parle de l’histoire de la musique, et donc d’avoir la possibilité de revisiter certains aspects de l’histoire de la musique pour y trouver une sorte de potentiel caché que je pourrais développer.

PAN M 360 : Cet attrait pour le postmodernisme faisait-il partie de vous avant que vous joigniez les rangs de la classe de composition de Gilles Tremblay au Conservatoire, ou s’est-il plutôt développé au fil de l’exploration de votre langage musical ?

JEAN LESAGE : C’est intéressant, parce que je crois que c’est quelque chose qui s’est développé en réaction à ce que je recevais au Conservatoire. Là-bas, nous avions une approche de la composition qui était vraiment moderniste, ce qu’on appelait l’avant-garde en Europe. Je dirais qu’il y avait une petite tendance au sectarisme, et tout ce qui était à l’extérieur de ce courant – Boulez, Berio, Stockhausen – était considéré comme une espèce de faiblesse esthétique. J’ai toujours été un grand fan de cette musique, mais il y avait d’autres aspects de la musique et de la création au 20e siècle qui m’intéressaient énormément : la musique minimaliste américaine, par exemple, ou des courants hétéroclites et moins unitaires que le modernisme, comme la musique de Charles Ives ou Edgar Varèse. J’avais de la difficulté à comprendre comment on ne pouvait pas faire coexister les deux mondes.

PAN M 360 : Dans le livret du disque fin de siècle… Nouvelle musique montréalaise, Sophie Galaise utilise les mots « solidarité, entraide, implication » pour caractériser l’essor des compositeurs de votre cohorte, à l’époque peu nombreux. Il semble également que vous organisiez souvent des soirées d’écoute entre collègues.

JEAN LESAGE : Il est vrai de dire que nous avions une certaine communauté et que nous échangions beaucoup d’idées. Je crois que cet « essor » auquel réfère Galaise s’applique plus à la génération précédente, les Vivier, Longtin, Tremblay, Rea, Evangelista, Boudreau. Déjà, nous avions accès à beaucoup d’informations par les médias, sans compter l’explosion des enregistrements. On pouvait dans la même journée écouter la musique de Pérotin le Grand, pour passer ensuite à Stockhausen et Mahler, le partager, en discuter, et mettre le tout en équivalence comme appartenant à une seule et même tradition. En ce sens, organiser de telles soirées n’était pas révolutionnaire. Cela s’est fait à toutes époques. Cette multiplicité des sources et des styles ne peut selon moi qu’avoir un impact sur la façon dont on pense la musique en tant que compositeur, surtout si on la partage. J’ai toujours tenté de promouvoir d’autres facettes de l’activité musicale lors de mon passage au Conservatoire. Cet accès ouvre une certaine façon de penser la création musicale qui est multiple, ce qui est plus vrai que jamais aujourd’hui.  

PAN M 360 : Dans le contexte social actuel où les gens sont apathiques et souffrent de déficit d’attention, cette pluralité des styles, cette façon de déjouer les attentes de d’opérer des dérapages contrôlés : est-ce pour vous une opportunité de garder le public sur les talons ?

JEAN LESAGE : C’est une bonne question, mais je ne le vois pas vraiment comme ça lorsque j’écris. Je considère que le compositeur doit avoir des antennes pour capter les ondes de l’époque dans laquelle il ou elle vit, et j’essaie de rendre compte de ce que je ressens. Est-ce que je veux avoir un impact direct sur l’auditeur ? Oui. J’essaie de donner à l’auditeur les clés pour qu’il puisse ouvrir les portes de ma musique. Ce qu’on reproche souvent à l’époque moderniste, c’est sa réflexion abstraite sur le matériau musical qui est souvent en hiatus avec l’impact psychoacoustique qu’elle peut avoir. En ce sens, le postmodernisme a voulu rétablir les liens et reconstruire les ponts avec un auditoire qui avait en quelque sorte perdu contact avec notre monde musical. Cela dit, mon approche ne représente pas un désir de plaire au public, mais plutôt de vouloir communiquer.

PAN M 360 : Quand vous abordez votre musique, vous parlez également de personnages sonores, un concept que j’affectionne tout particulièrement, ce qui me fait me demander ceci : quels costumes porteront vos personnages dans Karnevalszeit ?

JEAN  LESAGE: (rires) Multiples ! Ce que j’ai voulu évoquer dans cette référence au carnaval, c’est ce moment où, durant un certain nombre de jours, les valeurs de hiérarchie étaient inversées. L’enfant devenait adulte, l’esclave devenait maître, et il y avait une sorte d’effervescence. Il y avait aussi cette tradition de porter des masques, et l’idée de mettre un masque sur la musique m’intriguait. Ces masques sont des références stylistiques à certaines époques de la musique, manipulées pour être perçues comme ambiguës, et qui donnent l’impression qu’on fait référence à quelque chose, mais sans pouvoir mettre le doigt dessus. Il y a aussi le concept de profusion, d’activités simultanées qui évoluent sur différents plans, comme dans un carnaval. C’est un jeu dangereux du point de vue compositionnel, parce qu’il ne faut pas que ça devienne un fouillis ou une cacophonie. Il faut que ce qui se trouve à l’arrière-plan arrive à l’avant-plan et se retire pour retourner à l’arrière-plan pour laisser place à d’autres objets sonores, et ainsi de suite. Il faut donc accorder différents degrés d’importance aux plans sonores simultanés, et l’auditeur doit faire un choix de ce sur quoi il porte son attention. Ce n’est pas facile pour un chef d’orchestre, mais Alexis Hauser, ici à McGill, le fait de manière remarquable. 

PAN M 360 : Comment se manifeste cette hiérarchie d’un point de vue musical ?

JEAN LESAGE : Dans l’histoire de la musique, la hiérarchie des hauteurs de sons prime. Face à cela, je me suis demandé s’il y avait moyen d’élaborer un discours où les notes deviennent moins importantes que l’articulation ou le timbre du son, et où l’activité de surface est plus importante que la structure harmonique, et ainsi renverser la hiérarchie traditionnelle.  

PAN M 360 : En quoi l’œuvre Karnevalszeit se compare-t-elle à Mascarade ?

JEAN LESAGE : La combinaison des plans entièrement différente. L’instrument a un poids sémantique important. Il fait référence aux fêtes, il accompagne la danse. J’ai tout de même conservé l’aspect hétérogène du discours, mais au lieu d’être superposé, il est plutôt juxtaposé. Les plans sont remplacés par des séquences stylistiques contrastantes du point de vue de l’intensité et de la densité des textures. 

PAN M 360 : Dans un article écrit en 1992, la pianiste Marc Courroux vous cite : « C’est la gratuité de l’art, son insoumission aux déterminismes d’une époque qui lui donne sa force révolutionnaire, son pouvoir subversif. »

JEAN LESAGE : Vive l’art libre qui ne répond pas aux exigences du marché ! Nous compositeurs œuvrons en périphérie, loin de la culture générale, mais ce n’est pas parce que nous évoluons en périphérie que nous n’avons pas d’importance. Ce côté subversif, ce côté enfant terrible nous permet de faire toutes sortes de choses indépendamment des courants principaux. Nous n’appartenons pas à l’industrie de la culture, mais nous sommes porteurs de valeurs culturelles très importantes, qui sont symboliques. Je crois que tous les compositeurs que j’ai fréquentés au Québec ont toujours cette volonté de donner en héritage une œuvre qui serait le reflet de notre culture. Il y a plusieurs façons de le faire, évidemment. Malgré le fait que nous ne soyons pas joués sur les radios commerciales, nous sommes néanmoins ls gardiens de cette culture. La culture mainstream à laquelle elle se compare est dépourvue de spécificité. Nous parlions au début de conversation du moment où mes collègues et moi nous réunissions. Ce désir d’être le reflet de notre culture était très important pour nous. Trouver une spécificité musicale, sonore, à ce que notre culture représentait pour nous, et se détacher un peu des États-Unis, et de l’Europe, qui ont exercé une influence énorme sur nous, et dont nous sommes le lieu de rencontre. Cela confère à notre musique une sorte d’hybridité qui se crée entre ces deux façons de voir l’art et la culture, et que la grande majorité de mes collègues ont développé chacun à leur façon.

PAN M 360 : Découvrira-t-on une part de l’enfant terrible lors de ces concerts qui s’en viennent dans le cadre du Festival Montréal\Nouvelles Musiques ?
JEAN LESAGE : J’avoue que la pièce pour orchestre est assez particulière (rires). Elle m’étonne moi-même !

DANS LE CADRE DU FESTIVAL M/NM, KARNEVALSZEIT EST CRÉÉE CE JEUDI, 19H30, SALLE POLLACK DE L’UNIVERSITÉ MCGILL. LE MÊME PROGRAMME EST EXÉCUTÉ CE VENDREDI, 19H30.

POUR INFOS ET BILLETS, C’EST ICI

Participant·es

Programme

DANS LE CADRE DE M/NM, MASCARADE SERA CRÉÉE SAMEDI, 19H, AU GOETHE-INSTITUT DE MONTRÉAL, DANS LE CADRE DU PROGRAMME LES MYSTÈRES DE L’ACCORDÉON.

POUR INFOS ET BILLETS, C’EST ICI

Participant·es

Programme

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